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liberté d'esprit de faction, comme si vous aviez oublié qu'une cour despotique et les lâches héros de l'aristocratie ont donné ce nom de factieux aux représentants qui allèrent prêter serment au Jeu de Paume, aux vainqueurs de la Bastille, à tous ceux qui ont fait et soutenu la Révolution, vous qu'on ne calomnie que parce que vous êtes étrangers à la caste que la constitution a renversée dans la poussière, et que les hommes dégradés qui regrettent l'infâme honneur de ramper devant elle n'espèrent pas de trouver en vous des complices (applaudissements); vous qu'on voudrait aliéner du peuple parce qu'on sait que le peuple est votre appui, et que si, par une coupable désertion de sa cause, vous méritiez d'être abandonnés de lui, il serait aisé de vous dissoudre; vous qu'on a voulu diviser, mais qui ajournerez après la guerre vos divisions et vos querelles, et qui ne trouvez pas si doux de vous haïr que vous préfériez cette infernale jouissance au salut de la patrie; vous qu'on a voulu épouvanter par des pétitions armées, comme si vous ne saviez pas qu'au commencement de la Révolution le sanctuaire de la liberté fut environné des satellites du despotisme, Paris assiégé par l'armée de la cour, et que ces jours de danger furent les jours de gloire de notre première assemblée; je vais appeler enfin votre attention sur l'état de crise où nous sommes. Ces troubles intérieurs ont deux causes: manœuvres aristocratiques, manœuvres sacerdotales. Toutes tendent au même but, la contre-révolution.

VII

« Le roi a refusé sa sanction à votre décret sur les troubles religieux. Je ne sais pas si le sombre génie de Médicis et du cardinal de Lorraine erre encore sous les voûtes du palais des Tuileries, et si le cœur du roi est troublé par les idées fantastiques qu'on lui suggère; mais il n'est pas permis de croire, sans lui faire injure et sans l'accuser d'être l'ennemi le plus dangereux de la Révolution, qu'il veuille encourager par l'impunité les tentatives criminelles de l'ambition sacerdotale, et rendre aux orgueilleux suppôts de la tiare la puissance dont ils

ont également opprimé les peuples et les rois. Il n'est pas permis de croire, sans lui faire injure et sans le déclarer le plus cruel ennemi de l'empire, qu'il se complaise à perpétuer les séditions, à éterniser les désordres qui le précipiteraient par la guerre civile vers sa ruine. J'en conclus que s'il résiste à vos décrets, c'est qu'il se juge assez puissant sans les moyens que vous lui offrez pour maintenir la paix publique. Si donc il arrive que la paix publique n'est pas maintenue, que la torche du fanatisme menace encore d'incendier le royaume, que les violences religieuses désolent toujours les départements, c'est que les agents de l'autorité royale sont eux-mêmes la cause de tous nos maux. Eh bien, qu'ils répondent sur leur tête de tous les troubles dont la religion sera le prétexte ! Montrez dans cette responsabilité terrible le terme de votre patience et des inquiétudes de la nation!

<< Votre sollicitude pour la sûreté extérieure de l'empire vous a fait décréter un camp sous Paris. Tous les fédérés de la France devaient y venir, le 14 juillet, répéter le serment de vivre libres ou de mourir. Le souffle empoisonné de la calomnie a flétri ce projet. Le roi a refusé sa sanction. Je respecte trop l'exercice d'un droit constitutionnel pour vous proposer de rendre les ministres responsables de ce refus; mais s'il arrive qu'avant le rassemblement des bataillons le sol de la liberté soit profané, vous devrez les traiter comme des traîtres. Il faudra les jeter eux-mêmes dans l'abîme que leur incurie ou leur malveillance aura creusé sous les pas de la liberté ! Déchirons enfin le bandeau que l'intrigue et l'adulation ont mis sur les yeux du roi, et montrons-lui le terme où des amis perfides. s'efforcent de le conduire.

<«< C'est au nom du roi que les princes français soulèvent contre nous les cours de l'Europe; c'est pour venger la dignité. du roi que s'est conclu le traité de Pilnitz; c'est pour défendre le roi qu'on voit accourir en Allemagne sous le drapeau de la rébellion les anciennes compagnies des gardes du corps; c'est pour venir au secours du roi que les émigrés s'enrôlent dans les armées autrichiennes, et s'apprêtent à déchirer le sein de la patrie; c'est pour se joindre à ces preux chevaliers de la pré

rogative royale que d'autres abandonnent leur poste en présence de l'ennemi, trahissent leurs serments, volent les caisses, corrompent les soldats, et placent ainsi leur honneur dans la lâcheté, le parjure, l'insubordination, le vol et les assassinats. Enfin le nom du roi est dans tous les désastres.

« Or, je lis dans la constitution : « Si le roi se met à la tête «< d'une armée, et en dirige les forces contre la nation, ou s'il << ne s'oppose pas par un acte formel à une telle entreprise exé<«< cutée en son nom, il sera censé avoir abdiqué la royauté. » C'est en vain que le roi répondrait : « Il est vrai que les enne<< mis de la nation prétendent n'agir que pour relever ma puis<«<sance; mais j'ai prouvé que je n'étais pas leur complice: « j'ai obéi à la constitution, j'ai mis des troupes en campagne. « Il est vrai que ces armées étaient trop faibles; mais la cons<«<titution ne désigne pas le degré de force que je devais leur «‹ donner. Il est vrai que je les ai rassemblées trop tard; mais <<< la constitution ne désigne pas le temps auquel je devais les << rassembler. Il est vrai que des camps de réserve auraient pu <«<les soutenir; mais la constitution ne m'oblige pas à former « des camps de réserve. Il est vrai que, lorsque les généraux << s'avançaient sans résistance sur le territoire ennemi, je leur << ai ordonné de reculer; mais la constitution ne me com«mande pas de remporter la victoire. Il est vrai que mes mi<«<nistres ont trompé l'Assemblée nationale sur le nombre, la << disposition des troupes et leurs approvisionnements; mais <«< la constitution me donne le droit de choisir mes ministres, « elle ne m'ordonne nulle part d'accorder ma confiance aux patriotes et de chasser les contre-révolutionnaires. Il est vrai « que l'Assemblée nationale a rendu des décrets nécessaires à «< la défense de la patrie, et que j'ai refusé de les sanctionner; <«< mais la constitution me garantit cette faculté. Il est vrai <«<enfin que la contre-révolution s'opère, que le despotisme va <<< remettre entre mes mains son sceptre de fer, que je vous en « écraserai, que vous allez ramper, que je vous punirai d'avoir <«< eu l'insolence de vouloir être libres; mais tout cela se fait <<< constitutionnellement. Il n'est émané de moi aucun acte que « la constitution condamne. Il n'est donc pas permis de douter

<< de ma fidélité envers elle et de mon zèle pour sa défense. » (Vifs applaudissements.)

<< S'il était possible, Messieurs, que dans les calamités d'une guerre funeste, dans les désordres d'un bouleversement contrerévolutionnaire, le roi des Français tînt ce langage dérisoire; s'il était possible qu'il leur parlât de son amour pour la constitution avec une ironie aussi insultante, ne serions-nous pas en droit de lui répondre :

VIII

<«< O roi qui sans doute avez cru avec le tyran Lysandre que la vérité ne valait pas mieux que le mensonge, et qu'il fallait amuser les hommes par des serments comme on amuse les enfants avec des osselets; qui n'avez feint d'aimer les lois que pour conserver la puissance qui vous servirait à les braver, la constitution que pour qu'elle ne vous précipitât pas du trône où vous aviez besoin de rester pour la détruire, la nation que pour assurer le succès de vos perfidies en lui inspirant de la confiance, pensez-vous nous abuser aujourd'hui avec d'hypocrites protestations? Pensez-vous nous donner le change sur la cause de nos malheurs par l'artifice de vos excuses et l'audace de vos sophismes? Était-ce nous défendre que d'opposer aux soldats étrangers des forces dont l'infériorité ne laissait pas même d'incertitude sur leur défaite? Était-ce nous défendre que d'écarter les projets tendant à fortifier l'intérieur du royaume, ou de faire des préparatifs de résistance pour l'époque où nous serions déjà devenus la proie des tyrans? Etait-ce nous défendre que de ne pas réprimer un général qui violait la constitution, et d'enchaîner le courage de ceux qui la servaient? Était-ce nous défendre que de paralyser sans cesse le gouvernement par la désorganisation continuelle du ministère? La constitution vous laissa-t-elle le choix des ministres pour notre bonheur ou notre ruine? Vous fit-elle chef de l'armée pour notre gloire ou notre honte? Vous donna-t-elle enfin le droit de sanction, une liste civile et tant de grandes prérogatives, pour perdre constitutionnellement la constitution et l'empire? Non, non, homme

que la générosité des Français n'a pu émouvoir, homme que le seul amour du despotisme a pu rendre sensible, vous n'avez pas rempli le vœu de la constitution! Elle peut être renversée, mais vous ne recueillerez pas le fruit de votre parjure! Vous ne vous êtes point opposé par un acte formel aux victoires qui se remporteraient en votre nom sur la liberté; mais vous ne recueillerez point le fruit de ces indignes triomphes! Vous n'êtes plus rien pour cette constitution que vous avez si indignement violée, pour ce peuple que vous avez si lâchement trahi! (Applaudissements réitérés.)

<«< Comme les faits que je viens de rapporter ne sont pas dénués de rapports très-frappants avec plusieurs actes et plusieurs rapports du roi; comme il est certain que les faux amis qui l'environnent sont vendus aux conjurés de Coblentz, et qu'ils brûlent de perdre le roi pour transporter la couronne sur la tête de quelques-uns des chefs de leurs complots; comme il importe à sa sûreté personnelle autant qu'à la sûreté de l'empire que sa conduite ne soit plus environnée de soupçons, je proposerai une adresse qui lui rappelle les vérités que je viens de faire retentir, et où on lui démontrera que la neutralité qu'il garde entre la patrie et Coblentz serait une trahison envers la France.

IX

« Je demande de plus que vous déclariez que la patrie est en danger. Vous verrez à ce cri d'alarme tous les citoyens se rallier, la terre se couvrir de soldats, et se renouveler les prodiges qui ont couvert de gloire les peuples de l'antiquité. Les Français régénérés de 89 sont-ils déchus de ce patriotisme? Le jour n'est-il pas venu de réunir ceux qui sont dans Rome et ceux qui sont sur le mont Aventin? Attendez-vous que, las des fatigues de la Révolution ou corrompus par l'habitude de parader autour d'un château, des hommes faibles s'accoutument à parler de liberté sans enthousiasme et d'esclavage sans horreur? Que nous prépare-t-on ? Est-ce le gouvernement militaire que l'on veut rétablir? On soupçonne la cour de projets perfides; elle fait parler de mouvements militaires, de loi martiale; on

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