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ne se prononcent jamais assez pour être entraînés dans la chute du parti même qu'ils ont adopté, se leva du milieu de la Plaine pour demander la parole. Jeune, élégant de formes, d'une stature élevée, d'un geste libre, d'une parole fluide, on voyait dans sa physionomie ce mélange de réserve et d'audace qui caracté rise les Séjans tout l'extérieur de l'inspiration couvrant tout le calcul de l'égoïsme. Ces hommes sont les limiers des grands ambitieux; mais avant de se donner à eux, ils veulent faire sentir leur importance, afin qu'on les estime un plus haut prix. Tel était Barère : caractère de haute comédie jeté, par une méprise de la destinée, dans la tragédie.

XIV

Barère, né à Tarbes d'une famille respectable, avocat à Toulouse, lettré à Paris, décorant son nom plébéien du nom de Vieuzac, avait apporté du fond de sa province ce nom, ces formes, ce langage, qui ouvraient les salons et qui étaient alors une sorte de candidature naturelle à toutes les fortunes. Madame de Genlis l'avait accueilli et introduit dans la familiarité du duc d'Orléans. Ce prince, pour l'attacher à sa maison, lui avait confié la tutelle d'une jeune Anglaise d'une extrême beauté qui passait pour sa fille naturelle. Madame de Genlis donnait à cette pupille des soins de mère. Elle se nommait Paméla. Barère était gracieux, éloquent. Sa philosophie sentimentale ressemblait à une parodie de Bernardin de Saint-Pierre. La teinte pastorale des montagnes où il était né se réfléchissait sur ses écrits. Les salons, les théâtres, les académies affectaient alors cette mollesse ; c'était comme la langueur de l'agonie de cette société mourante. Elle croyait se rajeunir en se puérilisant; mais c'était la puérilité de la vieillesse. Barère, Robespierre, Couthon, Marat, Saint-Just, toutes ces âmes si âpres avaient commencé par être fades.

Bailly, Mirabeau, le dục d'Orléans avaient été les patrons de Barère pour le faire nommer à l'Assemblée nationale. Il y avait rempli avec assiduité et talent un rôle plus littéraire que politique; il avait semé ses nombreux rapports de maximes philoso

phiques; il avait ensuite rédigé le Point du jour et demandé un des premiers la république, quand il avait vu le trône chanceler. Dans la journée du 10 août, envoyé avec Grégoire au-devant du roi dans le jardin des Tuileries, il avait porté avec sollicitude dans ses bras le jeune Dauphin. Nommé à la Convention, ses opinions républicaines, ses études, ses liaisons, son origine méridionale, son talent plus fleuri que populaire, semblaient devoir l'attacher aux Girondins. Il penchait en effet de leur côté pendant les premiers jours; il croyait à leur génie, il admirait leur éloquence, il sentait la dignité de leur esprit, il goûtait la modération de leur système. Mais il avait vu la force du peuple au 10 août et au 2 septembre, le regard du lion l'avait fasciné. Il avait peur de Marat, Danton l'étonnait, il se défiait de Robespierre. L'étoile de ces trois hommes pouvait avoir des retours. Il ne voulait pas se dévouer en victime à leur vengeance, s'ils venaient à triompher.

Il s'était placé à égale distance des deux partis, au centre, qu'on appelait la Plaine : médiateur ou auxiliaire tour à tour, selon le jour, selon la majorité. Cette Plaine, composée d'hommes prudents ou d'hommes médiocres, qui se taisaient par pru- dence ou par médiocrité, avait besoin d'un orateur. Barère s'offrit. Il se levait pour la première fois, et l'on retrouvait dans son attitude, dans son acte et dans ses paroles, toute l'hésitation équivoque des âmes qui empruntaient sa voix :

<< Citoyens, dit Barère, en voyant descendre à la barre Barbaroux, un de nos collègues, je ne puis m'empêcher de m'opposer à ce qu'il soit entendu. Veut-il être pétitionnaire? I oublie donc qu'il doit juger comme député les pétitions qu'il formulerait comme citoyen? Veut-il être accusateur? Ce n'est pas à la barre, c'est ici ou devant les tribunaux qu'il doit s'expliquer. Que signifient toutes ces accusations de dictature. et de triumvirat? Ne donnons pas d'importance à des hommes que l'opinion publique saura mettre à leur place. Ne faisons pas de piédestaux à des pygmées! Citoyens! s'il existait dans la république un homme né avec le génie de César ou l'audace de Cromwell, un homme qui, avec le talent de Sylla, en aurait les dangereux moyens, un tel homme pourrait être à craindre,

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et je viendrais l'accuser devant vous. S'il existait ici quelque législateur d'un grand génie ou d'une ambition vaste, je demanderais d'abord s'il a une armée à ses ordres, ou un trésor public à sa disposition, ou un grand parti dans le sénat ou dans la république. Mais des hommes d'un jour, de petits entrepreneurs de révolutions, des politiques qui n'entreront jamais dans le domaine de l'histoire, ne sont pas faits pour occuper le temps précieux que nous devons à la nation. » On applaudit. Il propose l'ordre du jour, signe de mépris. « Gardez votre ordre du jour, répond sèchement Robespierre, je n'en veux pas, s'il doit contenir un préambule injurieux contre moi!» La. Convention vote l'indifférence et la neutralité entre les accusateurs et l'accusé. « Périssent les ambitieux, et avec eux nos soupçons et nos défiances! » s'écrie Rabaut Saint-Étienne.

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XV

La nouvelle du triomphe de Robespierre se répandit comme une joie publique dans la foule qui se pressait aux abords des Tuileries pour plaindre ou pour venger son tribun. La présence de Robespierre ramena le soir l'affluence aux Jacobins. A son entrée dans la salle, les spectateurs battirent des mains. «< Que Robespierre parle, dit Merlin; lui seul peut rendre compte de ce qu'il a fait aujourd'hui. Je connais Robespierre, dit un membre du club, je suis sûr qu'il se taira. Ce jour est le plus beau qu'ait vu éclore la liberté. Robespierre, accusé, persécuté comme un factieux, triomphe. Son éloquence mâle et naïve a confondu ses ennemis. La vérité guide sa plume et son cœur. Barbaroux s'est réfugié à la barre. Le reptile ne pouvait soutenir les regards de l'aigle. »

Manuel demande à lire le discours qu'il avait préparé pour défendre Robespierre. « Robespierre n'est point mon ami, ditil dans ce discours. Je ne lui ai presque jamais parlé, et je l'ai combattu dans le moment de sa plus grande puissance. Mais il est sorti vierge de l'Assemblée constituante. Toujours assis à côté de Pétion, ces deux hommes étaient les généraux de la liberté. Robespierre peut nous dire ce que disait un Romain:

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