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toyens. Il ne peut être couvert par ce contrat, auquel seul il faisait une tyrannique exception.

<< Et l'on invoque les lois en faveur de celui qui les a toutes détruites! Quelle procédure, quelle information voulez-vous faire de ses crimes, qui sont partout écrits avec le sang du peuple? Ne passa-t-il point avant le combat les troupes en revue? Ne prit-il pas la fuite au lieu de les empêcher de tirer sur la nation? Mais à quoi bon chercher des crimes? Il est telle âme généreuse qui dira dans un autre temps que le procès doit être fait à un roi, non pour les crimes de son gouvernement, mais pour le seul crime d'avoir été roi! Car la royauté est un crime pour lequel l'usurpateur est justiciable devant tout citoyen! Tous les hommes ont reçu de la nature la mission secrète d'exterminer la domination. On ne peut régner innocemment: tout roi est un rebelle. Et quelle justice pourrait lui faire le tribunal auquel vous remettriez son jugement? Aurait-il la faculté de lui restituer la patrie et de citer devant lui, pour lui faire réparation, la volonté générale? Citoyens, le tribunal qui doit juger Louis est un conseil politique. C'est le droit des nations qui juge les rois. N'oubliez pas que l'esprit dans lequel vous jugerez votre maître sera l'esprit dans lequel vous établirez votre république. La théorie de votre jugement sera celle de vos magistratures. La mesure de votre philosophie dans ce jugement sera aussi la mesure de votre liberté dans votre constitution. A quoi bon même un appel au peuple? Le droit des hommes contre les rois est personnel. Le peuple tout entier ne saurait contraindre un seul citoyen à pardonner à son tyran Mais hâtez-vous ! car il n'est pas de citoyen qui n'ait sur lui le droit qu'avait Brutus sur César! le droit d'Ankarstroem sur Gustave! Louis est un autre Catilina. Le meurtrier jurerait, comme le consul de Rome, qu'il a sauvé la patrie en l'immolant. Vous avez vu ses desseins perfides, vous avez compté son armée; le traître n'était pas le roi des Français, mais le roi de quelques conjurés. Il faisait des levées de troupes; il avait des ministres particuliers; il avait proscrit secrètement tous les gens de bien et de courage; il est le meurtrier de Nancy, de Courtrai, du Champ de Mars, des Tuileries. Quel ennemi étranger nous a

fait plus de mal ? Et l'on cherche à remuer la pitié! On achètera bientôt des larmes comme aux enterrements de Rome! Prenez garde à vos cœurs ! Peuple! si le roi est jamais absous, souvienstoi que nous ne sommes plus dignes de ta confiance, et ne vois en nous que des traîtres! >>

V

La Montagne s'appropria ces paroles par l'enthousiasme avec lequel elle les applaudit. On eût dit qu'une main hardie venait de déchirer le nuage des lois écrites, et de faire apparaître la juridiction du glaive sur le front de tous les rois. Fauchet, bravant le délire de l'Assemblée, prononça, mais sans pouvoir les faire entendre, de courageuses paroles sur l'inutilité de la mort et sur la vertu politique de la magnanimité. «< Non, conservons, dit-il, cet homme criminel qui fut roi. Qu'il reste un spectacle vivant de l'absurdité et de l'avilissement de la royauté. Nous dirons aux nations : « Voyez-vous cette espèce d'homme <«< anthropophage qui se faisait un jeu de nous, de vous? C'était <«< un roi. Aucune loi antérieure n'avait prévu son crime. Il a passé les bornes des attentats prévus dans notre Code pénal. <«< La nation se venge en lui infligeant un supplice plus terrible <«< que la mort : elle l'expose à perpétuité à l'univers, en le pla<«< cant sur un échafaud d'ignominie.

Grégoire, dans une des séances suivantes, attaqua la théorie de l'inviolabilité des rois. « Cette fiction ne survit pas à la fiction constitutionnelle qui la crée. » Il demanda non la mort, mais le jugement avec toutes ses conséquences, fût-ce la mort ; et il préjugea l'arrêt par ces paroles terribles: «Est-il un parent, un ami de nos frères immolés sur nos frontières, qui n'ait le droit de traîner son cadavre aux pieds de Louis XVI et de lui dire « Voilà ton ouvrage !» Et cet homme ne serait pas justiciable du peuple?

« Je réprouve la peine de mort, continua Grégoire, et j'espère que ce reste de barbarie disparaîtra de nos lois. Il suffit à la société que le coupable ne puisse plus nuire. Vous le condamncrez, sans doute, à l'existence, afin que le remords et l'hor

reur de ses forfaits le poursuivent dans le silence de sa captivité. Mais le repentir est-il fait pour les rois? L'histoire qui burinera ses crimes pourra le peindre d'un seul trait. Aux Tuileries, le 10 août, des milliers d'hommes étaient égorgés, le bruit du canon annonçait un carnage effroyable; et ici, dans cette salle, il mangeait !... Ses trahisons ont enfin amené notre délivrance. L'impulsion est donnée au monde. La lassitude des peuples est à son comble. Tous s'élancent vers la liberté. Le volcan va faire explosion et opérer la résurrection politique du globe. Qu'arriverait-il si, au moment où les peuples vont briser leurs fers, vous proclamiez l'impunité de Louis XVI? L'Europe douterait de votre intrépidité, et les despotes reprendraient confiance dans cette maxime de notre servitude, qu'ils tiennent leur couronne de Dieu et de leur épée ! »

De nombreuses adresses des départements et des villes furent lues dans les séances suivantes, demandant toutes la tête de l'assassin du peuple. Le premier besoin de la nation ne semblait pas tant de se défendre que de se venger.

VI

Un étranger siégeait parmi les membres de la Convention nationale: c'était le philosophe Thomas Payne. Né en Angleterre, mêlé aux luttes de l'indépendance américaine, ami de Franklin, auteur du Bon sens, des Droits de l'homme et de l'Age de raison, trois pages de l'évangile nouveau, dans lesquelles il avait rappelé les institutions politiques et les croyances religieuses à la justice et à la lumière primitives, son nom avait une grande autorité parmi les novateurs des deux mondes. Sa réputation lui avait servi de naturalisation en France. La nation qui pensait, qui combattait alors non pour elle seule, mais pour l'univers tout entier, reconnaissait pour compatriotes tous les zélateurs de la raison et de la liberté. Le patriotisme de la France, comme celui des religions, n'était ni dans la communauté de langue ni dans la communauté des frontières, mais dans la communauté des idées. Payne, lié avec madame Roland, avec Condorcet et Brissot, avait été élu par la ville de Calais.

Les Girondins le consultaient et l'avaient introduit au comité de législation. Robespierre lui-même affectait pour le radicalisme cosmopolite de Payne le respect d'un néophyte pour des idées qui viennent de loin.

Payne avait été comblé d'égards par le roi lorsqu'il était venu à Paris pour implorer le secours de la France en faveur de l'Amérique. Louis XVI avait fait don de six millions à la jeune république. Payne n'eut ni la mémoire ni la convenance de sa situation. Ne pouvant s'énoncer en français à la tribune, il écrivit et fit lire à la Convention une lettre ignoble dans les termes, cruelle dans l'intention: longue injure jetée jusqu'au fond du cachot à l'homme dont il avait jadis sollicité la généreuse assistance et à qui il devait le salut de sa patrie adoptive. « Considéré comme individu, cet homme n'est pas digne de l'attention de la république; mais, comme complice de la conspiration contre les peuples, vous devez le juger, disait Payne. A l'égard de l'inviolabilité, il ne faut faire aucune mention de ce motif. Ne voyez plus dans Louis XVI qu'un homme d'un esprit borné, mal élevé comme tous ses pareils, sujet, dit-on, à de fréquents excès d'ivrognerie, et que l'Assemblée constituante rétablit imprudemment sur un trône pour lequel il n'était pas fait. >>

L'ingratitude s'exprimait en outrages. La philosophie se dégradait au-dessous du despotisme dans le langage de Payne. Madame Roland et ses amis applaudirent à la rudesse républicaine de cet acte et de ces expressions. La Convention ordonna à l'unanimité l'impression de cette lettre.

VII

Le duc d'Orléans, qu'Hébert avait baptisé la veille à la commune du nom de Philippe-Égalité, et qui avait accepté ce nom pour dépouiller jusqu'aux syllabes qui rappelaient la race de Bourbon, monta à la tribune après la lecture de la lettre de Thomas Payne. « Citoyens, dit-il, ma fille, âgée de quinze ans, a passé en Angleterre au mois d'octobre 1791, avec la citoyenne de Genlis-Sillery, son institutrice, et deux jeunes personnes

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