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voulons conserver le privilége de l'activité. Les Passifs lui répondirent: Nous voulons être Actifs sans plus attendre. Les uns et les autres : Nous ne sommes pas avec vous. Contre-révolution, immobilisation, insurrection, tels furent les rôles fatalement distribués par les législateurs constituans aux catégories sociales que le passé leur avait remises.

De ce que tout était faussement posé à l'intérieur, il arriva que tout le fut aussi à l'extérieur. La révolution, nettement manifestée par la France, devenait à l'instant une question européenne. Elle avait un domicile préparé chez toutes les nations nées du christianisme, et il lui suffisait d'accuser son origine, et de poser sa morale, pour que les souverains étrangers fussent obligés, aux yeux de leurs peuples, non-seulement à la respecter, mais encore à en recevoir l'impulsion. Résister à un devoir authentiquement proclamé comme le seul lien moral des peuples d'Europe, était impossible aux royautés du continent. Alors, en effet, le pouvoir révolutionnaire ayant seul une sanction, n'avait rien à redouter d'un pouvoir ennemi; car il ne restait à un tel pouvoir d'autre motif à invoquer que la force brutale.

Ainsi, l'entrée en révolution de l'assemblée nationale constituante devait être signalée par la déclaration de la morale européenne. A ce prix, ses actes de destruction eussent frappé juste; à ce prix, elle eût créé une organisation que nul homme de bonne foi n'eût critiquée; à ce prix, elle dictait aux rois de l'Europe un droit des gens nouveau qui les eût brisés sans retour, s'ils n'y eussent volontairement et pleinement obéi.

Nous avons exposé comment elle faussa les rapports intérieurs. Elle gouverna les relations extérieures dans le même esprit. D'abord elle se conduisit comme si la nation française était complétement isolée, complétement indépendante du milieu européen. Elle ne vit pas que la question de l'unité était partout la grande question. Le clergé galtican avait un centre par lequel il fallait commencer la réforme : la constituante agit sur le détail. Elle laissa au chef du corps clérical la puissance de l'unité, le caractère de la souveraineté qui oblige; en un mot, un instru

ment d'obéissance devant lequel le sien était nul. Elle ne vit pas que la royauté était un système qui avait aussi son centre et son unité, et que cette unité servait de base au fameux traité de Westphalie. La réforme du pouvoir royal devait donc procéder d'une solution unitaire; elle devait attaquer le mal à sa source, et substituer à la doctrine du droit, d'où émanait la royauté monarchique, le principe du devoir par lequel désormais tous les pouvoirs légitimes seraient membres de la nouvelle unité.

A cette condition, les souverains eussent été placés dans la vraie relation que jetait entre eux le dogme révolutionnaire, et dans le rapport commun à tous dont il était lui-même le sommet.

Ici la constituante entreprit encore de modifier le détail sans s'occuper de l'unité qui lui donnait seule de la valeur ; elle agit sur un roi au lieu d'agir sur le système royal. A cause de cela, dépourvue de tout moyen de prévoir les conséquences que ses actes entraîneraient, elle décida qu'ils n'en auraient probablement aucune, et se mit à les attendre comme des cas fortuits qui échappaient à la prudence humaine.

A mesure que les élémens de contre-révolution qu'elle semait à pleines mains, manifestèrent leur tendance, la constituante ne put leur résister en principe que par sa doctrine propre, la tolérauce universelle, et en pratique, qu'en leur proposant le compromis, le contrat qu'elle offrait au nom des intérêts bourgeois à tous les intérêts antipathiques. Contre de si faibles adversaires, contre les misères du fédéralisme, les élémens de contre-révolution avaient deux abris assurés, deux centres de réaction, autour desquels ils se groupèrent en effet : l'unité papale et l'unité royale.

Lorsque ces résultats eurent grandi de manière à nécessiter de la diplomatie sérieuse, les représentans de la classe bourgeoise ne doutèrent pas que leur constitution ne fût admise sur le terrain du traité de Westphalie comme l'équivalent rigoureux du monarque français. Aussi, de ce point de vue, les négociations dont nous avons parlé à la fin du précédent volume, lui parurentelles l'infaillible remède à ces symptômes de coalition qui menaçaient nos frontières. Les législateurs constituans ne réfléchirent

pas que le pacte d'union entre les rois était un contrat entre propriétaires, se garantissant mutuellement la propriété héréditaire d'un royaume, de ses habitans et de son étendue territoriale. Or, que pouvait garantir aux rois de l'Europe une constitution qui, bien loin d'offrir le caractère immuable et indépendant d'un possesseur, était sujette à toutes les vicissitudes d'une chose possédée? Que pouvaient-ils lui garantir à elle-même? Ce fut cependant sur des calculs de cette nature, tranchons le mot, sur un sophisme aussi grossier, que la constituante eut prétention d'asseoir l'Europe.

Au moment où elle quitta le pouvoir, le défaut d'initiative que nous lui avons tant de fois reproché, défaut qui généralise au reste très-exactement ce qu'on vient de lire, avait engendré pour ses successeurs des fatalités redoutables. Au sortir de ses mains la France constitutionnelle était passive à l'égard de tous ses ennemis intérieurs et extérieurs; tolérante envers les prêtres nonassermentés, tolérante envers les émigrés; elle n'était protégée contre les agressions contre-révolutionnaires que par le système répressif d'une vaine légalité. La Vendée prenait les armes, et on lui opposait la loi; les prêtres prêchaient la guerre, et on leur opposait la loi; les émigrés préparaient des coalitions, et on leur opposait la constitution. Le manque d'activité initiatrice de la part des chefs de la bourgeoisie, les ayant détournés sans cesse de l'attaque, les avait détournés aussi de la défense; car la force, le pouvoir de la sécurité, comprend indispensablement l'attaque et la défense; car l'attaqué et la défense sont les deux aspects du même moyen. Ainsi les hommes de loi, les avocats célèbres, exparlementaires pour la plupart, qui gouvernèrent la France du mois de mai 1789 au mois d'octobre 1791, la dotèrent d'une constitution que ne sanctionnait aucun principe moral, et ne songèrent nullement à lui tenir prête la sanction qui convient seule à ces sortes de législations, une force brutale invincible.

Ouverte à l'invasion, sillonnée en tous sens par des émigrans, des conspirateurs et des traîtres, atteinte sur un point de la guerre civile, et menacée sur tous de la guerre étrangère, telle

était la France lorsqu'elle fut remise à l'assemblée législative. Nous allons voir celle-ci, pour première démarche, s'inféoder solennellement à la constitution. Obéissante jusqu'à l'enthousiasme au codicile des testateurs, elle va prendre possession d'une base immobile, du terrain sacré de l'inactivité, avec des démonstrations qui lui seront plus tard ainsi rappelées : « Ce code fut apporté en triomphe par des vieillards, comme un livre saint; plusieurs le baignèrent de leurs larmes et le couvrirent de baisers. L'acte constitutionnel fut reçu avec moins de gravité et de respect, que de superstition et d'idolâtrie, et l'assemblée législative parut se tenir dans une humble contenance devant l'ombre même de l'assemblée constituante. (Le Défenseur de la constitution, n° I, p. 3.) Aujourd'hui cependant, il faudra agir pour vivre; aujourd'hui chaque acte sera réellement un acte de salut. Privée, par la position fatale qu'elle a volontairement subie, de la capacité et de la verve initiatrice, la législative ne nous présentera dans ses paroles et dans ses œuvres que des mouvemens à posteriori. Attaquée au vif, elle réagira; ses colères révolutionnaires les plus exaltées ne seront que de pures réactions; à des insultes elle répondra par des insultes; à des conspirations flagrantes, par des dénonciations qui se traîneront, sans aboutissement, dans les embarras des formes judiciaires, après s'être traînées dans ceux des formes parlementaires; à des fauteurs de guerre civile, par des décrets qui les priveront de leur pension; enfin, à des armées prêtes à faire feu, par une déclaration de guerre.

La séance du serment étant une des pièces de notre introduction, nous la plaçons sous les yeux de nos lecteurs.

SÉANCE DU 4 OCTOBRE.

[M. le président. L'ordre du jour est la prestation du serment individuel prescrit par la constitution. La loi du 17 juin porte que le président en prononcera la formule, et que tous les menbres monteront successivement à la tribune, et diront: Je le jure. N.... Ne serait-il pas convenable de donner à cette cérémonie tout l'appareil et toute la solennité propres à caractériser son

importance? Je demande que la constitution soit apportée par l'archiviste, et que ce soit en tenant la main posée sur ce livre sacré, que chacun prête le serment. (On applaudit.)

M. Girardin. J'appuie la motion du préopinant; mais j'y joins un amendement; c'est de nommer une députation pour aller chercher aux archives l'acte constitutionnel. (Il s'élève des rumeurs.)

N.... La loi du 17 juin 1791 porte que: chaque membre montera à la tribune, et dira: Je le jure; mais la constitution n'en parle point; puisque nous avons déjà dérogé hier à cette loi, je demande qu'afin qu'il n'y ait point de restriction mentale, il soit décrété que chaque membre prononcera la formule du serment dans toute son intégrité.

N.... J'appuie la proposition de l'anté-préopinant, et je demande qu'il soit décrété que l'acte constitutionnel sera apporté à la tribune.

Cette proposition est adoptée.

M. Lacroix. Je demande l'ordre du jour sur la proposition qui a été faite d'envoyer une députation aux archives.

N.... Le préopinant paraît ne pas avoir compris l'esprit de la proposition. Ce n'est pas à l'archiviste qu'on envoie une députation, c'est au dépôt sacré qui ne peut être déplacé sans être sous la garde d'une commission de l'assemblée.

N.... Il n'est point question d'une députation; je demande qu'il soit décidé simplement que l'assemblée nommera des commissaires.

N.... Pour terminer tous ces inutiles débats, je pense que comme l'acte constitutionnel ne peut arriver ici tout seul, il est tout naturel de l'envoyer chercher.

M. Lacroix demand la parole contre cette proposition, et fait de longs efforts pour l'obtenir.

L'assemblée ferme la discussion, et décrète que le président nommera parmi les plus anciens d'àge, douze commissaires chargés d'apporter l'acte constitutionnel.

M. Moulin. Je pense qu'avant de nous occuper de rien de ce

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