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étoit sans force, et ses charmes sans effet, lorsqu'elle vouloit attaquer une résolution aussi bien formée, et aussi constamment et aussi fortement soutenue. C'étoit une citadelle imprénable, tous ses efforts étoient impuissans, toutes ses armes s'émoussoient, se brisoient contre le rocher immobile sur lequel elle étoit élevée. Elle étoit tellement exclue de tout ce qui avoit rapport aux secrets de l'Etat, et Louis XVI si scrupuleux observateur des principes de son père, et tellement sur ses gardes, qu'elle ignoroit même le lieu où étoient déposés les mémoires d'inimitié contre la maison d'Autriche, que le Dauphin avoit laissés en mourant à son fils, et qui s'augmentoient tous les jours par les soins vigilans que prenoit le ministre de nourrir cette aversion salutaire dans le cœur du prince.

Ce fut au moment même où la reine, pour nous servir du langage brillant de son panégyriste, parut radieuse, et dans tout son éclat, sur notre horizon, comme l'étoile du matin, respirant le plaisir et le bonheur, qu'elle vit toujours toute sa splendeur éclipsée, toutes les fois qu'elle voulut pénétrer les nuages da

la politique. L'esprit chevaleresque qui attachoit jadis les Français au char de la beauté, étoit déjà éteint, avant même une époque plus désastreuse; et cette séduisante princesse se voyoit non-seulement privée de la confiance du roi, dans des affaires qui ne pouvoient que l'intéresser vivement; mais elle se trouvoit encore exposée aux plaisanteries des ministres qui sourioient de l'impuissance de ses efforts pour les déplacer; et qui l'accusoient, peutêtre sans aucun fondement, de dépouiller sa patrie adoptive, pour enrichir le trésor épuisé de l'empereur son frère.

Il paroît que le roi étoit le tranquille spectateur de la lutte continuelle de la reine avec ses ministres, et que son affection pour elle étoit raisonnée. Il l'aimoit pour ses qualités, qui la rendoient aimable; sa tendresse étoit pure, et on ne lui a jamais reproché de l'avoir altérée ou ternie; mais il ne lui découvroit jamais les secrets de l'Etat, si ce n'est dans quelques momens d'oubli, qu'on prétend qu'elle s'efforçoit de faire naître. Il étoit réellement impossible de lui cacher absolument toutes les affaires de l'Etat on

chercha, par conséquent, à lui donner le change sur les opérations secrètes du gouvernement, et on y réussit complétement. Aussi l'on voit, par la lettre qui nous occupe en ce moment, que la reine regardoit l'espion de la France en Autriche, M. de Thugut, comme un agent qui lui étoit particulièrement attaché; et le roi la représente comme étant si peu dans le secret, qu'il concerte des mesures avec M. de Vergennes, dans le cas où, à l'arrivée de cet agent en France, elle voudroit récompenser le zèle qu'elle lui supposoit pour ses intérêts, en lui promettant de lui faire avoir une place.

Mais quelle qu'ait été la méfiance du roi, ou son manque de confiance en la reine, d'après ce que cette lettre nous donne lieu de croire, M. de Thugut n'y joue pas un rôle honorable. Il est évident que cet ex-ministre du cabinet de Vienne avoit été, dans cette cour, l'espion à gage de Louis XV pendant son règne; et que ce monarque estimoit si pas peu ses services, qu'il ne lui auroit même donné asile en France, dans le cas où ses intrigues auroient été découvertes. Louis XVI

paroît cependant y avoir attaché un plus grand prix. D'après la persuasion où il étoit qu'il n'avoit pas favorisé l'Autriche, il lui permet de se retirer en France, et d'y jouir du fruit de sa trahison; il prévient même les dangers auxquels les soupçons de la cour de Vienne pourroient l'exposer, en l'assurant que M. de Breteuil, son ambassadeur, le protégera indirectement, et lui fournira même les moyens de s'échapper.

Il paroît hors de doute que le baron de Thugut étoit originairement un espion de la France; mais, comme j'en ai déjà fait l'observation, on ne peut pas conclure de-là qu'il ait manqué de fidélité à la cour de Vienne, dans le ministère qui lui a été confié depuis. Si ces succès n'ont pas répondu au zèle qu'il a manifesté dans ses dernières fonctions, il faut se rappeler qu'il a échoué dans une entreprise où aucun autre n'a réussi; et qu'il partage la honte de sa défaite avec les plus illustres généraux et les plus grands hommes d'état de l'Europe, la République Française exceptée. On l'a accusé de s'être obstiné à continuer une querre désastreuse, lorsqu'il ne lui restoit plus

la moindre espérance de parvenir au but qu'il s'étoit proposé; mais on sait que l'espérance est trompeuse, et on peut pardonner à M. le baron de s'être trompé, lorsqu'une infinité d'autres, bien plus près que lui du lieu de l'action, se sont entièrement aveuglés sur sos conséquences.

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