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voque de La Fayette, la retraite de Luckner, que l'on croyait son complice, le rapprochement des troupes de Paris, fomentaient la colère et les alarmes des patriotes. Robespierre continuait à se tenir à l'écart des mouvements, ne se compromettait avec aucun des partis, et s'absorbait dans les considérations. générales de la chose publique. Observer, éclairer et dénoncer tous ses périls au peuple, était le seul rôle qu'il affectât. Sa popularité était grande, mais froide et raisonnée comme ce rôle.

Les murmures des impatients interrompaient souvent ses longues harangues à la tribune des Jacobins. Il dévorait dans une impassible attitude de cruelles humiliations. Son instinct, sûr de la mobilité de l'opinion, semblait révéler d'avance à Robespierre que, dans ce conflit de mouvements contraires et désordonnés, l'empire resterait au plus immuable et au plus patient. Danton fit aux Cordeliers et aux Jacobins des motions terribles, et sembla chercher sa force dans le scandale même de ses violences contre la cour. Il masquait ainsi ses intelligences avec le château. « Je prends, s'écria-t-il, je prends l'engagement de porter la terreur dans une cour perverse! Elle ne déploie tant d'audace que parce que nous avons été trop timides. La maison d'Autriche a toujours fait le malheur de la France. Demandez une loi qui force le roi à répudier sa femme et à la renvoyer à Vienne avec tous les égards, les ménagements et la sûreté qui lui sont dus! » C'était sauver la reine par la haine même qu'on lui portait.

Brissot, si longtemps ami de La Fayette, le livra enfin à la colère des Jacobins. « Cet homme a levé le masque, dit-il ; égaré par une aveugle ambition, il s'érige en protecteur. Cette audace le perdra. Que dis-je? elle l'a déjà perdu. Quand Cromwell crut pouvoir parler en maître au parlement d'Angleterre, il était entouré d'une armée de fanatiques, et il avait remporté des victoires. Où sont les lauriers de La Fayette? où sont ses séides? Nous châtierons son insolence, et je prouverai sa trahison. Je prouverai qu'il veut établir une espèce d'aristocratie constitutionnelle, qu'il s'est concerté avec Luckner, qu'il a perdu à pétitionner à Paris le temps de vaincre aux frontières.

Ne craignons rien que de nos divisions. Quant à moi, ajouta-t-il en se tournant vers Robespierre, je déclare que j'oublie tout ce qui s'est passé! - Et moi, répondit Robespierre un moment fléchi, j'ai senti que l'oubli et l'union étaient aussi dans mon cœur, au plaisir que m'a fait ce matin le discours de Guadet à l'Assemblée, et au plaisir que j'éprouve en ce moment en entendant Brissot! Unissons-nous pour accuser La Fayette. >>

II

Des pétitions énergiques des différentes sections de Paris répondirent à la pensée de Robespierre, de Danton, de Brissot, et demandèrent un exemple terrible contre La Fayette et une loi sur le danger de la patrie. La Fayette, en menaçant de son épée la Révolution, n'avait fait que la réveiller avec plus de fureur. Frappez un grand coup, s'écrièrent les pétitionnaires patriotes; licenciez l'état-major de la garde nationale, cette féodalité municipale où l'esprit de trahison de La Fayette vit encore et corrompt le patriotisme! »

Le peuple s'attroupa de nouveau dans les jardins publics. Un rassemblement se forma devant la maison de La Fayette et brûla un arbre de la liberté, que des officiers de la garde nationale avaient planté à sa porte pour honorer leur général. On craignait à chaque instant une nouvelle invasion des faubourgs. Pétion adressa aux citoyens des proclamations ambiguës dans lesquelles les insinuations contre la cour se mêlaient aux recommandations paternelles du magistrat. Le roi sanctionna la suspension de Pétion de ses fonctions de maire de Paris. Les factieux s'indignèrent qu'on leur enlevât leur complice. La popularité de Pétion devint de la rage. Le cri de Pétion ou la mort! répondit à cette mesure. Les gardes nationales et les sans-culottes se battirent au Palais-Royal. Les fédérés des départements arrivaient par détachements et renforçaient ceux de Paris. Les adresses des départements et des villes, apportées par les députations de ces fédérés, respiraient la colère nationale. « Roi des Français, lis et relis la lettre de Roland! Nous venons punir tous les traîtres! Il faut que la

France soit à Paris pour en chasser tous les ennemis du peuple. Le rendez-vous est sous les murs de ton palais. Marchons-y! » disaient les fédérés de Brest.

Le ministre de l'intérieur demanda à l'Assemblée des lois contre ces réunions séditieuses. L'Assemblée lui répondit en sanctionnant ce rassemblement tumultueux dans Paris et en décrétant que les gardes nationaux et les fédérés qui s'y rendraient seraient logés chez les citoyens. Le roi intimidé sanctionna ce décret. Un camp sous Soissons fut résolu. Les routes se couvrirent d'hommes en marche vers Paris. Luckner évacua sans combat la Belgique. Les cris de trahison retentirent dans tout l'empire. Strasbourg demanda des renforts. Le prince de Hesse, révolutionnaire expatrié au service de la France, proposa à l'Assemblée d'aller défendre Strasbourg contre les Autrichiens, et de faire porter devant lui son cercueil sur les remparts, pour se rappeler son devoir et pour ne se laisser d'autre perspective que son trépas. Sieyès demanda qu'on élevât sur les quatre-vingttrois départements l'étendard du péril de la patrie. « Mort à l'Assemblée, mort à la Révolution, mort à la liberté, si la guillotine d'Orléans ne fait pas justice de La Fayette ! » tel était le cri unanime aux Jacobins.

III

L'Assemblée répondit à ces clameurs de mort par des émotions convulsives. Enfin, une de ces grandes voix qui résument le cri de tout un peuple et qui donnent à la passion publique l'éclat et le retentissement du génie, Vergniaud, dans la séance du 3 juillet, prit la parole, et, s'élevant pour la première fois au sommet de son éloquence, demanda, comme Sieyès, son inspirateur et son ami, qu'on proclamât le danger de la patrie.

Jusqu'alors Vergniaud n'avait été que disert; ce jour-là, il fut la voix de la patrie. Il ne cessa plus de l'être jusqu'au jour où l'on étouffa sa parole dans son sang. C'était un de ces hommes qui n'ont pas besoin de grandir lentement dans une assemblée. Ils paraissent grands, ils paraissent seuls, le jour où les événements leur donnent leur rôle. Il y avait peu de mois

que Vergniaud était arrivé à Paris. Obscur, inconnu, modeste, sans pressentiment de lui-même, il s'était logé avec trois de ses collègues du Midi dans une pauvre chambre de la rue des Jeûneurs, puis dans un pavillon écarté du faubourg qu'entouraient les jardins de Tivoli. Les lettres qu'il écrivait à sa famille sont pleines des plus humbles détails de ce ménage domestique. Il a peine à vivre. Il surveille avec une stricte économie ses moindres dépenses. Quelques louis sollicités par lui de sa sœur lui paraissent une somme suffisante pour le soutenir longtemps. Il écrit qu'on lui fasse parvenir un peu de linge par la voie la moins chère. Il ne songe pas à la fortune, pas même à la gloire. Il vient au poste où le devoir l'envoie. Il s'effraye, dans sa naïveté patriotique, de la mission que Bordeaux lui impose. Une probité antique éclate dans les épanchements confidentiels de cette correspondance avec les siens. Sa famille a des intérêts à faire valoir auprès des ministres. Il se refuse à solliciter pour elle, dans la crainte que la demande d'une justice ne paraisse dans sa bouche commander une faveur. « Je me suis enchaîné à cet égard par la délicatesse, je me suis fait à moi-même ce décret,» dit-il à son beau-frère M. Alluaud, un second père pour lui.

Tous ces entretiens intimes entre Vergniaud, sa sœur et son beau-frère, respirent la simplicité, la tendresse d'âme, le foyer. Les racines de l'homme public trempent dans un sol pur de mœurs privées. Aucune trace d'esprit de faction, de fanatisme républicain, de haine contre le roi, ne se révèle dans l'intimité des sentiments de Vergniaud. Il parle de la reine avec attendrissement, de Louis XVI avec pitié. « La conduite équivoque du roi, écrit-il vers cette époque, accumule nos dangers et les siens. On m'assure qu'il vient aujourd'hui à l'Assemblée. S'il ne se prononce pas d'une manière décisive, il se prépare quelque grande catastrophe. Il a bien des efforts à faire pour précipiter dans l'oubli tant de fausses démarches que l'on regarde comme des trahisons. » Et plus loin, retombant de sa pitié pour le roi à sa propre situation domestique : « Je n'ai point d'argent, écrit-il; mes anciens créanciers de Paris me recherchent, je les paye un peu chaque mois; les loyers sont chers; il m'est impossible de payer le tout. » Ce jeune homme, dont le geste écrasait un

trône, avait à peine où reposer sa tête dans l'empire qu'il allait ébranler.

IV

Élevé au collège des Jésuites par la bienfaisance de Turgot, alors intendant du Limousin, Vergniaud, après ses études, était entré au séminaire. Il allait se vouer par piété au sacerdoce. Il recula au dernier pas ; il revint dans sa famille. Solitaire et triste, son imagination se répandit d'abord en poésie avant d'éclater en éloquence. Il jouait avec son génie sans le connaître. Quelquefois il s'enfermait dans sa chambre, se feignait à lui-même un peuple pour auditoire, et improvisait des discours sur des catastrophes imaginaires. Un jour, son beau-frère M. Alluaud l'entendit à travers la porte. Il eut le pressentiment de la gloire de sa famille; il l'envoya à Bordeaux étudier la pratique des lois. L'étudiant fut recommandé au président Dupaty, écrivain célèbre et parlementaire éloquent. Dupaty conçut pour ce jeune homme une espérance confuse de grandeur. Il l'aima, le protégea, le prit par la main et l'admit à travailler auprès de lui. Il y a des parentés de génie comme des parentés de sang. L'homme illustre se fit le père intellectuel de l'orphelin. La sollicitude de Dupaty pour Vergniaud rappelait les patronages antiques d'Hortensius et de Cicéron. « J'ai payé de mes deniers et je continuerai à payer pour d'autres années la pension de votre beau-frère, écrit Dupaty à M. Alluaud. Je lui procurerai moimême des causes de choix pour ses débuts; il ne lui faut que du temps; un jour il fera une grande gloire à son nom. Aidez-le à pourvoir à ses nécessités les plus urgentes; il n'a pas encore de robe de palais. J'écris à son oncle pour toucher sa générosité; j'espère que nous en obtiendrons un habit. Reposez-vous sur moi du reste, et fiez-vous à l'intérêt que m'inspirent ses infortunes et ses talents. >>

Vergniaud justifia promptement ces présages d'une amitié éclairée. Il puisa chez Dupaty les vertus austères de l'antiquité autant que les formes majestueuses du forum romain. Le citoyen se sentait sous l'avocat; l'homme de bien donnait de l'autorité, de la conscience à la parole. Riche à peine des premiers émolu

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