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tout s'efface dans une fraternelle unité. Ces cœurs lassés de divisions se reposent un moment de la haine. On envoie un message au roi pour qu'il jouisse de la concorde de son peuple. Le roi accourt. Il est enveloppé de cris d'enthousiasme. Son âme respire de meilleures espérances. L'émotion arrache à sa timidité naturelle quelques mots touchants qui redoublent les transports de l'Assemblée. « Je ne fais qu'un avec vous, dit-il d'une voix où roulent des larmes. Notre union sauvera la France. » Il sort accompagné jusqu'à son palais par les bénédictions de la foule. Il croit avoir reconquis le cœur des Français. Il embrasse la reine, sa sœur, ses enfants; il voudrait pouvoir embrasser tout son peuple. Il fait rouvrir en signe de confiance le jardin des Tuileries, fermé depuis les attentats du 20 juin. La foule s'y précipite et vient assiéger de ses cris d'amour ces mêmes fenêtres qu'elle assiégeait la veille d'insultes. La famille royale crut à quelques beaux jours. Hélas! le premier dont elle jouit depuis tant d'années ne dura pas jusqu'au

soir.

L'arrêté du département qui suspendait Pétion de ses fonctions, apporté à la séance du soir, fit revivre les dissensions mal étouffées. Un sentiment, quelque doux qu'il soit, ne prévaut pas sur une situation. La haine s'était détendue un instant, mais elle était dans les choses plus que dans les cœurs; elle vibra de nouveau avec plus de force.

Le peuple accompagna de cris de mort le directoire du département, que l'Assemblée avait appelé dans son sein. « Rendez-nous Pétion! La Rochefoucauld à Orléans ! » Ces vociférations terribles vinrent refouler jusque dans le cœur du roi la joie passagère qui l'avait traversé. La séance des Jacobins fut plus turbulente que la veille. « On s'embrasse à l'Assemblée, dit Billaud-Varennes ; c'est le baiser de Judas, c'est le baiser de Charles IX tendant la main à Coligny! On s'embrassait ainsi au moment où le roi préparait sa fuite au 6 octobre ! On s'embrassait ainsi avant les massacres du Champ de Mars! On s'embrasse, mais les conspirations de la cour cessent-elles? Nos ennemis en avancent-ils moins contre nos frontières? Et La Fayette en est-il moins un traître?... >>

VII

C'est sous de tels auspices que le jour de la fédération s'approchait. La reine le voyait avec terreur. Tout révélait des projets sinistres pour cet anniversaire. La France révolutionnaire, en envoyant les fédérés de Brest et de Marseille, avait envoyé tous ses hommes de main à Paris. La famille royale vivait dans les transes de l'assassinat. Tout son espoir reposait sur les troupes étrangères, qui promettaient de la délivrer dans un mois. On comptait au château marche par marche l'arrivée du duc de Brunswick à Paris. Le jour de la délivrance était marqué d'avance par le doigt de la reine sur le calendrier de ses appartements. Il ne s'agissait que de vivre jusque-là. Mais la reine craignait à la fois pour le roi le poison, le poignard et la balle des assassins.

Épiée dans l'intérieur même des plus secrets appartements par les sentinelles de la garde nationale, qui veillaient à toutes les portes plus en geôliers qu'en défenseurs, la famille royale ne touchait qu'en apparence aux aliments servis sur sa table des Tuileries, et se faisait apporter mystérieusement sa nourriture par des mains sûres et affidées. La reine fit revêtir au roi un plastron composé de quinze doubles de forte soie à l'épreuve du stylet et de la balle. Le roi ne se prêta que par complaisance pour la tendresse de la reine à ces précautions contre la destinée. Les révolutions n'assassinent pas, elles immolent. L'infortuné prince le savait. « Ils ne me feront pas frapper par la main d'un scélérat, dit-il tout bas à la femme de la reine qui lui essayait le gilet plastronné. Leur plan est changé. Ils me feront mourir en plein jour et en roi. » Il nourrissait ces pressentiments de la lecture des catastrophes royales qui lui prédisaient la sienne. Le portrait de Charles Ier par Van Dyck était en face de lui dans son cabinet; l'histoire de ce prince, toujours ouverte sur sa table : il l'étudiait et l'interrogeait, comme si ces pages eussent renfermé le mystère d'une destinée qu'il cherchait à comprendre pour la tromper. Mais déjà il ne se flattait plus lui-même. L'avenir lui avait dit son mot. Sauver

la reine, ses enfants, sa sœur, était le dernier terme de ses espérances et le seul mobile de ses efforts. Quant à lui, son sacrifice était fait. Il le renouvelait tous les jours dans les exercices religieux qui élevaient et consolaient sa résignation. « Je ne suis pas heureux, répondit-il à un de ses confidents qui lui conseillait de jouer héroïquement son sort avec la fortune. Sans doute je pourrais tenter encore des mesures d'audace, mais elles ont des chances extrêmes; si je puis les courir pour moi, je n'ose y exposer ma famille. La fortune m'a trop appris à me défier d'elle. Je ne veux pas fuir une seconde fois, je m'en suis trop mal trouvé. J'aime mieux la mort, elle n'a rien qui m'effraye; je m'y attends, je m'y exerce tous les jours. Ils se contenteront de ma vie, ils épargneront celle de ma femme et de mes enfants. >>

VIII

La reine nourrissait les mêmes pensées. Une mélancolie abattue, interrompue seulement par des élans de mâle fierté, avait remplacé sur son visage et dans ses paroles la sérénité de ses heureux jours. « Je commence à voir qu'ils feront le procès du roi, disait-elle à son amie la princesse de Lamballe. Quant à moi, je suis étrangère... ils m'assassineront! Que deviendront nos pauvres enfants? » Souvent ses femmes la surprenaient dans les larmes. L'une d'elles ayant voulu lui présenter une potion calmante dans une de ces crises de douleur: « Laissez là, lui répondit la reine, ces médicaments inutiles pour les maux de l'âme ; ils ne me peuvent rien. Les langueurs et les spasmes sont les maladies des femmes heureuses. Depuis mes malheurs je ne sens plus mon corps, je ne sens que ma destinée; mais ne le dites pas au roi. »

IX

Quelquefois cependant l'espérance prévalait sur l'abattement dans cette âme.. Le ressort de la jeunesse et du caractère la relevait de ses pressentiments. Forcée par la crainte des attroupements des faubourgs et des surprises nocturnes de quitter son appartement du rez-de-chaussée, Marie-Antoinette avait

fait placer son lit dans une chambre du premier étage, entre la chambre du roi et celle de ses enfants. Toujours éveillée longtemps avant le jour, elle avait défendu qu'on fermât les persiennes et les rideaux de ses fenêtres, afin de jouir des premières clartés du ciel qui venaient abréger la longueur de ses nuits sans sommeil.

Une de ces nuits de juillet où la lune éclairait sa chambre, elle contempla longtemps le ciel avec un recueillement de joie intérieure. « Vous voyez cette lune, dit-elle à la personne qui veillait au pied de son lit: quand elle viendra de nouveau briller dans un mois, elle me trouvera libre et heureuse, et nos chaînes seront brisées. » Elle déroula ses espérances, ses craintes, ses angoisses, l'itinéraire des princes et du roi de Prusse, leur prochaine entrée dans Paris, ses inquiétudes sur l'explosion de la capitale à l'approche des armées étrangères, ses tristesses sur le défaut d'énergie du roi dans la crise. « Il n'est pas lâche, disait-elle; au contraire, il est impassible devant le danger; mais son courage est dans son cœur et n'en sort pas, sa timidité l'y comprime. Son grand-père Louis XV a prolongé son enfance jusqu'à vingt et un ans. Sa vie s'en ressent. Il n'ose rien. Sa propre parole l'effraye. Un mot énergique de sa bouche en ce moment à la garde nationale entraînerait Paris. Il ne le dira pas. Pour moi, je pourrais bien agir, et monter à cheval s'il le fallait; mais ce serait donner des armes contre lui. On crierait à l'Autrichienne! Une reine qui n'est pas régente, dans ma situation, doit se taire et se préparer à mourir ! »>

X

Madame Élisabeth recevait les confidences des deux époux et les caresses des enfants. Sa foi, plus soumise que celle de la reine, plus tendre que celle du roi, faisait de sa vie un continuel holocauste. Elle ne trouvait, ainsi que son frère, de consolation qu'au pied des autels. Elle y prosternait tous les matins sa résignation. La chapelle du château était le refuge où la famille royale s'abritait contre tant de douleurs. Mais là encore la haine de ses ennemis la poursuivait. Un des premiers di

manches de juillet, des soldats de la garde nationale, qui remplissaient la galerie par où le roi allait entendre la messe, crièrent « Plus de roi! à bas le veto!» Le roi, accoutumé aux outrages, entendit ces cris, vit ces gestes sans s'étonner. Mais à peine la famille royale était-elle agenouillée dans sa tribune, que les musiciens de la chapelle firent éclater les airs révolutionnaires de la Marseillaise et du Ça ira. Les chantres euxmêmes, choisissant dans les psaumes les strophes menaçantes que la colère de Dieu adresse à l'orgueil des rois, les chantèrent avec affectation à plusieurs reprises, comme si la menace et la terreur fussent sorties de ce sanctuaire même où la famille condamnée venait chercher la consolation et la force.

Le roi fut plus sensible à ces outrages qu'à tous les autres. Il lui sembla, dit-il en sortant, que Dieu lui-même se tournait contre lui. Les princesses mirent leurs livres sur leurs yeux pour cacher leurs larmes. La reine et ses enfants ne pouvaient plus respirer l'air du dehors. Chaque fois qu'on ouvrait les fenêtres on entendait crier sur la terrasse des Feuillants : La Vie de Marie-Antoinette. Des colporteurs étalaient des estampes infâmes où la reine était représentée en Messaline et le roi en Vitellius. Les éclats de rire de la populace répondaient aux apostrophes obscènes que ces hommes adressaient du geste aux fenêtres du château. L'intérieur même des appartements n'était pas à l'abri de l'insulte et du danger. Une nuit, le valet de chambre qui veillait dans un corridor à la porte de la reine lutta avec un assassin qui se glissait dans l'ombre. Marie-Antoinette s'élança de sa couche au bruit. «Quelle situation! s'écria-t-elle; des outrages le jour, des meurtres la nuit ! »

XI

A chaque instant on s'attendait à de nouveaux assauts des faubourgs. Une nuit où l'on croyait à une irruption, le roi et Madame Élisabeth, réveillés et debout, avaient défendu d'éveiller la reine. « Laissez-la prendre quelques heures de repos, dit le roi à madame Campan, elle a bien assez de peines! ne les devançons pas. » A son réveil, la reine se plaignit amèrement

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