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familiarise l'imagination avec le sang du peuple. Le palais du roi des Français s'est tout à coup changé en château fort. Où sont cependant ses ennemis? Contre qui se pointent ces canons et ces baïonnettes? Les amis de la constitution ont été repoussés du ministère. Les rênes de l'empire demeurent flottantes au hasard, à l'instant où pour les soutenir il fallait autant de vigueur que de patriotisme. Partout on fomente la discorde. Le fanatisme triomphe. La connivence du gouvernement accroît l'audace des puissances étrangères, qui vornissent contre nous des armées et des fers, et refroidit la sympathie des peuples, qui font des vœux secrets pour le triomphe de la liberté. Les cohortes ennemies s'ébranlent. L'intrigue et la perfidie trament des trahisons. Le corps législatif oppose à ces complots des décrets rigoureux, mais nécessaires; la main du roi les déchire. Appelez, il en est temps, appelez tous les Français pour sauver la patrie! Montrez-leur le gouffre dans toute son immensité. Ce n'est que par un effort extraordinaire qu'ils pourront le franchir. C'est à vous de les y préparer par un mouvement électrique qui fasse prendre l'élan à tout l'empire. Imitez vousmêmes les Spartiates des Thermopyles, ou ces vieillards vénérables du sénat romain qui allèrent attendre sur le seuil de leurs portes la mort que de farouches vainqueurs apportaient à leur patrie. Non, vous n'aurez pas besoin de faire des vœux pour qu'il naisse des vengeurs de vos cendres. Le jour où votre sang rougira la terre, la tyrannie, son orgueil, ses palais, ses protecteurs, s'évanouiront à jamais devant la toute-puissance nationale et devant la colère du peuple. »

X

Ce discours, où tous les périls et toutes les calamités du temps étaient si artificieusement rejetés sur le roi seul, retentit dans toute la France comme le tocsin du patriotisme. Médité chez madame Roland, commenté aux Jacobins, adressé à toutes les sociétés populaires du royaume, lu aux séances de tous les clubs, il remua dans la nation entière tous les ressentiments contre la cour. Le 10 août était dans ces paroles. Une nation qui

avait adressé de pareils soupçons et de pareilles menaces à son roi ne pouvait plus ni lui obéir ni le respecter. La proclamation du danger de la patrie était, au fond, la proclamation de la trahison du pouvoir exécutif.

Brissot et Condorcet, l'un dans un discours, l'autre dans un projet d'adresse au roi, développèrent avec moins de grandeur, mais avec plus de haine, ces considérations. Ils envenimèrent la blessure que le coup de Vergniaud avait faite à la royauté.

Aux Jacobins, Robespierre rédigea une adresse aux fédérés. Tout en proclamant les mêmes dangers que Vergniaud avait signalés dans son discours, Robespierre indiquait d'avance au peuple qu'il aurait bientôt à combattre d'autres ennemis que la cour. Il semait d'avance les soupçons dans les âmes, et prenait ses gages contre le triomphe des Girondins.

« Salut aux Français des quatre-vingt-trois départements ! Salut aux Marseillais ! Salut, s'écriait-il, à la patrie puissante, invincible, qui rassemble ses enfants autour d'elle au jour de ses dangers et de ses fètes! Ouvrons nos maisons à nos frères ! Citoyens, n'êtes-vous accourus que pour une vaine cérémonie de fédération et pour des serments superflus? Non, non, Vous accourez au cri de la nation qui vous appelle! Menacés dehors, trahis dedans, nos chefs perfides mènent nos armées aux piéges. Nos généraux respectent le territoire du tyran autrichien et brûlent les villes de nos frères belges. Un autre monstre, La Fayette, est venu insulter en face l'Assemblée nationale. Avilie, menacée, outragée, existe-t-elle encore? Tant d'attentats réveillent enfin la nation, et vous êtes accourus. Les endormeurs du peuple vont essayer de vous séduire. Fuyez leurs caresses, fuyez leurs tables, où l'on boit le modérantisme et l'oubli du devoir. Gardez vos soupçons dans vos cœurs ! L'heure fatale va sonner. Voilà l'autel de la patrie. Souffrirez-vous que de lâches idoles viennent s'y placer entre la liberté et vous, pour usurper le culte qui lui est dû? Ne prêtons serment qu'à la patrie entre les mains du Roi immortel de la nature. Tout nous rappelle à ce Champ-de-Mars les parjures de nos ennemis. Nous ne pouvons y fouler un seul endroit qui ne soit souillé du sang innocent qu'ils y ont versé ! Purifiez ce sol, vengez ce sang, ne sor

tez de cette enceinte qu'après avoir décidé dans vos cœurs le salut de la patrie ! »

XI

Camille Desmoulins et Chabot dénoncèrent aussi aux Jacobins les projets de fuite du roi, la prochaine arrivée de La Fayette. << « Peuple, on vous abuse, dit à son tour Danton, jamais on ne compose avec les tyrans. Il faut que nos frères des départements jurent de ne se séparer que lorsque les traîtres seront punis par la loi ou auront passé à l'étranger. Le droit de pétition n'a pas été enseveli au Champ-de-Mars avec les cadavres de ceux qui y furent immolés. Qu'une pétition nationale sur le sort du pouvoir exécutif soit donc présentée au Champde-Mars par la nation souveraine ! »

Il dit, et il sortit, laissant cette motion énigmatique à la réflexion des patriotes. Sobre de paroles, impatient de menées, Danton n'aimait pas les longs discours. Il frappait un mot comme on frappe une médaille, et le lançait en circulation dans la foule. Il rencontra en sortant un groupe d'hommes alarmés qui se pressèrent autour de lui et lui demandèrent son avis sur la chose publique. « Ils sont là, dit-il en montrant d'un geste de mépris la porte des Jacobins, un tas de bavards qui délibèrent toujours! Imbéciles que vous êtes, ajouta-t-il en s'adressant au groupe, à quoi bon tant de paroles, tant de débats sur la constitution, tant de façons avec les aristocrates et avec les tyrans? Faites comme eux; vous étiez dessous, mettez-vous dessus : voilà toute la révolution! >>>

LIVRE DIX-NEUVIÈME

tion des partis à l'Assemblée.

du jour de la fédération.

Lamourette.

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L'armoire de fer.

Espoir - Le

Première insurrection en Bretagne et dans le Vivarais. L'exaltation des patriotes. Chabot. Grangeneuve. Tentative de réconciliaLa suspension de Pétion envenime les ressentiments. - Terreur de la reine à l'approche Craintes de la famille royale. de la reine. Outrages à la famille royale. roi et la famille royale au Champ-de-Mars. mesnil. Situation de la garde nationale. chefs des Marseillais. Madame Roland âme du 10 août. complice. Barbaroux, Danton, Santerre à la tête du mouvement. Conciliabules secrets à Charenton.

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Rixes entre les Marseillais et les royalistes. de Robespierre pour lui donner la dictature.

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Tout indiquait, comme on l'a vu dans l'adresse de Robespierre et dans les mots de Danton, un rendez-vous donné au Champ-de-Mars, le 14 juillet, pour emporter la royauté dans une tempête, et pour faire éclore la république ou la dictature. d'une acclamation des fédérés. « Nous sommes un million de factieux, » écrivait le girondin Carra dans sa feuille.

La nation tout entière, alarmée sur son existence, sans défenseurs sur ses frontières, sans gouvernement au dedans, sans confiance dans ses généraux, voyant les déchirements des factions dans l'Assemblée, et se croyant trahie par la cour, était dans cet état d'émotion et d'angoisse qui livre un peuple au hasard de tous les événements. La Bretagne commençait à s'insurger au nom de la religion sous le drapeau du roi. Cette insurrection, toute populaire, dans les nobles ne chercha que des chefs. La guerre de la Vendée, destinée à devenir bientôt si terrible, fut dès le premier jour une guerre de conscience dans le peuple, une guerre d'opinion dans les chefs. L'émigration

s'armait pour le roi et pour l'aristocratie, la Vendée pour Dieu.

Un simple cultivateur, Alain Redeler, le 8 juillet, à la sortie de la messe, dans la paroisse de Fouesnant, indiqua aux paysans un rassemblement armé pour le lendemain auprès de la petite chapelle des landes de Kerbader. A l'heure dite, cinq cents hommes s'y trouvèrent déjà réunis. Ce rassemblement, bien différent des rassemblements tumultueux de Paris, témoignait par son attitude le recueillement de ses pensées. Les signes religieux s'y mêlaient aux armes. La prière y consacrait l'insurrection. Le tocsin sonnait de clocher en clocher. La population des campagnes tout entière répondait à l'appel des cloches comme à la voix de Dieu lui-même. Mais aucun désordre ne souilla ce soulèvement. Le peuple se contentait d'être debout, et ne demandait que la liberté de ses autels. Les gardes nationales, la troupe de ligne, l'artillerie, marchèrent de tous les points du département. Le choc fut sanglant, la victoire disputée. Cependant l'insurrection parut s'émouvoir et couva sourdement dans la Bretagne pour éclater plus tard. C'était la première étincelle de la grande guerre civile.

II

Elle éclata en même temps, ma s moins obstinée, sur un autre point du royaume. Un gentilhomme nommé Dusaillant et un prêtre nommé l'abbé de La Bastide rassemblèrent, au nom du comte d'Artois, trois mille paysans dans le Vivarais.

Ce pays, obstrué de montagnes, percé de défilés étroits, raviné de torrents, palissadé de forêts de sapins, est une citadelle naturelle élevée par la nature entre les plaines du bas Languedoc et les belles vallées du Rhône et de la Saône. Lyon est sa grande capitale. L'esprit catholique et sacerdotal de cette ville toute romaine régnait dans ces montagnes. Les nombreux châteaux qui commandent les vallées appartenaient à une noblesse très rapprochée par le sang et par les mœurs de la bourgeoisie, et se confondant par ses occupations rurales et par la religion avec le peuple des campagnes. Les gentilshommes n'étaient que

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