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il l'étoit, du souverain pouvoir, et avec un peuple accoutumé à obéir, il lui suffisoit de résister au premier choc en temporisant, et que l'ancien ordre de choses se rétabliroit. S'il lui avoit été impossible de se plier, ou plutôt de s'élever au rang sublime où la nation l'avoit placé, de Restaurateur de la liberté française, et de Premier Magistrat d'un Peuple libre, il y auroit eu plus de candeur et de noblesse, à déclarer franchement sa façon de penser, et à terminer sa carrière, avec toute la dignité attachée à son rang. Au contraire, on le voit professant, hautement, l'attachement le plus sincère au nouvel ordre de choses; et cherchant, secrètement, tous les moyens de le renverser aussitôt qu'il en trouveroit l'occasion; foible dans toutes les circonstances où il auroit dû montrer de l'énergie; ferme et opiniâtre dans toutes celles qui pouvoient lui être funestes, et ajouter aux infortunes de sa patrie.

LETTRE XXI,

Au comte d'Artois.

MON FRÈRE,

7 Septembre, 1789.

Vous vous plaignez, et votre lettre, où le respect et l'amour fraternel guident votre plume, contient des reproches que vous croyez fondés. Vous parlez de courage, de résistance aux.projets des factieux, de volonté, mon frère, vous n'êtes

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...

pas

roi!

Le ciel, en me plaçant sur le trône, m'a donné un cœur sensible, des sentimens d'un bon père. Tous les Français sont mes enfans; je suis le père commun de la grande famille confiée à mes soins. L'ingratitude, la haine arment contre moi; mais les yeux sont obscurcis, les esprits sont égarés, la tourmente révolutionnaire a troublé toutes les têtes.

Le peuple croit s'intéresser à sa propre cause, et c'est moi seul que j'aurois pu défendre. Je pourrois donner le signal du combat; mais quel combat horrible, et quelle victoire plus horrible encore! Pouvez-vous croire que j'eusse triomphé, au moment où tous les ordres de l'État se réunissoient, où tout ce peuple s'armoit contre moi, où toute l'armée oublioit ses sermens, l'honneur et son roi. J'aurois donné, il est vrai, le signal du carnage, et des milliers de Français auroient été immolés: ... mais vous direz

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peut-être, le peuple a triomphé; il vous a prouvé, par ses excès, que ses sentimens n'étoient pas si généreux, qu'il osoit abuser de la victoire et poignarder son ennemi vaincu. Ah! ne comptez-vous pour rien le calme d'une bonne conscience? J'ai fait mon devoir; et tandis que l'assassin est déchiré par les remords, je puis dire hautement; je ne suis pas responsable du sang versé; je n'ai point ordonné le meurtre; 'j'ai sauvé des Français; j'ai sauvé ma famille, 'mes amis, tout mon peuple : j'ai la conscience intime d'avoir fait le bien; mes enne

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mis ont cú recours aux forfaits. Quel est celui d'entre nous dont le sort est le plus digne d'envie? Cessez, mon frère, cessez de m'accuser le temps, les circonstances, et mille causes, qu'il seroit trop long do détailler, ont fait les malheurs de la France. Il est trop cruel de me les reprocher; c'est se joindre alors à mes ennemis, et déchirer ce cœur paternel. Mon frère, je me suis sacrifié pour mon peuple; soyez persuadé que ce premier devoir rempli, je saurai me sacrifier pour vous et pour les Français qui vous ont suivi. Déjà votre éloignement excite des murmures; déjà les factions se promettent bien de nous accuser, et de tirer parti de cette démarche, qu'ils appellent, en ce moment, une fuite, une conspiration, un attentat. Ces idées se propagent; elles produiront de funestes résultats, si la tranquillité n'est point rétablie; si votre rappel devient impossible; si je néglige l'occasion favorable de rappeler, en France, les Français exilés volontairement, et qui doivent s'empresser d'obéir au vœu que je me ferai alors un devoir de manifester.

Adieu, mon frère, n'oubliez pas que je vous aime et que je m'occupe de vous.

LOUIS.

OBSERVATIONS

Sur la vingt-unième lettre.

S'IL est possible de trouver quelques motifs d'exténuer l'égarement du roi, à cette époque, on ne peut les chercher que dans les passions et les préjugés de ceux qui l'obsédoient, et qui le poussoient sans cesse à des actes hostiles contre la révolution. Ses plus grands ennemis étoient de sa maison. On ne sauroit lire cette lettre sans éprouver, des sentimens de pitié et d'indignation; de pitié, pour le Prince infortuné, qui n'avoit pas le courage de résister à ce torrent de perversité; d'indignation, contre ceux qui, par leurs conseils ou leurs reproches, le précipitèrent de chute en chute, jusqu'à son entière destruction."

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