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de ce qu'on l'avait laissée dormir pendant les alarmes du chàteau. «Ma sœur Élisabeth était près du roi, et je dormais! s'écria-t-elle. Je suis sa femme, et je ne veux pas qu'il coure un danger sans que je le partage! »

C'est dans ces jours de trouble que le roi recueillit et cacha les papiers découverts depuis dans l'armoire de fer. On sait que ce prince, plus homme que roi, se délassait des soucis du trône par des travaux de main, et qu'il excellait dans le métier de la serrurerie. Pour se perfectionner dans son art, il avait admis depuis dix ans dans sa familiarité un serrurier nommé Gamain. Le roi et l'ouvrier étaient amis comme des hommes qui passent des heures ensemble, et qui échangent dans l'intimité bien des pensées. Louis XVI croyait à la fidélité de son compagnon de travail. Il lui confia le soin de pratiquer dans l'épaisseur du mur d'un corridor obscur qui desservait son appartement une ouverture recouverte d'une porte en fer et masquée avec art par des boiseries. Là, le roi enfouit des papiers politiques importants et les correspondances secrètes qu'il avait entretenues avec Mirabeau, Barnave et les Girondins. Il crut le cœur de Gamain aussi sûr et aussi muet que la muraille à laquelle il livrait ses secrets. Gamain fut un traître et dénonça plus que son roi, il dénonça son compagnon et son ami.

XII

Le jour de la fédération, Louis XVI se rendit avec la reine et ses enfants au Champ de Mars. Des troupes indécises l'escortaient. Un peuple immense entourait l'autel de la patrie. Les cris de «< Vive Pétion ! » insultèrent le roi à son passage. La reine tremblait pour les jours de son mari. Le roi marcha à la gauche du président de l'Assemblée vers l'autel à travers la foule. La reine, inquiète, le suivait des yeux, croyant à chaque instant le voir immoler par les milliers de baïonnettes et de piques sous lesquelles il avait à passer. Ces minutes furent pour elle des siècles d'angoisses. Il y eut au pied de l'autel de la patrie un mouvement de confusion, produit par le flux et le reflux de la foule, dans lequel le roi disparut. La reine le crut

frappé et poussa un cri d'horreur. Le roi reparut. Il prêta le serment civique. Les députés qui l'entouraient l'invitèrent à mettre le feu de sa propre main à un trophée expiatoire qui réunissait tous les symboles de la féodalité, pour le réduire en cendres. La dignité du roi se souleva contre le rôle qu'on voulait lui imposer. Il s'y refusa en disant que la féodalité était détruite en France par la constitution mieux que par le feu. Les députés Gensonné, Jean Debry, Garreau et Antonelle allumèrent seuls le bûcher aux applaudissements du peuple. Le roi rejoignit la reine et rentra dans son palais à travers un peuple taciturne. Les dangers de cette journée évanouis lui en laissaient envisager de plus terribles. Il n'avait gagné qu'un jour.

XIII

Le lendemain, un des grands agitateurs de 89, le premier provocateur des États-généraux, Duval d'Éprémesnil, devenu odieux à la nation parce qu'il n'avait voulu de la Révolution qu'au profit des parlements, et qu'une fois les parlements attaqués il s'était rangé du parti de la cour, fut rencontré sur la terrasse des Feuillants par des groupes de peuple qui l'insultèrent et le désignèrent à la fureur des Marseillais. Atteint de plusieurs coups de sabre, abattu sous les pieds des assassins, traîné tout sanglant par les cheveux dans le ruisseau de la rue. Saint-Honoré vers un égout, on allait l'y jeter ; quelques gardes nationaux l'arrachèrent mourant des mains des meurtriers et le portèrent au poste du Palais-Royal. La foule, altérée de sang, assiégeait les portes du corps de garde. Pétion averti accourut, se fit jour, entra au poste, contempla d'Éprémesnil longtemps en silence, les bras croisés sur sa poitrine, et s'évanouit d'horreur à la vue de ce sinistre retour de l'opinion. Quand le maire de Paris eut repris ses sens, l'infortuné d'Éprémesnil se souleva péniblement du lit de camp où il était étendu. «Et moi aussi, monsieur, dit-il à Pétion, j'ai été l'idole du peuple, et vous voyez ce qu'il a fait de moi! Puisse-t-il vous réserver un autre sort!» Pétion ne répondit rien, des larines roulèrent dans

ses yeux; il eut de ce jour le pressentiment de l'inconstance et de l'ingratitude du peuple.

D'autres assassinats, aussi soudains que la main de la multitude, révélaient une fièvre sourde, dont les accès ne tardèrent pas à éclater en actes plus tragiques et plus généraux. Un prêtre qui avait prêté, puis rétracté son serment constitutionnel, fut pendu à la lanterne d'un réverbère sur la place Louis XV. Un garde du corps, qui traversait le jardin des Tuileries et qui regardait avec attendrissement le palais de ses anciens maîtres changé en prison, fut trahi par ses larmes, saisi par une foule de femmes et d'enfants de quinze à seize ans, traîné sur le sable et noyé avec des raffinements de barbarie dans le bassin du jardin, sous les fenêtres du roi.

La garde nationale réprimait mollement ces attentats; elle sentait sa force morale lui échapper à l'approche des Marseillais. Placée entre les excès du peuple et les trahisons imputées à la cour, en sévissant contre les uns elle craignait d'avoir l'air de protéger les autres. Sa situation était aussi fausse que celle du roi, placé lui-même entre la nation et les étrangers. La cour sentait son isolement et recrutait secrètement des défenseurs pour la crise qu'elle envisageait sans trop d'effroi. Les Suisses, troupe mercenaire mais fidèle; la garde constitutionnelle récemment licenciée, mais dont les officiers et les sousofficiers soldés en secret étaient retenus à Paris pour se rallier dans l'occasion; cinq ou six cents gentilshommes appelés de leurs provinces par leur dévouement chevaleresque à la monarchie, répandus dans les différents hôtels garnis du quartier des Tuileries, munis d'armes cachées sous leurs habits, et ayant chacun un mot d'ordre et une carte d'entrée qui leur ouvraient le château les jours de rassemblement; des compagnies d'hommes du peuple et d'anciens militaires à la solde de la liste civile, et commandés par M. d'Augremont, au nombre de cinq ou six cents hommes; de plus, l'immense domesticité du château; les bataillons de garde nationale des quartiers dévoués au roi, tels que ceux de la Butte-des-Moulins, des Filles (SaintThomas; un corps de gendarmerie à cheval composé de soldats d'élite, choisis dans les régiments de cavalerie; enfin, un

noyau de troupes de ligne cantonnées dans les environs de Paris; toutes ces forces réunies au nom de la constitution autour des Tuileries, un jour de combat, présentaient à la cour un appui solide et la perspective d'une victoire dont le roi tirerait parti pour la restauration de son autorité.

Ces forces étaient réelles et plus que suffisantes, si elles eussent été bien dirigées contre les forces nombreuses mais désordonnées des faubourgs. Le roi s'y fiait, le château avait repris de l'assurance. Bien loin d'y redouter une nouvelle insurrection, on la désirait dans les conciliabules des Tuileries. La certitude d'écraser et de foudroyer les hommes du 20 juin raffermissait tous les cœurs. La royauté en était arrivée à ce point de décadence où elle ne pouvait se relever que par une victoire. Elle attendait la bataille, et elle s'y croyait préparée.

XIV

De leur côté, les Girondins et les Jacobins, consternés de la réaction d'opinion que la journée manquée du 20 juin avait produite à Paris et dans les provinces, se préparaient au dernier assaut. Bien qu'ils n'eussent point d'accord préalable sur la nature du gouvernement qu'ils donneraient à la France après le triomphe du peuple, il leur fallait ce triomphe, et ils conspiraient ensemble pour détrôner leur ennemi commun. L'arrivée des Marseillais à Paris devait être pour ces deux partis le signal et le moyen d'action. Ces hommes énergiques, féroces, échauffés par la longue marche qu'ils venaient de faire aux feux de l'été, et qui s'étaient allumés sur leur route de tout l'incendie d'opinions qui dévorait les villes et les campagnes, en rapportaient les flammes à Paris. Plus aguerris aux entreprises désespérées que le peuple bruyant mais casanier de Paris, les Marseillais devaient être le noyau de la grande insurrection. C'était une bande de quinze cents hommes, accès vivant de la fureur démagogique qui refluait des extrémités de l'empire pour venir rendre de la force au cœur. Ils approchaient conduits par des chefs subalternes; les deux chefs véritables les avaient devancés à Paris : c'étaient deux jeunes Marseillais, Barbaroux et Rebecqui.

Rebecqui avait été un des premiers agitateurs de sa patrie en 89, à l'époque où l'élection de Mirabeau à l'Assemblée constituante troublait Aix et Marseille. Mis en jugement pour sa participation à ces troubles, il avait été défendu par son éloquent complice devant l'Assemblée. Devenu un des chefs des Jacobins de Marseille, il s'était mis à la tête des bataillons de garde nationale de cette ville qui avaient marché sur Arles et arraché à la vengeance des lois les assassins d'Avignon. Envoyé à la cour d'Orléans pour ce fait, il y fut couvert de l'amnistie que les Girondins avaient jetée sur les crimes du Midi. Résolu de pousser la Révolution jusqu'à son but, au risque même de le dépasser, Rebecqui, lié d'abord avec les Girondins, était retourné à Marseille, et y avait recruté, de concert avec Barbaroux, cette colonne mobile de Marseillais dont les conspirateurs de Paris avaient besoin pour électriser la France et pour achever leurs desseins. L'appel de cette force populaire à Paris était une pensée de madame Roland, accomplie par ces deux jeunes séides. Pendant que les orateurs et les tribuns de l'Assemblée péroraient vainement aux Jacobins, aux Cordeliers et au Manége, agitant les masses sans leur donner d'impulsion précise, une femme et deux jeunes gens prenaient sur eux la responsabilité des événements et préparaient la journée suprême de la monarchie.

Barbaroux et Rebecqui rencontrèrent Roland aux ChampsÉlysées, peu de jours avant l'arrivée des Marseillais. L'ancien ministre et les jeunes gens s'embrassèrent avec ce sentiment de solennelle tristesse qui devance dans le cœur des hommes résolus l'accomplissement des projets extrêmes. Après avoir causé à voix basse et des malheurs de la patrie et des plans qui les occupaient, ils convinrent, pour échapper à l'œil des espions de la cour, d'avoir le lendemain chez madame Roland un dernier entretien.

Les deux Marseillais se rendirent la nuit dans le petit appartement de la rue de la Harpe, où logeait depuis sa retraite le ministre disgracié. Madame Roland, l'âme de son mari et l'inspiration de ses amis, assistait à l'entretien et l'élevait à la hauteur et à la résolution de ses pensées. « La liberté est perdue si

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