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mutuellement, leurs yeux ne se renvoyaient que les mêmes terreurs et les mêmes larmes.

Le lundi, à trois heures, Pétion et Manuel vinrent les prendre dans deux voitures pour les conduire au Temple. La commune, qui pouvait enlever les prisonniers de nuit, voulut que ce trajet des Tuileries à la prison se fit en plein jour, à pas lents, et par les quartiers les plus populeux, pour que la dégradation de la royauté eût l'apparence et l'authenticité d'une exposition avant le supplice. Pétion et Manuel étaient dans la voiture du roi. Une foule innombrable formait la haie de la porte des Feuillants à la porte du Temple. Les regards, les gestes, les injures, le rire moqueur, le plus lâche des outrages, se renouvelèrent sur tous les pas du cortége. La faiblesse des femmes, l'innocence des enfants attendrissaient en vain quelques regards furtifs il fallait cacher son attendrissement comme une trahison. Pétion avait l'habitude de présider à ces marches triomphales de la déchéance. C'était lui qui avait ramené le roi de Varennes à travers la capitale irritée. C'était lui qui avait vu le roi coiffé du bonnet rouge dans son palais en vahi le 20 juin, et qui avait félicité le peuple en le congédiant. C'était lui encore qui le menait à sa dernière halte avant le supplice. Il ne lui épargna aucune des amertumes de la route. Il ne lui voila aucun des présages de sa chute. Il le promena à travers son humiliation pour la lui faire savourer. En passant sur la place Vendôme, il lui fit remarquer la statue renversée de Louis XIV, jonchant de ses débris la ville où son image avait si longtemps régné. Le peuple ne voulait plus de roi, même en souvenir. Partout les symboles de la royauté étaient effacés ou mutilés sur le passage des voitures. La main du peuple effaçait ainsi d'avance une institution sur laquelle l'Assemblée n'avait pas encore prononcé. Le 10 août était un décret obscur de la victoire que la commune de Paris se hâtait d'interpréter par l'emprisonnement du roi. De la prison au trône le retour était impossible. La commune voulait le montrer. Louis XVI le sentit; et quand après deux heures de marche les voitures roulèrent sous les voûtes de la cour du Temple, il avait dans son cœur abdiqué le trône et accepté l'échafaud.

LIVRE VINGT-QUATRIÈME

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Les Girondins forcés d'abdiquer. Dispositions de l'armée. La Fayette s'expatrie. Couthon. Dumouriez prête serment à la nation. Westermann émissaire de Danton à l'armée. Dumouriez remplace La Fayette à l'armée. Il gagne la confiance des troupes. - La commune de Paris s'attribue le pouvoir exécutif. Création d'un tribunal

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Marat poursuit sa pensée d'extermination.

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I

Pendant que la famille royale, arrivée au terme de tant d'agitations, se recueillait derrière les murs du Temple et s'installait dans son dernier asile, l'Assemblée, par l'organe de Guadet, promulguait les règles d'après lesquelles on nommerait une Convention et on ferait appel à la souveraineté directe et unanime du peuple. Les assemblées primaires allaient se composer de tous les Français ayant l'âge de vingt et un ans et de condition libre. Elles devaient se réunir le 26 août, et donner à leurs représentants un mandat souverain et indépendant de toute constitution préexistante. La Convention se réunirait le 20 septembre. L'Assemblée nationale et le pouvoir exécutif nommé la veille ne se réservaient que l'interrègne du 12 août au 20 septembre.

Ainsi le triomphe des Girondins amena immédiatement leur abdication. L'Assemblée qu'ils dominaient se sentit faible devant un événement qu'elle n'avait eu ni le courage d'accomplir ni la vertu d'empêcher. Elle se retira, et restitua au peuple les pouvoirs qu'elle en avait reçus. Le mouvement avorta dans ses mains. Elle tira le gouvernement au sort et jeta la France au hasard. Infidèle à la constitution, refusant son appui à la royauté, timide en face de la république, elle n'eut ni plan, ni politique, ni audace. Elle donna à tous les partis le droit de la mépriser. L'histoire la jugera plus sévèrement qu'aucune

des Assemblées qui personnifièrent la Révolution. Placée entre l'Assemblée constituante et la Convention nationale, elle pâlit devant ces deux grands foyers: l'un des lumières philosophiques, l'autre de la volonté révolutionnaire de la nation. Elle ne renversa rien, elle ne fonda rien; elle aida tout à tomber. Elle reçut de ses prédécesseurs une constitution à maintenir, une royauté à réformer, un pays à défendre. Elle laissa, en se retirant, la France sans constitution, sans roi, sans armée. Elle disparut dans une émeute. Ses seules traces furent des débris. Faut-il en accuser les difficultés du temps? Mais le temps étaitil plus facile et les événements plus maniables pour l'Assemblée constituante au serment du Jeu de paume, au 14 juillet, aux journées d'octobre, à la fuite du roi ? Les temps furent-ils plus doux pour la Convention à son avénement dans l'anarchie, à la proclamation de la république, à l'invasion de la Champagne, à l'insurrection de la Vendée, au siége de Lyon? Évidemment non; mais ces difficultés extrêmes trouvèrent dans ces deux corps une politique et une volonté égales aux extrémités de ces situations. Pourquoi cette différence entre des corps politiques puisés dans le même peuple et agissant à la même époque ? Osons le dire: c'est que l'Assemblée législative, nommée en haine de l'aristocratie et en défiance du peuple, et choisie parmi ces partis moyens et modérés qui ne sont dans les temps. de crise que les négations du bien et du mal, n'eut dans les éléments qui la composaient ni l'esprit politique des hautes classes ni l'âme patriotique du peuple. L'Assemblée constituante fut la représentation de la pensée de la France; la Convention fut la représentation du dévouement passionné des masses. L'Assemblée législative ne représenta que les intérêts et les vanités des classes intermédiaires. Expression de cette bourgeoisie honnête, mais égoïste dans ses habitudes, elle n'apporta au gouvernement de cette grande crise que les pensées moyennes, les passions vaniteuses et les petites prudences de cette partie des nations dont la timidité est à la fois la vertu et le vice. Elle sut écrire et parler, elle ne sut pas agir. Elle eut des orateurs, elle n'eut pas d'hommes d'État. Mirabeau avait été dans l'Assemblée constituante l'expression souveraine de

cette aristocratie qui, après s'être éclairée la première, aux rangs élevés des nations, des hautes lumières d'une époque, aspire à la gloire de les répandre sur le peuple, et se fait révolutionnaire par générosité et populaire par orgueil. Danton, Robespierre, furent l'expression terrible des passions d'un peuple à peine émancipé, qui veut conserver à tout prix à l'avenir la révolution qu'on lui a faite, et qui ne pèse ni un intérêt contre une idée, ni une vie contre un principe. Brissot, Gensonné, Guadet, ne furent que des discoureurs quelquefois sublimes, toujours impuissants. Ils n'eurent pas de but arrêté, ou ils placèrent ce but toujours trop loin ou trop près. Ils donnèrent à la Révolution des impulsions tour à tour trop faibles et trop fortes, qui les arrêtèrent en deçà ou les lancèrent au delà de leur pensée. Ils voulaient un pouvoir et ils le sapaient, ils craignaient l'anarchie et ils la conspiraient, ils voulaient la république et ils l'ajournaient. La nation s'impatienta de leur indécision, qui la perdait ; elle fit sa journée et ils disparurent.

Au 10 août, le peuple fut plus homme d'État que ses chefs. Une crise était inévitable, car tout périssait dans les mains de ces législateurs qui voulaient le mouvement sans secousse, la liberté sans sacrifice, la monarchie sans royauté, la république sans hésitation, la Révolution sans garantie, la force du peuple sans son intervention, le patriotisme sans cette fièvre de l'enthousiasme qui donne aux nations le délire et la force du désespoir. Un peuple ne pouvait pas laisser sans démence durer et empirer un tel état de contradictions. La France était en perdition. L'Assemblée ne prenait pas le gouvernail. Le peuple s'y précipita avec ce génie de la circonstance et cette témérité de résolution qui risque tout pour tout sauver quand tout est inévitablement perdu. Le mécanisme de la constitution ne fonctionnait plus. Un éclair de conviction lui démontra qu'on ne pouvait plus le réparer. Il le brisa; ce fut le 10 août.

Les larmes, le sang, les crimes de cette journée ne retombèrent pas tant sur le peuple qui la fit que sur l'Assemblée qui la rendit inévitable. Si l'Assemblée législative avait eu l'intelligence tout entière, si elle avait pris la dictature, voilé la constitution, suspendu et écarté le roi, mis la royauté en tutelle pen

dant la crise, elle pouvait prévenir l'intervention des piques, préserver la forme monarchique, armer la nation, garantir les frontières, épargner le sang des victimes du 10 août et du 2 septembre, et ne pas attrister la France de l'échafaud de son roi. Sa faiblesse produisit ses excès et les fureurs du peuple. Malheur aux empires quand la tête des nations ne prend pas l'initiative réfléchie des grandes résolutions et la laisse prendre à l'insurrection! Ce que touche le peuple est toujours brisé par la violence ou taché de sang. L'Assemblée nationale fut audessous de la crise. Elle eut le talent, les lumières, le patriotisme, les vertus même nécessaires aux fondateurs de la liberté; elle n'en eut pas le caractère. Le caractère est le génie de l'action. Ces hommes n'eurent que le génie de la parole et le génie de la mort. Bien parler et bien mourir, ce fut leur destinée.

II

Le contre-coup du 10 août fut ressenti dans tout l'Empire et dans toute l'Europe. Les cabinets étrangers et les émigrés, tout en déplorant la catastrophe, l'emprisonnement du roi, l'encouragement que le triomphe du peuple de Paris donnait à l'esprit révolutionnaire, se réjouirent en secret des agitations convulsives dans lesquelles la France allait vraisemblablement se déchirer. Une guerre civile était le plus puissant auxiliaire de la guerre étrangère. Le gouvernement anarchique d'une assemblée était le moins propre à la conduite d'une guerre nationale. La France, sans chef, sans unité, sans constitution, tomberait, membre par membre, sous les forces des coalisés. D'ailleurs, le scandale de ce palais violé, de ces gardes immolés, de cette famille royale avilie par l'insurrection, enlevait tout prétexte de temporisation et de ménagement à celles des puissances qui hésitaient encore. Le défi de la France était jeté à toutes les monarchies; il fallait l'accepter ou déclarer tous les trônes de l'Europe impuissants à se soutenir devant l'esprit de trouble et d'insurrection, vainqueur partout s'il était vainqueur à Paris. L'Angleterre elle-même, si favorable jusque-là à la réforme en France, commençait à voir avec répugnance

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