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ville, de laisser en passant par devant l'Hermitage ce qu'on leur a demandé et ce qu'ils ont promis. >

Ils ajoutent qu'ils se sont servi de ce chemin librement pendant que leur fondateur vivait, qu'il suffirait pour le rendre libre d'abattre un des deux arbres qui gênent, « celui qui est mort et aride. » Quant à la rabine que le sieur Ragaud veut abattre,

« Les Capucins n'ont rien à dire, sinon que l'an 1630, au mois de décembre, avec l'agrément et permission de feu son Père, ils la creusèrent pour décoration du lieu et commodité du public, à cause qu'il n'y avait pas d'ombrage en ce lieu; ce qui ne s'est pas fait sans peine ni dépense, à raison des inégalités qu'il fallait aplanir et des terres qu'il y fallut rapporter, et depuis ce temps ils l'ont soignée et cultivée, en sorte qu'elle commence à être fort belle. Or il n'est pas croyable que le défunt leur eût permis cela pour les tromper, en la faisant couper quand elle aurait produit un peu de bois, et s'il eut eu cette intention, elle ne serait pas juste mais frauduleuse. Il est vrai que les Capucins ne prétendent rien au fond, mais ils pensent pourtant que le propriétaire dudit fond se devrait contenter d'en avoir le bois mort... Cependant la laisser en sa beauté, puisqu'elle fut consentie par son prédécesseur qui, s'en étant retenu là, laissa ce petit usufruit au public et aux Capucins. Ce serait dommage de la ruiner; car elle (ne gêne pas), elle sert même d'ornement à la Hautière, maison dudit sieur Ragaud, aussi bien qu'à l'Hermitage. Ledit sieur devrait bien considérer que, si elle était abattue, il n'en resterait pas deux ou trois charretés de bois, et comme il y a apparence que la seule passion de faire déplaisir le porte à la vouloir mettre par terre, c'est un bien de l'en empêcher, et un bien et honneur pour sa maison que ce lieu, qui est presque à la porte de sa Hautière, soit en bon état et en la commodité raisonnable pour servir à sa maison et au public. ›

Tel était l'état et le sujet du procès. Nous faisons grâce à nos lecteurs du récit de la marche compliquée de la procédure. Deux voisins de Jean Ragaud, nommés Jariel et Poirier, faisaient cause commune avec les Capucins, ainsi que plusieurs autres. Il y eut enquête et contre-enquête, expertise et contre-expertise; « des peintres et des arpenteurs » descendirent sur les lieux pour en faire le plan figuratif; l'affaire fut portée à la Cour de Vannes. Les Capucins demandaient que les chemins, la rabine, et la porte sur la rivière fussent laissés en l'état. et que les deux arbres qui empê

chaient le passage des charrettes fussent abattus. Le procureur général du Roi prit en main la cause des Capucins, et, le 27 octobre 1659, la Cour rendit l'arrêt suivant :

< La Cour..... faisant droit au principal évoqué, condamne ledit Ragaud de rétablir le chemin qu'il a fait rompre du côté de la Béhinière, ordonne que les deux arbres étant entre l'enclos de l'Hermitage et de la Hautière seront abattus; mesme de rétablir le chemin des filles dans l'état qu'il était, lui fait défense de troubler les appelants et intervenants et tous autres, dans l'usage desdits chemins, sur les peines qui y échéent, et avant faire droit sur les prétentions dudit Ragaud, touchant les costeaux et monts du Miséry, ordonne qu'il sera fait mesurage des terres possédées par ledit Ragaud, par devant Me Salion, conseiller rapporteur, en présence du procureur général du Roy, ou de l'un de ses substituts, et qu'à cette fin les actes produits au procès seront représentés, et que lesdites parties conviendront d'arpenteurs dans huictaine, ou, sur leur défaut d'en conve nir, en sera nommé d'office: Ordonne que la porte esligé sur la rivière par les Capucins, et la rabine plantée sur le chemin de la ville de Nantes, proche l'Hermitage, demeureront en l'état qu'elles sont, et en la demande dudit Ragaud, touchant le restablissement de l'écusson des armes de la Hautière, dans la vitre de la chapelle de l'Hermitage, a mis les parties hors procez; condamne ledit Ragaud en la moitié des dépens vers lesdits Jariel et Poirier, modérez à chacun cinquante livres, l'autre moitié réservée et sans dépens, pour le regard des Capucins et des autres parties dudit procez.

Fait en Parlement, à Vannes, 27 octobre 1659. »

Le procès avait duré depuis le 15 septembre 1655 jusqu'au 27 octobre 1659. Les Capucins avaient trouvé des juges à Vannes; leur bon droit avait été reconnu. Les titres d'écuyer, conseiller et maître d'hôtel de Sa Majesté, auditeur honoraire à la Cour des Comptes de Bretagne, n'avaient pu faire pencher la balance en faveur de Jean Ragaud, sieur des Perrières. Quant à la clause de ce jugement qui ordonne le mesurage des terres possédées par le sieur Ragaud, elle y avait été introduite parce que l'on avait prétendu, au cours du procès, qu'il réclamait, comme lui appartenant, des terrains qui étaient communs et n'étaient pas plus à lui qu'aux autres. Cependant cette partie de l'arrêt ne fut pas exécutée dans

la huitaine, comme la Cour l'ordonnait. Elle ne l'était même pas encore le 14 juillet 1679.

Ce procès terminé, les Capucins auraient bien voulu enclore de suite leur terrain, mais ils ne pouvaient plus laisser au sieur de la Hautière le soin de veiller à la construction des murailles, et de recevoir les aumônes faites à cette fin. D'ailleurs, l'argent leur manquait. Cette construction ne fut achevée qu'au mois de novembre 1678. Le marché en avait été passé par-devant Garreau, notaire royal de la cour de Nantes, le 4e jour de juin 1677, entre << Jean Vanophen, marchand, demeurant à Chézine, au bas de la Fosse, et Jean Pierre et Mathieu Chagneau, maîtres massons, demeurant ledict Pierre à l'Hermitage, dicte paroisse de Chantenay, et ledict Chagneau en la rue du Bignon, estant de ladicte Fosse de Nantes, paroisse de Saint-Nicolas. » Le gardien du Grand-Couvent était alors le P. Clément de Ploërmel, et le supérieur de l'Ermitage était le P. Paulin de Nantes. Evidemment, M. Jean Vanophen était chargé de veiller à la construction des murs de clôture du couvent, comme l'avait été auparavant Jean Ragaud.

Le règlement de compte qui se fit, le 9 novembre 1678, « en la Fosse de Nantes, aux tables de Garreau, notaire royal, en présence de De la Lande, autre notaire royal », nous apprend, entre autres détails curieux, que la façon des murailles était à 55 sols la toise, sans compter les journées employées à éteindre la chaux, non plus que «< la façon des portes et de la pierre » fournie par les maîtres maçons. Ceux-ci furent intégralement soldés, ce même jour 9 novembre 1678. Le 1er décembre suivant, le P. Timothée de Châteauneuf fit rembourser à M. Vanophen, par M. Nau, « marchand ciergier, demeurant aux Changes, à Nantes » cent quatre-vingt-dix-neuf livres un sol six deniers, qui lui restaient dus pour les avances par lui faites, à l'occasion de ces travaux. Le P. Timothée de Châteauneuf avait alors succédé au P. Clément de Ploërmel, comme gardien du Grand-Couvent.

On trouve aussi Vanopsen.

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Mais le mesurage des terres, prescrit par l'arrêt du 27 octobre 1659, n'était toujours point fait, et, soit par insouciance, soit pour toute autre cause inexplicable, les Capucins n'étaient pas sûrs d'avoir renfermé dans leur enclos tout le terrain qui leur appartenait. C'était une porte restée ouverte pour de nouveaux procès. Les Pères Capucins ne tardèrent pas à s'en apercevoir.

Dans l'intervalle de l'année 1659 à l'année 1679, Jean Ragaud était mort. La propriété de la Hautière était passée à Agnès-Prudence Ragaud, sa fille, mariée à Julien de Nort, sieur du Perray, écuyer, conseiller du Roi, secrétaire et auditeur de ses comptes en Bretagne, demeurant ordinairement à Nantes, paroisse de SaintVincent.

Six mois ne s'étaient pas écoulés depuis l'achèvement des murs de clôture des Capucins de l'Ermitage, qu'une contestation s'éleva entre le sieur du Perray et les religieux, le 26 avril 1679. Le procèsverbal suivant, fait en faveur du sieur du Perray, va nous apprendre quelle en fut la cause :

« L'an mil six cens soixante et dix neuf, le vingt huitième jour d'avril, environ les deux heures de l'après midy, nous, notaires royaux de la cour de Nantes soussignés, résidans audit Nantes, rapportons à quy il appartiendra avoir esté mandés de la part d'escuyer Julien de Nort, sieur du Perray, conseiller du Roy, secrétaire et auditeur de ses comptes en Bretagne, et Dame Agnès Prudence Ragand, sa compagne, demeurant ordinairement audit Nantes, parroisse Saint Vincent, de nous transporter exprès dudit Nantes sur les cousteaux du Miséry, près leur maison noble de la grande Haultière, parroisse de Chantenay; y estans ont comparu lesdits sieurs et dame du Perray, lesquelz nous ont requis leur rapporter acte de ce qu'ils nous ont déclaré, qu'ayant, le 26e des présents mois et an, envoyé deux de leurs serviteurs domestiques émonder des chesnes, qui sont au joignant du parc de leur dite maison de la Haultière, sur lesdits cousteaux du Miséry, dépendans de leur maison de la Haultière, lesquelz chesnes ont accoutumé d'estre émondés, de tout temps immémorial, de leur part, les Pères Capucins de l'Hermitage auraient sortis de leur couvent et se seraient, aussy précipitament que viollament, jettės sur le bois émondé, qu'ils auraient emporté jusque au nombre de vingt quatre fais, par menasses injurieuses, peu convenables à l'humillité de leur robe. Et comme lesdits Pères Capucins n'ont autre droict, sur leur

dite terre de la Haultière, que celuy que leur a donné l'ayeul de ladite dame du Perray, leur fondateur.... >>

Ici sont rapportés des extraits de l'acte de donation du 29 juin 1636, cité plus haut. Le procès-verbal continue :

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....

Ainsy lesdits Pères Capucins n'ont pas eu raison ny droict de traictter leurs gens de la sorte en leur absence, ny les empescher d'émonder lesdits chesnes émondables, et jouir de leurs domaines qu'ils ne leur ont point donné, mais précisément réservés, et dont lesdits sieur et dame du Perray et leurs prédécesseurs ont toujours jouy paisiblement, quelques pratiques que lesdits Pères Capucins aient peu dresser contre l'intantion de leur fondateur. Et comme lesdits sieur et dame du Perray prétendent jouir de leurs droictz, et continuer ainsy qu'ils ont faict par le passé d'émonder lesdits arbres, «< ils ont à l'instant faict venir six hommes avec des eschelles, haches et serpes, pour émonder lesdits chesnes émondables, quy restentà émonder; lesquelz hommes estant montés dans lesdits chesnes et coupé les branches quy ont aparement cinq et six ans, sont intervenus les Révérends Pères Paulin de Nantes, supérieur de l'hermitage du Miséry, avec six de ses religieux, lequel Père Paulin, pour luy et pour la communauté dudict hermitage, a déclairé former son opposition à la coupe et émonde desdits chesnes, que lesdits sieur et dame du Perray font émonder, d'autant qu'ils sont continues la rabine dudit hermitage, et former ladite opposition en vertu d'arrest de la cour du Parlement de ce pays, du 27esme d'octobre 1659, protestant, qu'en cas que lesdits sieur et dame du Perray voudraient se passer outre à faire couper et émonder lesdits chesnes, au préjudice de leur opposition, qu'ils forment présantement, de ce pourvoir par les voyes de droict, de leur faire porter tous dépens domages et intérests, et que sy lesdits arbres ont ci devant estés émondés par l'ordre desdits sieur et dame du Perray, sca esté par voye de faict. C'est pourquoy cela ne pourra nuire ny préjudicier à leurs droicts, et a signé. Ainsy signé : frère Paulin de Nantes, supérieur des Capucins de l'Hermitage de Nantes, qui conteste les déclarations desdits sieur et dame du Perray, comme non véritables.

A quoy ledit sieur du Perray a répliqué qu'il est en possession depuis plus de deux cents ans de jouir des cousteaux de Miséry, dépendant de sadite maison de la Haultière, soutenues de quatre adveux rendus au Roy de ladite terre, estant aux archives de la chambre, employés en l'inventaire des adveux de la juridiction de Nantes, sous les cottes six vingt quatre, six cens six, six cens soixante cinq et huit cens quatre vingt

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