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LIVRE TRENTIÈME

La république accueillie avec unanimité.

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Accusation contre Marat.

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Les Girondins chez madame Apostrophe de Vergniaud. Robespierre. Détails intimes. Scènes tumultueuses. Rupture entre Danton et les Girondins.

-

Roland.
Danton.
Marat.

Son portrait.

I

La proclamation de la république fut accueillie avec une ardente exaltation dans la capitale, dans les départements, dans les armées. C'était pour les philosophes le type des gouvernements humains retrouvé sous les débris de quatorze siècles de préjugés et de tyrannies. C'était pour les patriotes la déclaration de guerre d'une nation debout, proclamée par elle le jour même de la victoire de Valmy, en face des trônes conjurés contre la liberté. C'était pour le peuple une enivrante nouveauté. Chaque citoyen se sentait, pour ainsi dire, couronné d'une partie de cette souveraineté reconquise dont l'acte de la Convention venait de dépouiller le front et la famille des rois, pour la restituer au peuple. La nation, soulagée du poids du trône, crut respirer pour la première fois l'air libre et vital qui allait la régénérer. Ce fut un de ces courts moments qui concentrent dans un point du temps des horizons d'enthousiasmes et d'espérances que les peuples attendent pendant des siècles, qu'ils savourent quelques jours et qu'ils n'oublient plus, mais qu'ils ne tardent pas à laisser s'échapper comme un beau rêve pour retomber dans toutes les réalités, dans toutes les difficultés et dans toutes les angoisses qui accompagnent la vie des nations. N'importe. Ces heures d'illusions sont si belles et si pleines qu'elles comptent pour des siècles dans la vie de l'humanité, et que l'histoire semble s'arrêter pour les retenir et pour les éterniser.

II

Ceux qui en jouirent le plus furent les Girondins. Rassemblés le soir chez madame Roland, Pétion, Brissot, Guadet, Louvet, Boyer-Fonfrède, Ducos, Grangeneuve, Gensonné, Barbaroux, Vergniaud, Condorcet, célébrèrent dans un recueillement presque religieux l'avénement de leur pensée dans le monde; et jetant volontairement le voile de l'illusion sur les embarras du lendemain et sur les obscurités de l'avenir, ils se livrèrent tout entiers à la plus grande jouissance que Dieu ait accordée à l'homme ici-bas : l'enfantement de son idée, la contemplation de son œuvre, la possession de son idéal accompli.

De nobles paroles furent échangées pendant le repas entre ces grandes âmes. Madame Roland, pâle d'émotion, laissait échapper de ses yeux des regards d'un éclat surnaturel qui semblaient voir l'échafaud à travers la gloire et la félicité du jour. Le vieux Roland interrogeait de l'œil la pensée de sa femme et semblait lui demander si ce jour n'était pas le sommet de leur vie et celui après lequel il n'y avait plus qu'à mourir. Condorcet entretenait Brissot des horizons indéfinis que l'ère nouvelle ouvrait à l'humanité. Boyer-Fonfrède, Barbaroux, Rebecqui, Ducos, jeunes amis, presque frères, se félicitaient d'avoir de longues vies à donner à leur patrie et à la liberté. Guadet et Gensonné se reposaient glorieusement de leurs longues fatigues dans cette halte triomphante où ils avaient enfin mené la Révolution. Pétion, à la fois heureux et triste, sentait que sa popularité l'abandonnait; mais il l'abdiquait volontairement dans son âme, du moment où on la mettait au prix du crime. Le sang de septembre avait enlevé à Pétion son ivresse de popularité. Cette ivresse passée, Pétion allait redevenir un homme de bien.

Vergniaud, sur qui tous les convives avaient les yeux fixés comme sur le principal auteur et le seul modérateur de la future république, montrait dans son attitude et dans ses traits la quiétude insouciante de la force qui se repose avant et après le combat. Il regardait ses amis avec un sourire à la fois serein et

mélancolique. Il parlait peu. A la fin du souper, il prit son verre, le remplit de vin, se leva et proposa de boire à l'éternité de la république. Madame Roland, pleine des souvenirs de l'antiquité, demanda à Vergniaud d'effeuiller dans son verre, à la manière des anciens, quelques roses du bouquet qu'elle portait ce jour-là. Vergniaud tendit son verre, fit nager les feuilles de rose sur le vin et but; puis se penchant vers Barbaroux avant de se rasseoir: « Barbaroux, lui dit-il à demi-voix, ce ne sont pas des roses, mais des branches de cyprès qu'il fallait effeuiller dans notre vin ce soir. En buvant à une république dont le berceau trempe dans le sang de septembre, qui sait si nous ne buvons pas à notre mort? N'importe, ajouta-t-il, ce vin serait mon sang, que je boirais encore à la liberté et à l'égalité ! - Vive la république ! » s'écrièrent à la fois les convives.

Cette image sinistre attrista, mais ne découragea pas leurs ames. Ils étaient prêts à tout accepter de la Révolution, même la mort !

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Les Girondins écoutèrent, après le dîner, les vues que Roland, assisté de sa femme, avait rédigées pour la Convention sur l'état de la république. Ce projet posait nettement la question entre la France et la commune de Paris. Roland, comme ministre de l'intérieur, en appelait à la Convention des désordres de l'anarchie et des crimes qui avaient signalé l'interrègne des lois depuis le 10 août jusqu'à l'ouverture de la nouvelle assemblée, et demandait que le pouvoir exécutif fût affermi dans les mains du gouvernement central. Les Girondins se promirent de soutenir énergiquement leur ministre dans ses projets et de refréner enfin les usurpations de la commune de Paris. C'était déclarer la guerre à Danton, à Robespierre et à Marat, qui régnaient à l'Hôtel-de-ville.

Cette restauration du pouvoir national était difficile et périlleuse pour les Girondins qui l'entreprenaient. Roland, gémissant sur les excès de septembre sans avoir la force nécessaire à leur répression, avait écrit deux fois à l'Assemblée législative pour appeler la vengeance des lois sur les provocateurs et les auteurs

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