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La chapelle était bâtie, mais elle n'était pas encore consacrée. Frère Bruno ne se donna pas de repos qu'il n'eût obtenu cette faveur. Nous n'avons pas retrouvé d'une manière explicite la date de cette cérémonie; mais nous avons le procès-verbal de la translation des reliques authentiques qui furent, à cette occasion, extraites du trésor de l'église de Saint-Pierre de Nantes, et portées à l'Ermitage, pour l'autel de la chapelle. Comme ce procès-verbal est du 16 septembre 1614, nous pouvons en conclure que la consécration de la chapelle eut lieu un ou deux jours après, le 17 ou le 18 septembre 1614.

Voici du reste ce procès-verbal, d'autant plus intéressant à connaître, qu'il nous donne la liste des reliques qui avaient été déposées dans la chapelle de l'Ermitage :

« Ce jour, saizième de septembre mil six cent quatorze, nous Messire Estienne Jean Bouée, chanoine, Messire Vincent Charon, maire et chapellain et Messire Jean Gaultier, garde des reliques de l'église de S. Pierre de Nantes, députtez par le Chappitre, par ordonnance du quinze du dict moys, avons ouvert le sainct Relicquaire et tiré d'y celuy les relicques qui suivent, pour estre portées à l'Hermitage de S. François de Miséry les Nantes, pour l'autel d'y celuy.

<< Scavoir: Un ossement de S. Félix, Evesque de Nantes, confesseur, De la jambe de S. Donatien, martyr de Nantes, De l'os de l'espine du dos de S. Hervé, ermite et confesseur, De la coste du mesme Sainct et d'un ossement de saincte Félicité, martyre.

«En foy de quoy avons signé la présente attestation les susdicts jour, mois et an, au chœur de l'Eglise de Nantes.

« Signé : E. BOUÉE, CHARON et GAULTIER. »

La chapelle était consacrée. Le bon frère Bruno put en jouir pendant près de huit années encore. Le frère Guillaume Illoujan mourut le premier; mais nous n'avons pu retrouver la date de sa mort. Nous savons seulement que, dans sa dernière maladie, il se fit transporter au couvent des Capucins, alors établis au Marchix. Ce fut là qu'il mourut et fut enterré. Quant au frère Bruno, se trouvant dangereusement malade, il se rendit, lui aussi, au couvent des Capucins. Il y décéda le 12 juin 1622, et il y fut enterré

le même jour. Le lendemain 13 juin 1622, Michel Ragaud donna l'Ermitage aux Capucins, comme nous le dirons dans le chapitre suivant.

Mais pour terminer cet aperçu sur les Origines du Couvent d l'Ermitage, il est une question que nous devons nous poser: Qu'étaient-ce que ces ermites de l'ordre de Saint-François? Étaient-ils prêtres? A quelle branche de l'ordre appartenaient-ils ?

Aucun document ne nous permet de dire si le premier ermite, Gilles Bellyan, était prêtre ou simple frère lai. Pour ce qui est des deux autres, comme ils disaient la messe et faisaient l'office divin dans la chapelle, nous devons en conclure que, s'ils n'étaient pas prêtres tous les deux, au moins frère Bruno, qui fit construire la chapelle, était prêtre.

Tous les trois appartenaient au Premier Ordre de Saint-François. Nous ne pensons pas que Gilles Bellyan se soit attaché à aucune des réformes qui s'établirent dans l'Ordre franciscain, dans la première moitié du seizième siècle. Gilles Bellyan était déjà religieux en 1529, et les Capucins ne vinrent à Nantes qu'en l'année 1593. Les Récollets s'y fixèrent en 1617. Quant à Guillaume Illoujan et frère Bruno, son compagnon d'Ermitage, il nous paraît trèsprobable qu'ils s'attachèrent à la réforme des Capucins, puisqu'ils moururent et furent enterrés chez les Capucins du Marchix.

II

FONDATION DU COUVENT DE L'ERMITAGE

1622-1636

M. Guépin, dans son Histoire de Nantes, parle, en trois endroits différents, de l'établissement des Capucins dans cette ville. Nous y lisons: 1o page 267: « Le premier établissement des Capucins à Nantes date de 1593. Cependant, les Révérends Pères s'y trouvaient

depuis plusieurs années; car ils firent, en 1591, une procession qui eut lieu à dix heures du soir, et dans laquelle tous les assistants se trouvaient en chemise (in albis), nu-pieds et la torche à la main. Nos chroniques ne nous disent point que les femmes et les filles se soient dispensées d'assister à cette scandaleuse cérémonie. >> 2o Page 311: « Les États de Bretagne se tinrent à Nantes en 1622... Les Capucins s'établirent à Nantes la même année. »

3o Page 313: « La fondation de l'hospice de l'Ermitage par les Capucins est de l'année 1629. »

Il y a ici une contradiction et une erreur. La contradiction se trouve entre le premier et le second passage que nous citons. Si les Capucins s'établirent à Nantes, à la date de 1593, ce ne fut pas en 1622; si leur établissement dans cette ville date de 1622, ce n'est pas de 1593. La contradiction est évidente.

L'erreur est au troisième passage. Ce n'est pas, comme nous le prouverons tout à l'heure, en 1629, mais bien en 1622, que les Capucins fondèrent l'hospice de l'Ermitage '.

La vérité est que les Capucins vinrent à Nantes en 1593. C'est la date que portent toutes les pièces que nous avons sous les yeux. Le duc de Mercœur les établit alors au Marchix. En 1622, ils occupèrent l'hospice ou petit couvent de l'Ermitage. En 1629, ils commencèrent la construction de leur couvent de la Fosse. Le 30 avril 1630, ils vendirent leur couvent du Marchix aux Cordelières de Sainte-Élisabeth, et, le 24 juin 1631, ils occupèrent leur couvent de la Fosse nouvellement bâti.

On ne comprend vraiment pas que M. Guépin, écrivant l'Histoire de Nantes, ait ainsi tout confondu. S'il fut remonté aux sources, au lieu de se contenter des documents qu'il recevait de troisième ou de quatrième main, il eût évité toutes ces inexactitudes 2.

1 Chez les Pères Capucins, on appelle hospice un petit couvent qui n'est pas encore complètement et régulièrement organisé.

2 Mellinet n'est pas moins inexact que M. Guépin. Nous trouvons dans La Commune et la Milice de Nantes, T. I, 1° pag. 277, « Grands Capucins. Ce couvent, fondé par le duc de Mercœur, l'an 1522, et établi au Marchix..... › 2. pag. 268: Grands Capucins.

La Communauté de ville, étant maire de la

La procession de 1591, organisée par les Capucins, ne prouve pas que ces religieux fussent déjà établis à Nantes à cette époque. Les Capucins avaient pu venir, en 1591, prêcher dans cette ville, comme ils vont encore prêcher des missions dans les villes et dans les paroisses où on les appelle '. Enfin, quant à cette procession, an sujet de laquelle M. Guépin se permet de faire une réflexion d'un goût plus que douteux, nous ferons observer que ce genre de cérémonie était fort en usage à cette époque. Un véritable historien devrait le savoir, et un écrivain impartial n'oublierait point qu'il ne faut pas juger les événements des temps passés d'après les mœurs de l'époque où il écrit, mais bien d'après celles de l'époque où les faits sont arrivés. Du reste, in albis n'a jamais voulu dire en chemise, mais bien en aube blanche, ce qui est tout différent, l'aube se mettant par-dessus les vêtements. Il se fait encore de nos jours des processions de ce genre, dans certaines contrées méridionales de la France.

Établis à Nantes en 1593, par la libéralité du duc de Mercœur, qui leur donna le couvent du Marchix, les Capucins y furent

ville de Nantes M. Mc Mathieu-André, S. de Champeaulx et Dutertre, ancien avocat en la cour du parlement de Bretagne, permet aux R. P. Capucins de s'établir à Nantes, à condition de se porter aux incendies et d'y travailler. »

Il y a ici contradiction évidente entre les deux dates de 1522 et de 1568. Mais ce n'est pas tout. Nous ne pouvons admettre la date de 1522, car la réforme des Capucins n'existait pas encore. Nous ne pouvons pas admettre davantage celle de 1568, car les Capucins n'étaient pas encore entrés en France. Ils n'y vinrent qu'en 1574. Voilà pourtant comment on écrit l'histoire !.....

A cela près, les Capucins de Nantes veulent bien être appelés les premiers pompiers de Nantes, comme leurs frères de Paris furent appelés les premiers pompiers de Paris. Les uns et les autres ont montré et montrent encore, à l'occasion, assez de dévouement dans les incendies pour mériter ce titre.

1 Meuret est tout à fait de notre avis, quand il nous dit, Annales de Nantes, T. II, pag. 120: « Ce fut le Chapitre qui mit les processions nocturnes à la mode. Les Capucins, venus comme missionnaires, suivirent cet exemple.

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2 Travers, Histoire de Nantes, T. III, p. 53, fixe cette procession au 24 mai 1591. Il en fait suivre le récit d'une réflexion analogue à celle de M. Guépin, tout en reconnaissant que ce genre de cérémonie était fort en usage à cette époque. Ce que nous disons ici, au sujet de la réflexion de M. Guépin, s'applique également à celle de Travers, dont elle n'est, pour ainsi dire, que la copie.

accueillis avec la plus grande faveur par tous les habitants. La ville s'engagea même, par une délibération du 13 octobre 1593, à leur fournir gratuitement tous les remèdes dont ils pourraient avoir besoin dans leurs maladies. L'austérité de leur vie et leur ferveur exemplaire attirèrent bientôt à leur Ordre de nombreux sujets, même des plus hauts rangs de la société nantaise. Le frère de Françoise Dachon, épouse de Michel Ragaud, sieur de la Hautière, était déjà religieux Capucin depuis plusieurs années en 1622, et un des fils de Michel Ragaud et de Françoise Dachon fit profession chez les Capucins, sous le nom de VALERIEN DE NANTES, au mois de juin de cette même année 1622.

Ce fut à cette époque, le 12 juin 1622, comme nous l'avons dit précédemment, que Guy Chapelet, en religion frère Bruno, mourut et fut enterré chez les Capucins du Marchix. Le sieur de la Hautière, dont le beau-frère était déjà Capucin, et dont le fils faisait profession dans ces jours au couvent du Marchix, résolut de donner l'Ermitage aux Pères Capucins, pour leur servir de maison de solitude, en même temps que de lieu de repos pour leurs malades et leurs infirmes. Voici l'acte de donation, daté du 13 juin 1622, lendemain de la mort du frère Bruno 1:

IN NOMINE PATRIS ET FILII ET SPIRITUS SANCTI.

< En nostre cour royalle de Nantes, devant les notaires héréditaires d'icelle soubz signez, avecq deue submission de personnes et biens, et

Nous lisons dans Ogée, Dictionnaire de Bretagne, loc. citat. En 1622, le dernier ermite étant mort, les Récollets firent leur possible pour obtenir ce terrain des Seigneurs de la Hautière; mais ils furent refusés. Les Capucins qui le demandérent furent plus heureux; le terrain leur fut donné le 13 juin de cette année. » Il nous est impossible d'admettre ce qui est affirmé ici, sans preuve, par Ogée. Une semblable compétition, entre les Récollets et les Capucins, eût demandé plus de vingt-quatre heures, et ce fut vingt-quatre heures après la mort du dernier ermite que le sieur de la Hautière donna l'Ermitage aux Capucins. Les Récollets n'ignoraient pas que le beau-frère de Michel Ragaud était Capucin, et que son propre fils faisait, dans ces jours-là, profession chez les Capucins. Il n'est pas croyable qu'ils se soient hasardés à demander l'Ermitage au sieur de la Hautière. Ils devaient bien savoir d'avance que si Michel Ragaud le donnait à des religieux, ce ne pourrait être qu'aux Capucins.

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