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nous laissons du temps à la cour, dit Roland. La Fayette est venu révéler à Paris, par sa présence dictatoriale, le secret des trahisons qu'il médite à l'armée du Nord. L'armée du Centre n'a ni comité, ni dévouement, ni général. Dans six semaines les Autrichiens seront à Paris ! »

On déroula des cartes, on étudia les positions, les lignes des fleuves, les escarpements des montagnes, les défilés qui pouvaient présenter les obstacles les plus infranchissables à l'invasion de l'étranger. On dessina des camps de réserve destinés à couvrir successivement les lignes secondaires, quand les principales seraient forcées. Enfin on résolut de presser l'arrivée des bataillons de Marseille pour exécuter le décret du camp sous Paris, et pour prévenir par une insurrection décisive l'effet des trames de la cour. Il fut convenu que Pétion, nécessaire au mouvement projeté par l'ascendant de son nom et nécessaire à la mairie pour paralyser toute résistance de la municipalité et de la garde nationale au complot, garderait ce rôle de neutralité légale et hypocrite si utile aux projets des agitateurs. Barbaroux, dînant chez lui quelques jours après, lui dit tout haut qu'il ne tarderait pas à être prisonnier dans sa maison. Pétion comprit et sourit. Sa femme feignit de s'alarmer. << Tranquillisez-vous, madame! reprit Barbaroux ; si nous enchaînons Pétion, ce sera auprès de vous et avec des rubans tricolores. >>>

Carra avertit également Pétion qu'on le mettrait en règle avec ses devoirs officiels de maire, en lui donnant une garde de sûreté qui lui ferait un semblant de violence et qui l'empêcherait d'agir au moment de l'insurrection. Pétion accepta tellement ce rôle dans cette comédie de légalité, qu'il se plaignit après l'événement de ce que les conjurés avaient tardé de le faire arrêter, et qu'il envoya plusieurs fois lui-même presser l'arrivée des détachements d'insurgés qui devaient simuler son arrestation. Madame Roland fut l'âme, Pétion le moyen, Barbaroux, Danton, Santerre, les meneurs du mouvement.

Les conspirateurs cherchèrent quelques jours un général capable d'imprimer une direction militaire à ces forces indisciplinées et de créer l'armée du peuple contre l'armée de la cour.

Ils jetèrent les yeux sur Montesquiou, général de l'armée des Alpes, qui se trouvait en ce moment à Paris, où il venait solliciter des renforts. Montesquiou, ambitieux de gloire, de dignités, de fortune, attaché par sa naissance au parti de la cour, par ses principes et par les perspectives que la Révolution ouvrait à sa fortune au parti du peuple, paraissait à Danton un de ces hommes qui peuvent se laisser tenter aussi bien par un grand service à rendre à la liberté que par un grand service à rendre au trône. Roland et ses amis eurent une conférence avec ce général, chez Barbaroux. Ils lui dévoilèrent une partie de leurs plans. Montesquiou les écouta sans étonnement et sans répugnance, mais il ne se décida point. Ils crurent que la cour avait pris les devants et que Montesquiou, doutant du résultat de cette dernière lutte entre le peuple et le roi, voulait rester indécis comme le hasard et libre comme l'événement. Ils le quittèrent sans rompre avec lui, et se décidèrent à ne donner au peuple d'autre tactique que sa fureur et d'autre général que la fortune.

XV

Le lendemain, 29 juillet, les Marseillais arrivèrent à Charenton. Barbaroux, Bourdon de l'Oise, Merlin, Santerre, allèrent à leur rencontre, accompagnés de quelques hommes d'action des Jacobins et des faubourgs. Un banquet fraternel réunit les Marseillais et les conjurés de Paris. Les mains se serrèrent, les voix se confondirent. Les chefs venaient de trouver leur armée, l'armée venait de trouver ses chefs. L'action ne pouvait tarder. Après le banquet, où l'enthousiasme qui dévorait les âmes éclata dans les notes du chant de Rouget de Lisle, les conjurés congédièrent pour quelques heures les Marseillais logés chez les principaux patriotes de Charenton. Ils se rendirent à la faveur de la nuit dans une maison isolée du village, entourée de jardins, et qui servait depuis plusieurs mois d'asile mystérieux à leurs conciliabules. Santerre, Danton, Fabre d'Églantine, Panis, Huguenin, Gonchon, Marat, Alexandre, Camille Desmoulins, Varlet, Lenfant, Barbaruox et quelques autres hommes d'exécution s'y trouvèrent. C'était dans cette maison

que toutes les journées de la Révolution avaient eu leur veille. On y sonnait l'heure, on y donnait le mot d'ordre. Des délibérations intimes, mais souvent orageuses, précédaient ces résolutions. Des ruelles désertes et de larges champs cultivés par les maraîchers des faubourgs séparaient la maison des conjurés des autres habitations, en sorte que le concours des conspirateurs ne pouvait être aperçu, et que les vociférations se perdaient dans l'espace. Les portes et les volets toujours fermés donnaient à cette demeure l'apparence d'une maison de campagne inhabitée. Le concierge n'en ouvrait la porte que la nuit et sur des signes de reconnaissance convenus.

Il était plus de minuit quand les meneurs s'y rendirent par des sentiers différents, la tête encore échauffée des hymnes patriotiques et des fumées du vin. Par une de ces étranges coïncidences qui semblent quelquefois associer les grandes crises de la nature aux grandes crises des empires, un orage éclatait en ce moment sur Paris. Une chaleur lourde et morte avait tout le jour étouffé la respiration. D'épais nuages, marbrés vers le soir de teintes sinistres, avaient comme englouti le soleil dans un océan suspendu. Vers les dix heures, l'électricité s'en dégagea par des milliers d'éclairs semblables à des palpitations lumineuses du ciel. Les vents, emprisonnés derrière ce rideau de nuages, s'en dégagèrent avec le rugissement des vagues, courbant les moissons, brisant les branches des arbres, emportant les toits. La pluie et la grêle retentirent sur le sol comme si la terre eût été lapidée d'en haut. Les maisons se fermèrent, les rues et les routes se vidèrent en un instant. La foudre, qui ne cessa d'éclater et de frapper pendant huit heures de suite, tua plusieurs de ces hommes et de ces femmes qui viennent la nuit approvisionner Paris. Des sentinelles furent trouvées foudroyées dans la cendre de leur guérite. Des grilles de fer, tordues par le vent ou par le feu du ciel, furent arrachées des murs où elles étaient scellées par leurs gonds et emportées à des distances incroyables. Les deux dômes naturels qui s'élèvent au-dessus de l'horizon de la campagne de Paris, Montmartre et le mont Valérien, soutirèrent en plus grande masse ce fluide amoncelé dans les nues qui les enveloppaient. Le tonnerre, s'at

tachant de préférence à tous les monuments isolés et couronnés de fer, abattit toutes les croix qui s'élevaient dans la campagne au carrefour des routes, depuis la plaine d'Issy et les bois de Saint-Germain et de Versailles jusqu'à la croix du pont de Charenton. Le lendemain, les tiges et les bras de ces croix jonchaient partout le sol, comme si une armée invisible eût renversé sur son passage tous les signes répudiés du culte chrétien.

XVI

C'est au bruit de ces foudres que les conjurés de Charenton délibérèrent le renversement du trône. Danton, Huguenin, Alexandre, Gonchon, Camille Desmoulins, plus en rapport avec les quartiers de Paris, répondirent des dispositions insurrectionnelles du peuple.

Santerre promit que quarante mille hommes des faubourgs se porteraient, le lendemain, au-devant des Marseillais, comme pour fraterniser avec eux. On convint de placer les fédérés phocéens au centre de cette formidable colonne, et de la faire défiler des faubourgs sur les quais. Sur l'ordre de Pétion complice, un train d'artillerie faiblement gardé devait être placé sur la route des Marseillais, de manière à être enlevé par eux. Mille insurgés devaient se détacher de la colonue principale, pendant qu'elle filerait vers le Louvre, entourer l'Hôtel de ville, paralyser Pétion et favoriser l'arrivée de nouveaux commissaires des sections, qui viendraient déposer la municipalité, en installer une nouvelle, et donner ainsi le caractère légal au mouvement. Quatre cents hommes iraient arrêter le directoire du département. L'Arsenal, la halle aux blés, les Invalides, les hôtels des ministres, les ponts sur la Seine, seraient occupés par des postes nombreux. L'armée du peuple, divisée en trois corps, s'avancerait sur les Tuileries. Elle camperait dans le Carrousel et dans le jardin avec du canon, des vivres, des tentes; elle s'y fortifierait par des coupures, des barricades, des redoutes de campagne; elle intercepterait ainsi toutes les communications entre le château et ses défenseurs du dehors, s'il devait s'en présenter. La faible garde suisse des Tuileries n'essayerait pas

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de lutter contre une armée innombrable pourvue d'artillerie. On n'attaquerait pas les autres régiments suisses dans leurs casernes; on se contenterait de les cerner et de leur dire d'attendre, immobiles, la manifestation de la volonté nationale. On ne pénétrerait pas de force dans le château, on bloquerait seulement la royauté dans son dernier asile; et, à l'imitation du peuple romain quand il se retirait sur le mont Aventin, on enverrait un plébiscite à l'Assemblée pour lui signifier que le peuple, campé autour des Tuileries, ne déposerait les armes qu'après que la représentation nationale aurait pourvu aux dangers de la patrie et assuré la liberté. Aucun désordre, aucune violence, aucun pillage ne seraient impunis; aucun sang ne coulerait. Le détrônement s'accomplirait avec ces imposantes démonstrations de force qui, en décourageant toute résistance, enlèvent le prétexte et l'occasion de tout excès. Ce serait un acte de la volonté du peuple, grand, pur et irrésistible comme lui. Tel était le plan des Girondins, écrit au crayon par Barbaroux, copié par Fournier l'Américain, un des chefs des Marseillais, et adopté par Danton et par Santerre.

XVII

Les conspirateurs s'entre-jurèrent de l'exécuter le lendemain ; et, pour se prémunir réciproquement contre la révélation d'un traître, s'il pouvait y avoir un traître parmi eux, ils convinrent de se surveiller mutuellement. Chaque chef marseillais prit avec lui un des chefs parisiens, chaque meneur parisien s'adjoignit un officier marseillais: Héron avec Rebecqui, Barbaroux avec Bourdon, et ainsi des autres, afin que la trahison, de quelque côté qu'elle vînt, eût à l'instant son vengeur dans le complice même qu'elle aurait choisi. Quant à la décision de l'Assemblée nationale, on s'abstint de la préjuger, de peur de faire naître des divisions au moment où l'unanimité était nécessaire. Il faut que le but des partis soit vague et indécis comme les passions et les chimères de chacun de ceux qui les composent. On diminue tout ce qu'on précise. Ne rien définir et tout espérer, c'est le prestige des révolutions.

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