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plus dévoués parmi les bataillons de garde nationale de chaque section; à prendre des mesures pour que ces hommes, indiqués comme par le hasard, se trouvassent au jour marqué composer la majorité dans le détachement de garde à la tour du Temple ; à faire désarmer par ces conspirateurs déguisés le reste du détachement pendant la nuit; à délivrer la famille royale et à la conduire par des relais préparés jusqu'à Dieppe, où une barque de pêcheur l'attendrait et la porterait en Angleterre avec ses principaux libérateurs.

Toulan, intrépide et infatigable dans son zèle, muni de sommes considérables qu'un signe du roi avait mises à sa disposition dans Paris, mûrissait son plan dans le mystère, transmettait à la reine les trames de ses partisans, reportait au dehors les intentions du roi, sondait avec réserve les principaux chefs de parti à la Convention et dans la commune, essayait de deviner partout des complicités secrètes, même chez Marat, chez Robespierre et chez Danton; tentait la générosité des uns, la cupidité des autres, et de jour en jour plus heureux dans ses entreprises et plus certain du succès, comptait déjà plusieurs gardiens de la tour et cinq membres de la commune parmi les complices de ses périlleux desseins. De ce côté un rayon pénétrait donc dans l'ombre de la prison et entretenait dans l'âme des captifs sinon l'espérance, du moins le rêve de la liberté.

LIVRE TRENTE - TROISIÈME

Les Jacobins forcent les Girondins à se prononcer dans le procès du roi. Saint-Just. Son portrait. · Il demande la mort du roi. La

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Sa pensée.

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Thomas Payne. Disette à Paris.

Montagne.
clergé salarié. L'armoire de fer. Dénonciations.

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- Le La populace

Robespierre de

Vergniaud lutte pour la vie

autour du Temple. Madame Roland à la barre.
mande que le roi soit jugé sans appel.
du roi.

I

Cependant les Jacobins étaient pressés d'arracher aux Girondins, à la face du peuple, leur secret sur la vie ou la mort du roi. Impatients de s'armer contre eux du soupçon de royalisme, il leur fallait la discussion immédiate sur ce grand texte pour ranger leurs ennemis parmi les faibles ou parmi les traîtres. Ils connaissaient la répugnance de Vergniaud à cette immolation de sang-froid à la vengeance plus qu'au salut de la république. Ils suspectaient les intentions de Brissot, de Sieyès, de Pétion, de Condorcet, de Guadet, de Gensonné. Ils brûlaient de voir éclater au grand jour ces répugnances et ces scrupules, pour en faire un signe de réprobation contre les amis de Roland. Le procès du roi allait séparer les faibles des forts; le peuple demandait ce jugement comme une satisfaction, les partis comme un dernier combat, les ambitieux comme le gage du gouvernement de la république entre leurs mains.

II

Pétion demanda le premier à la Convention que la question d'inviolabilité du roi fût posée, et qu'on délibérât avant tout sur ce préliminaire indispensable à tout jugement : « Le roi peut il

être jugé? » Morisson prétendit que l'inviolabilité déclarée par la constitution de 1791 couvrait la personne du souverain contre tout autre jugement que le jugement de la victoire, et que toute violence de sang-froid contre sa vie serait un crime. » Si, le 10 août, dit-il, j'avais trouvé Louis XVI le poignard à la main, couvert du sang de mes frères, si j'avais vu bien clairement, ce jour-là, que c'était lui qui avait donné l'ordre d'égorger les citoyens, j'aurais été le frapper moi-même. Mais plusieurs mois se sont écoulés depuis ce jour. Il est entre nos mains, il est sans armes, sans défense, et nous sommes Français. Cette situation est la loi des lois. »

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Saint-Just se leva à ces mots. Saint-Just était dès lors comme la pensée de Robespierre, que Robespierre faisait marcher à quelques pas en avant de lui. Ce jeune homme, muet comme un oracle et sentencieux comme un axiome, semblait avoir dépouillé toute sensibilité humaine pour personnifier en lui la froide intelligence et l'impitoyable impulsion de la Révolution. Il n'avait ni regards, ni oreilles, ni cœur pour tout ce qui lui paraissait faire obstacle à l'établissement de la république universelle. Rois, trônes, sang, femmes, enfants, peuples, tout ce qui se rencontrait entre ce but et lui disparaissait ou devait disparaître. Sa passion avait, pour ainsi dire, pétrifié ses entrailles. Sa logique avait contracté l'impassibilité d'une géométrie et la brutalité d'une force matérielle. C'était lui qui, dans des conversations intimes et longtemps prolongées dans la nuit sous le toit de Duplay, avait le plus combattu ce qu'il appelait les faiblesses d'âme de Robespierre et sa répugnance à verser le sang du roi. Immobile à la tribune, froid comme une idée, ses longs cheveux blonds tombant des deux côtés sur son cou, sur ses épaules, le calme de la conviction absolue répandu sur ses traits presque féminins, comparé au saint Jean du Messie du peuple par ses admirateurs, la Convention le contemplait avec. cette fascination inquiète qu'exercent certains êtres placés aux limites indécises de la démence ou du génie. Attaché aux pas de Robespierre seul, Saint-Just se communiquait peu aux au

tres. Il sortait de sa place à la Convention pour apparaître comme un précurseur des opinions de son maître. Son discours fini, il y rentrait silencieux et impalpable, non comme un homme, mais comme une voix.

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« On vous dit, murmura froidement Saint-Just, que le roi doit être jugé en citoyen ; et moi j'entreprends de vous prouver qu'il doit être jugé en ennemi. Nous n'avons pas à le juger; nous avons à le combattre. La plus funeste des lenteurs que nos ennemis nous recommandent serait celle qui nous ferait temporiser avec le roi. Un jour des peuples, aussi éloignés de nos préjugés que nous le sommes des préjugés des Vandales, s'étonneront qu'un peuple ait délibéré pour savoir s'il avait le droit de juger ses tyrans. On s'étonnera qu'au dix-huitième siècle on ait été moins avancé que du temps de César. Le tyran fut immolé en plein sénat, sans autre formalité que vingt-deux coups de poignard, sans autre loi que la liberté de Rome; et aujourd'hui on fait avec respect le procès d'un homme, assassin du peuple, pris la main dans le sang, la main dans le crime! Ceux qui attachent quelque importance au juste châtiment d'un roi ne feront jamais une république. Parmi nous la mollesse des caractères est un grand obstacle à la liberté. Les uns semblent craindre dans cette occasion de porter un jour la peine de leur courage. Les autres n'ont point renoncé finalement à la monarchie. Ceux-ci craignent un exemple de vertu qui serait un lien de responsabilité commune et d'unité de la république. Citoyens, si le peuple romain, après six cents ans de vertu et de haine des rois, si l'Angleterre, après Cromwel mort, virent renaître les rois malgré leur énergie, que ne doivent pas craindre les bons citoyens en voyant la hache trembler dans nos mains, et un peuple, dès le premier jour de sa liberté, respecter le souvenir de ses fers! On parle d'inviolabilité! Elle existait, peut-être, cette inviolabilité mutuelle, de citoyen à citoyen; mais de peuple à roi il n'y a plus de rapport naturel. Le roi était en dehors du contrat social qui unissait entre eux les ci

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