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Tout étant ainsi réglé, les Capucins pouvaient espérer qu'ils vivraient tranquilles sur ce coteau de Miséry. Les habitants de la ville et ceux des paroisses voisines et des villages proches du coteau avaient un chemin d'accès facile, pour aller au couvent de l'Ermitage, quand ils voulaient entendre la messe ou assister aux autres offices. Les gens de Nantes, qui se rendaient à leurs vignes, à leurs maisons, à leurs vaisseaux, ou bien encore à Coueron et aux paroisses adjacentes, passaient librement par ce chemin, entre l'Ermitage et le parc de la Hautière, et les manants de Chantenay, ainsi que ceux de Trentemoult qui traversaient la Loire pour aller à la ville, en profitaient également. En passant devant l'Ermitage, pour se rendre au marché, ils déposaient au couvent les subsistances qu'on leur avait demandées et qu'ils avaient promises.

Quant aux Pères Capucins, ce même chemin leur était très commode lorsqu'ils allaient, la nuit comme le jour, l'hiver comme l'été, assister les malades et leur administrer les sacrements, dans les villages de la Pichonnière, de la Baronnière, etc., à la prière du curé, car il n'y avait alors qu'un seul prêtre à Chantenay. Mais le sieur Ragaud, leur bienfaiteur, vint à mourir, et les religieux de l'Ermitage virent commencer toute une série de procès interminables qui, reprenant de temps à autre, par intermittence, ne finirent qu'en 1754.

III

PREMIERS PROCÈS DES CAPUCINS DE L'ERMITAGE

AVEC LES HÉRITIERS

DU SIEUR RAGAUD, SEIGNEUR DE LA HAUTIÈRE

1637-1682

Après la donation du 29 juin 1636, les Capucins ne s'étaient point pressés de faire construire les murailles destinées à renfermer le terrain qui leur était nouvellement concédé. Du côté de la

Loire, ils s'étaient contentés de faire ouvrir une petite porte dans le mur de leur enclos. Du côté du nord, ils construisirent leur nouveau mur, et comme le sieur de la Hautière fit élever en même temps les murailles de son parc, il se trouva qu'à la gorge du parc et de l'enclos des Capucins, deux gros arbres rétrécirent tellement le chemin de 15 pieds, que le passage devint impossible aux voitures qui ne purent plus arriver de Chantenay à la grande porte de l'Ermitage. Pour ne pas inquiéter leur bienfaiteur, ils percèrent une porte dans le mur de leur enclòs de ce côté. Les charrettes y venaient décharger le bois et autres choses que les Pères rentraient dans leur couvent. Il en fut ainsi jusqu'à la mort de Michel Ragaud, et même encore quelque temps après, car ils vécurent d'abord en bonne intelligence avec son fils et son héritier Jean Ragaud, écuyer, sieur des Perrières, conseiller du Roi, et auditeur honoraire à la Cour des Comptes de Bretagne. Les bons rapports entre ce dernier et les Capucins étaient si bien établis dans le principe, que ceux-ci l'avaient chargé de prendre soin de la construction des murailles de leur nouvel enclos, et de recevoir l'argent donné à cette fin.

Comment tout cela vient-il à changer? Nous n'avons pu le savoir. Toujours est-il que Jean Ragaud ne tarda pas à se montrer mauvais voisin. Il afficha la prétention de s'emparer du chemin ménagé entre l'enclos des Capucins et son parc, sous le prétexte que ce chemin passant sur ses terres, il était libre d'en disposer à son gré. Il eut d'abord, avec les propriétaires riverains, intéressés à la conservation de ce chemin, plusieurs procès qu'il perdit. Enfin, il s'attaqua aux Capucins.

Le 15 septembre 1655, il porta plainte au présidial de Nantes, contre les religieux de l'Ermitage, au sujet de la petite porte qu'ils avaient ouverte dans le mur de leur enclos, du côté de la Loire, pour se rendre au bateau qu'ils avaient sur la rivière. Dans un factum violent de 1658, Jean Ragaud affirme qu'il obtint à ce sujet défense pour les Pères; pourtant il ne paraît pas que la question ait été tranchée alors, puisque nous la voyons revenir en 1658.

Plus tard, il voulut faire abattre les arbres de l'avenue ou rabine, pour enclore de murailles, disait-il, tout l'espace de terrain qui allait de l'Ermitage à Nantes et y planter une vigne. Toutes les prières qui lui furent adressées, même par des personnes de grande condition, furent inutiles; pour l'empêcher de mettre son projet à exécution, il fallut un arrêt du 29 janvier 1658.

Enfin, il imagina de faire tirer de la pierre, proche de son parc, dans l'espace de 15 pieds laissé libre, pour le chemin, entre son parc et l'enclos des Capucins, interceptant ainsi complètement ce chemin. C'était, comme on le voit, enfermer les Capucins de tous côtés; personne ne pouvait plus venir à leur chapelle. Il promettait, il est vrai, de laisser aux Religieux un échalier, pour se rendre à pied de l'Ermitage à Chantenay; mais une fois l'échalier passé, les Capucins n'auraient pas été beaucoup plus avancés, ils auraient trouvé devant eux les clôtures du parc, ils n'auraient même pu prendre le chemin appelé chemin des filles. Tout naturellement les Capucins s'opposèrent à ces prétentions, et le procès, commencé ep 1655, se réveilla avec plus d'ardeur que jamais, pour ne se terminer qu'au mois d'octobre 1659.

Dans ce factum de 1658, dont nous avons déjà parlé, Jean Ragaud prétend que les Capucins sont les seuls à lui faire de l'opposition; il les accuse d'ingratitude; il soutient son droit de faire tirer de la pierre à tel endroit de ses garennes que bon lui semble, d'empêcher les Capucins de rendre ses garennes publiques en ouvrant une porte sur la rivière, et d'intercepter le chemin, aussi bien du côté de Chantenay que du côté de Nantes, par la destruction de la rabine; enfin, il leur reproche d'avoir fait émonder des arbres qui ne leur appartenaient pas, et d'avoir enlevé du vitrail de la chapelle un écusson de la maison de la Hautière, placé en cet endroit dès le temps des ermites.

D'après lui, son père n'a point enfermé de chemin à chariots dans son parc en 1607. C'est impossible, car ce chemin, à l'endroit où on le place, fût descendu droit à l'estier de Chézine, et dans cet endroit il n'y a aucun passage. Le chemin en litige n'a donc point

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été établi pour remplacer le premier. D'ailleurs, ce n'est point un chemin, puisqu'il y a deux gros arbres qui empêchent les charrettes d'y passer. Si les Capucins veulent aller à Chantenay, ils ont le grand chemin par où passent les charrettes et les carosses; les Capucins, qui vont à pied, peuvent bien s'en servir. Qu'ont-ils tant besoin d'aller à Chantenay? Ils n'ont point à aller secourir les malades, car il y a dans la paroisse autant de prêtres qu'il en faut; d'ailleurs, la confession leur est interdite. La porte qu'ils ont ouverte sur la rivière est une issue sur ses garennes. L'acte de 1636 ne leur a pas donné ce droit-là. Ils ont été placés dans sa terre par pure gratification, et ils veulent le chasser de sa propriété. Ce sont des gens qui se trouvent toujours incommodés par leurs voisins. Ce sont des ingrats qui veulent le ruiner en frais de procédure et qui lui ont déjà fait dépenser près de trois mille livres, etc., etc.

A ces récriminations violentes, les Capucins répondaient :

1° Qu'ils n'étaient pas les seuls qui lui faisaient opposition, puisqu'il avait déjà eu quatre ou cinq procès avec l'un de ses voisins, et qu'il en avait perdu deux;

2o Qu'ils ne pouvaient être taxés d'ingratitude, puisqu'ils voulaient uniquement rester dans l'état où leur fondateur les avait mis.

Le sieur Ragaud n'avait qu'à laisser les choses dans l'état où elles étaient, comme il les avait trouvées, et tout eût été dit.

3o Ce procès n'est point une fantaisie des Capucins, mais une chose tellement importante, que si le sieur Ragaud obtient ce qu'il demande, ils seront obligés d'abandonner l'Ermitage. Il leur a dit nettement qu'il prétend les enfermer du côté de la ville aussi bien qu'il le fait du côté de Chantenay, et que, quand il aura clos ses terres, il leur donnera des clefs pour sortir, comme pour rentrer chez eux. C'est les réduire à sa discrétion et les mettre dans une fâcheuse servitude. Par là, le sieur Ragaud donne raison à ceux qui

• Les Constitutions des Capucins leur défendaient en effet d'entendre les confessions des séculiers, mais, en 1658, il y avait plus de 50 ans que le pape Clément VIII y avait dérogé,

prétendent qu'il s'empare injustement des chemins publics et com muns, et qu'il veut même prendre aux Capucins le seul chemin qu'ils ont.

Passant aux différents griefs, les Capucins établissent que la porte qu'ils ont ouverte sur la rivière pour aller à leur bateau ne donne point sur les terres du sieur Ragaud, puisque l'acte du 29 juin 1636 leur concède tout le terrain jusqu'au sentier des bateliers. Ils n'ont jamais émondé d'arbres en dehors de leur enclos.

Quant au chemin contesté, les Ermites en ont toujours eu l'usage. Dans le principe ce n'était qu'un chemin à piétons, mais il est devenu chemin à charrettes, depuis 1607, lorsque Michel Ra gaud fit enfermer dans son parc celui qui était quarante pas plu haut. Il y a pour ce chemin une possession paisible, depuis plus de cinquante années, pour les Ermites et pour les Religieux, comme aussi pour les habitants de la ville et des paroisses et villages voisins, qui ont fait bâtir la chapelle de l'Ermitage, et qui viennent y entendre la messe.

Le sieur des Perrières dit qu'il donnera un autre chemin, tant à pied qu'à charroi. On répond qu'il n'en peut donner d'autre que par le village de la Perrière, et outre qu'on a déjà dit que ce chemin n'est pas viable, ny en hyver, ny quand il pleut, il est plus éloigné d'un quart de lieu des villages proches, de la Pichonnière, Béhinière, Baronnière, etc., que celui qu'il veut oster, et, pour y aller et en venir, il faudrait faire tout le tour de ses clos qui contiennent 1700 pas de circuit. Quelle corvée à ces Pères quand à l'hyver et la nuit et dans le mauvais temps ils vont assister ces bonnes gens malades, et leur donner les sacrements, à la prière du Curé, à cause qu'il n'y a qu'un prêtre à Chantenay! Quelle corvée à tous les villages proche de l'Hermitage et à ceux de Trentemoult, qui passent l'eau pour venir à la messe ! Quelle peine encore à la procession de Chantenay, de leur faire quitter un chemin si commode, et de les faire aller trouver le village de la Perrière, par un chemin si long et si fâcheux ! Il y a plus que les habitants de Nantes passent et ont toujours passé par ce chemin, pour aller à leurs vignes, maisons et vaisseaux, quand ils vont à Couëron et aux paroisses adjacentes; et les manants de ces lieux y passent aussi pour aller à Nantes, et comme les Capucins de l'Hermitage tirent quelques subsistances de tous ces lieux voisins, il est bien commode à ces bonnes gens, quand ils vont au marché ou en

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