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frappé de terreur à son approche imposante, devient à moitié vaincu avant la première décharge.

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Cependant, Messieurs, il serait difficile sans doute, en portant un cœur embrasé du feu sacré de la liberté et de la patrie, de se défendre d'un violent mouvement de suspicion, lorsqu'on voit le pouvoir exécutif venir brusquement proposer à l'assemblée nationale une déclaration de guerre aux princes d'Allemagne pour le 15 janvier prochain, à une époque où le pays, qui en doit être le théâtre, est impraticable, et dans un temps où notre armée est sans officiers, les régimens incomplets, les gardes nationales sans équipement pour la plupart, nos villes frontières sans munitions de guerre, et nos places fortes ouvertes à l'ennemi, par un défaut de garnison, ou suffisante, ou sûre. A-t-on jamais plus formellement mis en évidence un plan de contre-révolution, dont assurément l'exécution deviendrait aussi facile que le succès en serait certain?

› C'est pourtant, Messieurs, dans une position si pénible, si inquiétante, si dangereuse, qu'il se trouve des hommes, se disant patriotes, et qui prêchent, à mon grand étonnement, une circonspection trompeuse et apathique; des hommes qui veulent nous inspirer une confiance sans bornes, une sécurité qui n'a déjà que trop nui à la cause du peuple; des hommes qui prétendent que des vaines considérations doivent l'emporter sur la prudence, et qui, pour nous le persuader, substituent des saillies brillantes à des raisonnemens solides, et des espérances vagues à des preuves.

› Non, Messieurs, ce n'est pas le moment de s'abaisser à de lâches condescendances, de garder de perfides ménagemens, quand la liberté est menacée, quand la patrie est en danger, quand le salut de la nation, qui est la loi suprême, se trouve imminemment exposé; car vous y touchez à la fin, après tant d'oscillations et d'incertitudes, à cet instant redoutable où la détermination que l'assemblée nationale doit prendre va décider si nous serons définitivement libres, ou s'il faut redevenir esclaves pour toujours; si, en un mot, oubliant le serment que nous

avons fait d'employer tous les efforts moraux et physiques à la défense de notre liberté, nous n'opposerons à nos ennemis qu'une armée dénuée de tout, et commandée par des chefs non moins indignes de la confiance du soldat, que de l'estime de la nation; qu'une armée qui, pareille à ces légions innombrables de Péruviens, ne sachant suivre aucune tactique, et n'ayant que des flèches contre la foudre de l'artillerie espagnole, a permis à une poignée d'hommes d'en égorger des millions! Je le demande, Messieurs, est-ce là le moment où l'on doit hésiter de dire la vérité quelle qu'elle soit, de mettre au grand jour les manœuvres des malveillans, de les montrer aussi fourbes, aussi odieux qu'ils peuvent l'être? Si tout le monde se tait, si le vrai patriote marchande avec le zèle, si un excès de pusillanimité peut, dans cette circonstance critique, étouffer sa conscience, qui réveillera le corps de la nation, languissamment endormi dans les bras de l'inertie quand sa tête paraît sommeiller? Que toute la France soit avertie dans un temps utile, qu'elle soit frappée de terreur, en apprenant, en constatant les dangers qui l'environnent! qu'elle recule d'effroi à l'aspect de l'abîme qu'on veut entr'ouvrir sous ses pas ! qu'enfin elle reconnaisse que, pour s'y soustraire, il n'est pas un instant à perdre, et que le seul moyen d'en réchapper est de s'occuper sans délai à se mettre sur la défensive, et à se pourvoir elle-même d'armes et de munitions nécessaires, puisque depuis deux ans entiers que des ministres, notoirement ennen is de son salut, sont chargés de lui en fournir, elle est encore sans en avoir.

› Certes, Messieurs, Cicéron ne passa jamais, ni parmi ses contemporains, ni aux yeux de la postérité, pour ce que les ministériels contre - révolutionnaires et les modérés hermaphrodites appellent une tête chaude. On sait même que Brutus et Cassius ne lui crurent pas assez d'énergie pour l'inscrire sur la liste des vengeurs de la liberté. Cependant la mâle éloquence de ce. philosophe tonna contre la conspiration encore méconnue du traître Catilina; et si le consul n'eût pas éclaté dans ce moment décisif, Rome eût été mise aux fers dix-huit ans plus tôt.

Dès le jour même que le roi est allé à l'assemblée nationale, on s'est empressé de venir vous persuader que son discours exprimait les sentimens les plus dignes de la confiance publique. Mais depuis le commencement de la révolution, Louis XVI n'a fait en ce genre que des chefs-d'oeuvre d'admiration. Rappelezvous seulement celui dont les phrases les plus saillantes furent exposées, par l'académicien Bailly, qui s'y connaît sans doute, dans une belle illumination en couleur sur la façade de l'hôtelde-ville? Cependant, à peu près à la même époque, on essayait le commencement d'une contre-révolution, sous les ordres du ministre Latour-du-Pin, en égorgeant à Nanci les meilleurs patriotes, et en opposant avec tant de scélératesse les citoyens armés aux troupes de ligne. Cependant, depuis ce beau discours, la loi martiale a été réclamée au nom du pouvoir exécutif, pour lui faciliter, disait-on, une promenade à Samt-Cloud; cependant ce discours a été suivi, et de la fuite du mois de juin, et de la protestation explicative, qui fort heureusement n'a pas permis de faire prendre le change au peuple sur cet événement.

>On nous invite à la confiance pour donner, dit-on, plus de force aux moyens d'exécution. Mais que ceux qui veulent obtenir cette confiance sachent donc au moins la mériter. Le ministre de la guerre a dit à l'assemblée nationale qu'on ne défendait pas la liberté avec de simples discours. Eh! à qui doit-on s'en prendre, si nous ne sommes pas aujourd'hui à l'abri de toute atteinte? quand ses prédécesseurs ont constamment laissé nos frontières déga: nies de forces suffisantes; quand, dans les villes les plus exposées, ils n'ont placé que des troupes étrangères, ou dont le civisme était le plus suspect; quand ils ont fait fabriquer hors du royaume des fusils qui n'arrivent point, pour que, sans doute, il nous soit impossible d'en trouver sous notre main dans l'occasion; quand ils ont négligé d'armer et d'équiper un si grand nombre de gardes nationales dévouées à la défense de la liberté; de quel front, l'agent qui remplace de pareils traîtres, rappeler à l'assemblée nationale qu'on ne maintient pas cette liberté avec des mots ? et c'est encore après des faits aussi positifs,

ose-t-il

après une succession de perfidies aussi évidentes, que ces genslà se plaignent qu'on entoure toutes leurs démarches de défiances! qu'ils ont l'impudence d'élever la voix pour accuser ceux qui réclameraient contre une déclaration de guerre faite, lorsque, loin d'être en état d'attaquer, c'est tout au plus si le courage invincible qu'inspire l'amour de la liberté, nous permettrait de repousser une provocation de nos ennemis !

› Au rapport de ce ministre, cent cinquante mille hommes doivent être assemblés avant un mois sur les frontières. Il est bien temps, lorsqu'il s'est déjà écoulé près d'une année depuis que l'assemblée constituante a ordonné la formation de cette armée. Quoi qu'il en soit, que feront ces cent cinquante mille hommes, si la plupart sont sans armes, si les munitions de guerre manquent, si les canons, si les boulets qu'on aura ne sont pas de calibre? Et cependant, quand tel est l'état actuel des choses, sera-ce dans un mois, et surtout au cœur de l'hiver, où les transports deviennent plus difficiles, que le ministère pourra réparer une négligence de deux ans consécutifs?

› Le ministre de la guerre nous apprend, j'ignore, Messieurs, si c'est dans l'intention de nous mieux rassurer, qu'il part pour aller parler aux officiers et aux soldats de l'armée, et pour inspirer l'amour de la discipline aux braves gardes nationaux. Eh! si nos frères d'armes ont un tort aux yeux de ses pareils, n'est-ce pas d'avoir constamment persévéré dans leur noble résolution, en dépit des dégoûts et des fatigues dont on les a harcelés, afin de les révolter et de les faire déserter, s'il eût été possible? Et puis quel besoin des Français, qui veulent être libres, ont-ils de la présence et des discours d'un ministre pour être enflammés de la gloire, et pour savoir vaincre ou mourir? Au reste, supposerait-on même cet encouragement nécessaire, est-ce par la bouche d'un ministre, d'un de ces hommes qui, fussent-ils vertueux avant d'arriver à ce poste, paraissent pervertis huit jours après, que les peuples seront jamais instruits à repousser les efforts du despotisme, dont tout agent du pouvoir est naturellement le

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Cyclope? Les tours de la Bastille seraient-elles renversées, si l'on eût attendu, pour les bombarder, les conseils Barantin, de ce teneur de lits de justice, en présence d'une assemblée nationale, ou d'un Breteuil, qui prétendait soumettre Paris en y employant pour quinze francs de corde.

› Au surplus, Messieurs, quel langage le ministre de la guerre doit-il tenir à notre armée? Il nous prévient lui-même qu'il lui dira que le mot de trahison n'est d'aucun langage. En ce cas, pourquoi, comment sait-il l'articuler? Mais, fùt-il vrai qu'aucun idiome n'eût admis cette expression, il est certain que la conduite de ses collègues, dès le commencement de la révolution, nous eût forcés de créer ce mot, pour peindre d'un seul trait leur caractère. Au surplus, j'interpellerai ici ce ministre, pour lui demander à quel propos il ira parler de trahison à nos frères d'armes, quand surtout il prétend avoir besoin de forger cette expression exprès pour la circonstance. Est-ce avec des termes inconnus et insignifians qu'on éclaire les hommes sur leurs devoirs? Mais que dis-je! le mot est très-énergique; et si le ministre feint de ne le pas connaître, c'est vraisemblablement pour qu'il paraisse autorisé à rendre plus frappante, par un commentaire, l'idée qu'il trace à l'imagination; car je vous l'avoue, Messieurs, l'intention du ministre de la guerre me paraît parfaitement prononcée dans le passage du discours que j'analyse, et je désire que tout le monde puisse l'entendre aussi clairement que moi.

› Ce ministre nous prévient également qu'il doit parler aux officiers et aux soldats au nom de leur intérêt. Mais l'intérêt des officiers particulièrement n'est-il pas une contre-révolution complète, alors que ces ennemis, nés de l'égalité et de la liberté, sont encore, malgré leurs menaces et leurs parjures, les commandans de nos cohortes? Mais ne peut-on pas chercher à tenter le soldat par l'intérêt de quelques gratifications, ainsi que le pouvoir exécutif vient de l'essayer auprès du régiment de la Reine dragons, à qui la liste civile a fait distribuer de beaux surtouts neufs, pour engager ce corps à obéir aveuglément aux ordres de son digne colonel, M. Gouy-d'Arcy? ›

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