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Fermentation.

déchéance.

LIVRE VINGTIÈME

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Les Marseillais et la commune de Paris demandent la

La cour se prépare à la résistance. de La Fayette rejetée.

Mise en accusation Les députés constitutionnels insultés. Préparatifs des insurgés. Nuit du 9 au 10 août. Le tocsin. Scènes intimes chez les conjurés. — Angoisses de la reine et de Madame Élisabeth. — Description des Tuileries. Dénombrement des troupes. - Possibilité de repousser les insurgés.

- Esprit qui les anime.

Cependant la fermentation croissait d'heure en heure. On entendait partout ce murmure sourd qui présage les catastrophes des empires comme celles de la nature. La Fayette, disaiton, allait marcher sur Paris. Le vieux Luckner avait avoué ce projet à Guadet, dans un dîner chez l'évêque Gobel. Averti du danger de cet aveu, Luckner le rétractait maintenant. Les fédérés, accumulés dans Paris, refusaient d'en sortir, prétextant les trahisons patentes des généraux aristocrates sous lesquels on les envoyait non à la victoire, mais à la mort. Dumouriez avait reçu l'ordre perfide de lever son camp, et d'ouvrir ainsi l'accès de la capitale aux Autrichiens. Il avait patriotiquement désobéi. Des préparatifs d'attaque et de défense se faisaient secrètement au château. Les appartements intérieurs du roi étaient remplis de nobles et d'émigrés rentrés. L'état-major de la garde nationale conspirait avec la cour. Le Carrousel et le jardin des Tuileries étaient un camp, le château une forteresse prête à vomir la mitraille et l'incendie sur Paris. Le sol même du jardin des Tuileries était traité par le peuple en terre maudite, qu'il était interdit aux bons citoyens de fouler du pied. Entre la terrasse des Feuillants et ce jardin, on avait tendu pour toute barrière un ruban tricolore avec cette inscription menaçante :

Tyran, notre colère tient à un ruban, ta couronne tient à un fil. »

Les sections de Paris, ces clubs légaux, ces fragments incohérents de municipalités, centres perpétuels de délibérations anarchiques, essayèrent de prendre quelque unité pour devenir plus imposantes et plus redoutables à l'Assemblée et à la cour. Pétion organisa à l'Hôtel-de-ville un bureau de correspondance générale entre les sections. On y rédigea en leur nom une adresse à l'armée, qui n'était qu'une provocation au massacre des généraux. « Ce n'est pas contre les Autrichiens, disaient-elles aux troupes, que La Fayette voudrait vous conduire, c'est contre nous ! C'est du sang des meilleurs citoyens qu'il voudrait arroser le pavé du château royal, afin de réjouir les yeux de cette cour insatiable et corrompue ! Mais nous la surveillons et nous sommes forts! Au moment où les traîtres voudront livrer nos villes à l'ennemi, les traîtres auront disparu, ou nous nous serons ensevelis sous les cendres de nos villes ! »

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Des discours analogues à cette adresse agitaient l'âme du peuple dans les sections. La presse répandit dans tout le royaume un de ces discours prononcés à la section du Luxembourg, et dont la concision relevait l'énergie. « Français, vous avez fait une révolution, contre qui? Contre le roi, la cour, les nobles et leurs partisans ! - A qui avez-vous confié le sort de cette révolution après l'avoir faite? Au roi, à la cour, aux nobles et à leurs partisans ! — A qui faites-vous la guerre au dehors? - Aux rois, aux cours, aux nobles et à leurs partisans ! — Qui avez-vous mis à la tête de vos armées ? - Le roi, les nobles, la cour et leurs complices! Eh bien, concluez: ou le roi, les nobles et les intrigants qui sont à la tête de vos affaires et de vos armées sont tous des Brutus qui sacrifient leurs pères, leurs frères, leurs fils au salut de la patrie, ou ils vous trahissent! » La conclusion de ce discours, facile à tirer, était qu'il ne fallait pas confier une révolution aux hommes contre qui elle a été faite ; c'est-à-dire que toutes les demi-révolutions sont des chimères, et qu'il n'y a que la république qui puisse faire une guerre sincère à la monarchie. « Levez-vous, citoyens ! disait la section Mauconseil. Un tyran méprisable se joue de nos des

tinées, qu'il tombe! L'opinion seule fait la force des rois ; eh bien, que l'opinion le détrône! Déclarons que nous ne reconnaissons plus Louis XVI pour roi des Français. >>

Danton, dans la section du Théâtre-Français, foula aux pieds cette distinction aristocratique entre les citoyens actifs et les citoyens passifs, et les appela tous, prolétaires ou propriétaires, à prendre les armes pour le salut de la patrie commune.

II

Plus logique que La Fayette, Danton ne plaçait pas les limites de la richesse à la place des limites de la naissance entre les citoyens; il les effaçait toutes. Cet appel au droit et au nombre devait étouffer les baïonnettes de la garde nationale sous la forêt de piques des fédérés. Les enrôlements volontaires pour la frontière prirent plus d'activité; ils avaient lieu solennellement sur la place de l'Hôtel-de-ville. Ces enrôlements étaient antiques de forme. Quatre tribunes, élevées aux quatre angles de la place, étaient occupées par des commissaires qui recevaient les engagements au bruit des instruments et aux acclamations de la foule. Des allocutions brûlantes enflammaient l'esprit des volontaires : « Citoyens, nous allons partir, dirent les orateurs de la section des Quinze-Vingts; vous êtes près du gouvernail, surveillez le pilote : il vaudrait mieux le jeter à la mer que de surveiller l'équipage. Le dix-neuvième siècle approche puissent à cette époque de 1800 tous les habitants de la terre, éclairés et affranchis, adresser à Dieu un hymne de reconnaissance et de liberté ! Demandez encore une fois à Louis XVI s'il veut être de cette fête universelle; nous lui réservons encore la première place au banquet. S'il s'y refuse, adieu ! Nos sacs sont prêts, notre adresse est l'éclair qui précède la foudre ! >>

Le contre-coup de ces convulsions extérieures se faisait sentir aux Jacobins, aux Cordeliers, et jusque dans l'Assemblée. Les séances se passaient à voir défiler des députations et à entendre des adresses. Les Marseillais, au nombre de cinq cents, vinrent déclarer par l'organe de leur orateur que le nom de Louis XVI

ne leur rappelait que trahison, et demander l'accusation des ministres et la déposition du roi. « Le peuple est levé, s'écria l'orateur des fédérés; il vous demande une réponse catégorique : pouvez-vous nous sauver ou non? »

Isnard, dans un discours ardent et incohérent comme les vociférations de la colère, lança au roi l'outrage, l'accusation, l'ignominie et la mort. Pétion, raisonnant froidement sa haine, lut à la barre avec l'autorité de sa magistrature l'adresse de la commune de Paris, qui n'était qu'un acte d'accusation contre le roi : « Nous ne vous retracerons pas, disait le maire de Paris, la conduite entière de Louis XVI depuis le commencement de la Révolution, ses projets sanguinaires contre la ville de Paris, sa prédilection pour les nobles et les prêtres, son aversion contre le peuple, l'Assemblée constituante outragée par les valets de la cour, investie par des hommes armés, errante au milieu d'une ville royale, et ne trouvant d'asile que dans un jeu de paume! Que de raisons n'avions-nous pas de l'écarter du trône, au moment où la nation fut maîtresse d'en disposer! Nous le lui laissâmes! Nous ajoutâmes à cette générosité tout ce qui peut relever, fortifier, embellir un trône! Il a tourné contre la nation tous ces bienfaits, il s'est entouré de nos ennemis, il a chassé les ministres citoyens qui avaient notre confiance, il s'est ligué avec ces émigrés qui méditent la guerre extérieure contre nous, avec ces prêtres qui conspirent au dedans la guerre civile; il a retenu nos armées prêtes à envahir la Belgique; il est le premier anneau de la chaîne contre-révolutionnaire il transporte Pilnitz au milieu de Paris, son nom lutte contre le nom de la nation; il a séparé ses intérêts de ceux de son peuple, séparons-nous de lui. Nous vous demandons sa déchéance! »

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A la séance du 5 août, Guadet lut des adresses des départements qui concluaient, comme celle de Pétion, à la déchéance du roi. Vaublanc s'éleva avec courage contre ces adresses inconstitutionnelles, et contre l'oppression des insultes et des menaces que la tribune et les pétitionnaires exerçaient sur la liberté des représentants de la nation. Condorcet justifia les termes de l'adresse de la commune de Paris sur la déchéance;

il fit, comme Danton, appel au peuple contre les riches. Les fédérés annoncèrent qu'ils avaient pris l'arrêté de cerner le château des Tuileries jusqu'à ce que l'Assemblée eût prononcé la déchéance.

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La cour cependant veillait. Les ministres passaient les nuits chez le roi avec quelques officiers municipaux en écharpe, pour ètre prêts à donner le caractère légal à la résistance. Des bruits de fuite circulaient dans le peuple. Le ministre de l'intérieur démentit ces rumeurs par une lettre officielle. « On répand avec << profusion dans Paris une note portant : « Cette nuit, vers deux <«< heures, le roi, en habit de paysan, est sorti du château ; il << s'est acheminé vers le pont tournant en suivant la grande « allée des Tuileries. La stature du monarque ne permet guère « de le méconnaître. La sentinelle l'a reconnu sur-le-champ. « Elle a crié aux armes. Le prince fugitif est retourné à toutes << jambes vers le château; il a écrit à l'instant au maire, qui << s'est rendu au château. Le roi lui a raconté l'événement à sa << manière. Suivant lui, il n'aurait tenté qu'une simple prome<«< nade. On dit que M. de Larochefoucauld l'attendait au châ<< teau pour le conduire en lieu de sûreté. » Le ministre attestait que le roi n'était pas sorti du château pendant la nuit, et que sa présence serait certifiée par les officiers municipaux que l'annonce d'une agression nocturne avait retenus auprès du roi au moment même où l'on signalait son évasion.

Le 6, la nouvelle du massacre de quatre administrateurs de Toulon consterna de nouveau l'Assemblée. On discuta ensuite la mise en accusation de La Fayette. La commission extraordinaire nommée pour instruire cette affaire conclut à l'accusation. Vaublanc justifia le général : « S'il avait eu des projets ambitieux ou criminels, il aurait songé d'abord, comme Sylla, César ou Cromwell, à fonder sa puissance sur des victoires. Cromwell a marché à la tyrannie en s'appuyant sur la faction dominante, La Fayette la combat; Cromwell forma un club d'agitateurs; La Fayette abhorre et poursuit les agitateurs; Cromwell fit périr son roi, La Fayette défend la royauté constitutionnelle. >>

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