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DE

LOUIS X V I.

LETTRE PREMIÈRE.

'A M. de Vergennes.

17 Octobre, 1774

J'ai lu, monsieur, la dépêche secrète et

très-importante de M. le chevalier de SaintPriest. Je n'ignore pas les services du sieur Thugut, mais je n'en connois pas les détails. Je tiendrai les paroles que le feu roi lui avoit données. Mais la manière ne peut s'exécuter lorsqu'il sera en France, comme VOL. I.

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M. de Saint-Priest le propose. Quel inconvénient y auroit-il à le laisser à Vienne? Je sais bien qu'il y répugne; mais je crois être sûr qu'on n'a à Vienne aucune notice sur lui. Quand il y sera arrivé, peut-être ne le remployeroit-on pas dans la politique; mais alors il pourra voyager et venir s'établir en France où il sera tranquille. Et comme d'ailleurs je ne le crois pas Autrichien, ni même sujet de Fimpératrice, cela lui sera aisé.

Je ne crois pas que M. de Kaunitz le tour mente sur ses négociations des déclarations moins fortes; si on le savoit, il pourroit les rejeter sur la faute des drogmans qui n'ont pas bien entendu ce qu'il vouloit dire. Il n'y a nulle bonne raison à donner pour son retour par la mer; quand il sera arrivé en France, si la reine demande une place pour lui, n'étant pas du secret, elle ne pourra pas donner des raisons à l'impératrice, surtout pour l'empêcher de retourner à Vienne, que de se fixer en France; et par-là on verra que c'est le cabinet qui le pousse, et s'il y

eût jamais eu des soupçons contre lui, ils se renouveleront.

Le prince de Kaunitz comparera les ordres qu'il a donnés, à la manière dont il les a exécutés. Je me souviens que M. d'Aiguillon, en me rendant compte, me dit que le feu roi avoit fait dire à l'internonce, (M. de Thugut) que si l'intrigue étoit découverte, qu'il ne lui donneroit pas de retraite en France, mais une pension pour vivre où il pourroit. La trame découverte, le roi de Prusse ne manqueroit pas de nous brouiller avec Vienne; et ce sera avec raison qu'il parlera des petites intrigues que la cour de France emploie, en montrant que nous n'avons pas agi de bonne-foi avec elle; et dans ce moment où la cour de Vienne veut se rapprocher de nous, il est très-important de ne pas lui donner des ombrages. Si on veut employer M.Thugut, illui sera aisé, dans la persuasion où je suis qu'il n'est pas né sujet de l'impératrice, de demander son renvoi par raison de santé ; alors il pourra venir jouir en France du fruit de ses travaux, et peut-être même

sera-t-il recommandé par la cour de Vienne. Voilà ce que je pense sur lui, et pour ne pas nous compromettre.

Les lettres qui sont jointes ici prouvent la confiance qu'on a en lui, et qu'on ne le soupçonne de rien. L'année prochaine ou les affaires de la Pologne seront finies, les vues de la Maison d'Autriche remplies, ou il n'y aura nulle raison de revenir sur le passé, ou les cours co-partageantes seront en guerre entre elles, et Vienne voulant cultiver notre amitié, ne cherchera à pas inquiéter quelqu'un qu'elle pourroit soupçonner nous être attaché. Vous pouvez lui faire dire que le baron de Breteuil sera chargé de lui donner protection indirecte, et les moyens de s'évader en cas de soupçon.

La politique de M. de Kaunitz est une chose bien incompréhensible. Plus je la vois, moins je la comprends. Par les instructions de Thugut, il paroît qu'il le croit absolument lié avec la Russie, et qu'il n'a pas contribué au traité de paix, du moins

l'a-t-il approuvé. De l'autre côté, il nous doit dire qu'il en craint fort les suites; et l'empereur s'étant expliqué avec l'abbé Georges, il faut conclure de cela que sa politique est d'être bien avec tout le monde, pour y trouver son intérêt particulier. Nous sommes liés avec lui par un bon traité, et s'il veut quelque chose de nous, il faut attendre qu'il s'explique, et que nous y voyons quelque chose d'avantageux; car il n'y a rien à craindre de rester tranquille, sur-tout se méfiant des bons offices du roi de Prusse.

Pour M. le chevalier de Saint-Priest, il est absolument nécessaire qu'il reste dans ce pays-là, il y est trop utile pour le laisser revenir; il faut que M. Gerard lui réponde amicalement sur cet article, comme il s'en explique avec lui, sans paroître vous avoir communiqué sa lettre; mais qu'il lui ôte toute idée de retour; qu'il lui dise qu'il a cru l'entrevoir, parce qu'il vous a entendu dire précédemment que ses services me sont très-agréables, et que personne ne peut

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