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la prise de la Bastille. Non-seulement voilà ce que nous venons vous dire au nom de vingt millions d'hommes; mais nous venons vous demander un grand exemple, et que le directoire soit mis en état d'accusation. (Les applaudissemens de l'extrémité gauche recommencent.)

Il est facile d'établir en deux mots qu'il y a lieu à accusation; et cette discussion laconique n'est pas pour ceux qui jugent les intentions. A juger comme hommes, il y a long-temps que nous avons eu la mesure du civisme de notre directoire, quand nous l'avons vu par une proclamation incendiaire, non pas rouvrir les chaires évangéliques à des prêtres, mais des tribunes séditieuses aux conjurés en soutane. C'est comme juges, c'est avec les balances de la justice et les décrets à la main, que nous disons qu'il y a lieu à accusation. Il y a lieu à accusation: 1o l'article XVII du chapitre V de l'acte constitutionnel, porte: Pourront être poursuivis les auteurs de tout écrit, provoquant à dessein l'avilissement des pouvoirs constitués, et la résistance à leurs actes. Nous invoquons avec quelque honte un pareil décret, et il est singulier de voir les Desmeuniers et les Beaumetz pris les premiers à leur propre piége. (On applaudit.) Mais nous demandons s'il est possible de concevoir un écrit qui provoque plus la résistance à la loi, que celui où les fonctionnaires publics chargés de la faire exécuter, déclarent qu'ils ne le feront pas. Ces fonctionnaires publics, qui se parent d'un si grand zèle pour la constitution, doivent donc être poursuivis comme coupables de forfaiture, aux termes de la constitution.

› 2o Parce que le décret des pétitions défend les pétitions collectives; et la pétition du directoire de Paris est une pétition collective. Il ne sert de rien que les signataires l'aient qualifiée de pétition individuelle. Ce n'est point, disent les lois, le nom que le notaire donne à l'acte, qui en fait la nature ; c'est la nature même de l'acte. C'est ainsi qu'il n'a servi de rien d'appeler constitutionnel le décret da 24 septembre sur les colonies; parce qu'il était rendu quinze jours après la clôture de l'acte constitutionnel, auquel l'assemblée constituante avait déclaré elle-même

ne pouvoir rien ajouter. De même cette pétition qualifiée individuelle n'en est pas moins une pétition collective des membres du directoire, puisque les membres seuls ont signé, qu'ils ont signé tous, jusqu'au secrétaire, et qu'ils ont pris dans leur signature la qualité de membre du directoire. Ils ont tellement agi en cette qualité, qu'après s'être annoncés comme simples pétitionnaires, ils ont soin aussitôt de rappeler leur qualité d'administrateurs; ils parlent de la puissance de l'opinion attachée à un corps imposant; enfin ils vont jusqu'à se souvenir que c'est à eux qu'appartiendrait l'exécution du décret, et ils ne craignent pas de déclarer qu'aucun d'eux ne se sentirait ce genre de dévoûment, de prêter la main à une pareille loi. Les membres du directoire sont donc coupables d'avoir violé la loi des pétitions, et cette violation de la loi, répréhensible dans un citoyen, dans les circonstances et dans la personne des fonctionnaires publics, chargés de la faire exécuter, acquiert un degré de gravité qui met les coupables dans le cas d'être poursuivis.

5° Enfin, il y a lieu à accusation, parce que demander le veto, fût-ce même par une pétition individuelle, c'est demander, ou bien la guerre civile, ou bien le renversement de la constitution, qui est un gouvernement représentatif. Qui ne voit que l'effet nécessaire d'une pétition individuelle, pour demander le veto, c'est que les uns s'inscriront pour, et les autres contre. Alors, ou le roi accédera au vœu de la minorité, et voilà la guerre civile et l'insurrection: car la majorité dira que la loi doit être l'expression de la volonté générale ; ou bien le roi accédera au vœu de la majorité ; et voilà le renversement du gouvernement représentatif, puisque ce sera la majorité de la nation elle-même qui fera la loi, et non plus ses représentans. Certes, nous ne sommes pas les admirateurs du gouvernement purement représentatif, sur lequel nous pensons comme J.-J. Rousseau, qui en fait un tableau si vrai dans le Contrat social; mais les bons citoyens ont juré de maintenir la constitution, et ceux même d'entre eux qui l'aiment le moins, se feront toujours un devoir, du moins jusqu'à la prochaine convention, de la maintenir telle qu'elle est; parce 17

T. XII.

que, s'ils en aiment peu certains articles, ils aiment encore moins les horreurs d'une guerre civile. Au lieu que voyez avec quelle impudeur des membres du comité de constitution, et ceux-là qui ont établi le gouvernement purement représentatif, ceux-là qui ont sans cesse à la bouche le mot sacré de constitution, proposent tout à coup le renversement du gouvernement, depuis que la nation a des représentans qui ne conspirent plús contre elle. Et ils ne proposent de consulter le vœu de la nation, que parce que la nation à des représentans qui la consultent. Le ministre de l'intérieur n'a pu les consulter comme directoires, la loi des pétitions s'y opposait ; il n'a pu consulter que les individus ; s'il a consulté les individus, tous les autres individus ont été également consultés; la nation entière a été appelée à la consultation aussi bien qu'eux.

>C'était donc compter les voix; c'était ramener le système proserit des mandats impératifs; c'était renverser le gouvernement représentatif, à moins qu'on ne dise que le ministre et le directoire ne cherchaient qu'à s'assurer d'une minorité, et voulaient seulement ouvrir une souscription de guerre civile,

>Mais on vous dit que la pension des prêtres était une dette nationale; comme si, lorsque vous demandez seulement aux prétres de déclarer qu'ils ne seront pas séditieux, ceux qui refusent un pareil serment n'étaient pas déjà des séditieux; comme si c'était un crime de punir la sédition par une amende; comme si des prêtres factieux qui n'ont rien prêté à l'État, créanciers de l'État, non à titre onéreux, mais à titre de bienfaisance, n'étaient pas déchus de la donation pour cause d'ingratitude. (On rit.)

› Dédaignez donc ces misérables sophismes, pères de la patrie! La forfaiture des membres du directoire est établie; connaissezvous vous-mêmes, et ne doutez plus de la toute-puissance d'un peuple libre. Mais si la tête sommeille, comment le bras agira-til? Ne levez plus ce bras, ne levez plus la massue nationale pour écraser des insectes, un Varnier, un Delâtre. Caton et Cicéron faisaient-ils le procès de Cétegus et de Catilina? Ce sont les chefs qu'il faut poursuivre. Frappez à la tête; servez-vous de la foudre

contre les princes conspirateurs, de la verge contre un directoire insolent, et exorcisez le démon du fanatisme par le jeûne.» (On applaudit à plusieurs reprises.)]

L'assemblée décréta que le procès-verbal de cette séance serait envoyé aux quatre-vingt-trois départemens. Le lendemain, les Feuillans firent, à l'égard de ce décret, ce qu'ils avaient fait à l'égard de celui du 5 octobre, relatif au cérémonial. Voici comment Brissot rend compte de cette affaire : Faut-il donc que le patriotisme et la bonne foi soient toujours dupes ou victimes de la même tactique et des mêmes manoeuvres? Faut-il que toujours la minorité, qui veille pour l'intrigue, profite du sommeil ou de la négligence de la majorité, qui s'endort sur la foi de ses succès, pour renverser, par de misérables subtilités et par une indigne surprise, le résultat d'une discussion franche et loyale ?

De toutes les ruses de guerre des intrigans de l'ancienne assemblée, celle qui leur a le mieux et le plus souvent réussi, c'est de se trouver en force à la lecture du procès-verbal, pour faire rapporter ou modifier les décrets auxquels ils s'étaient opposés en vain pendant la discussion. Héritiers des stratagèmes de ces savans tacticiens, et dirigés par leurs leçons dans des conciliabules bien connus, les ministériels de l'assemblée législative ont aussi adopté cette marche, et elle leur a valu un honteux succès dès leurs premiers pas dans la carrière.

> Ils l'ont encore employée aujourd'hui, désespérés des triomphes éclatans remportés par le patriotisme dans les deux dernières séances; jaloux des félicitations et des éloges qu'obtenaient les deux décrets auxquels ils n'avaient opposé que de stériles efforts; convaincus que le reste de la France s'empresserait de dénoncer, à l'exemple des citoyens de Paris, l'incivique pétition du directoire, si on laissait subsister les témoignages de l'accueil favorable qu'avaient reçu les adresses des sections; ils ont résolu de faire rayer des procès-verbaux toutes les mentions honorables décrétées hier et avant-hier, et de faire rapporter le décret qui

ordonnait l'envoi au département du procès-verbal de la séance d'hier, et ils ont réussi.

› M. Faucher a lu le procès-verbal de la séance d'avant-hier soir; il a rendu compte d'une adresse où il était dit que le veto lancé contre un décret du moment était absolu, et par conséquent inconstitutionnel.

› Ces mots ont été le signal de l'insurrection du parti ministé riel. On s'est écrié qu'on avilissait le pouvoir exécutif; comme si c'était avilir un pouvoir que de censurer un de ses actes. On s'est écrié qu'on aimerait mieux être enseveli dans les cachois de l'Abbaye, que de permettre que l'on attente à aucun pouvoir constitué; comme si ces exclamations n'étaient pas de véritables attentats contre la constitution, qui consacre et le droit de pétition, et le droit de censure des actes de législation et de gouver

nement.

› M. Quatremère n'a gardé aucun ménagement, et, insultant à la fois, et aux pétitionnaires et à l'assemblée qui les avait applaudis, il a osé traiter leurs adresses d'adresses mendiées, et dictées par l'aveugle esprit de parti, et les sentimens patriotiques qu'elles renferment d'encens et de tournures perfides; il a demandé la radiation de toutes les mentions honorables faites hier et avant-hier.

› M. Lacroix n'a pu contenir sa juste indignation; il s'est élevé avec force contre l'audace avec laquelle on voulait renverser ce qui avait été fait par une majorité si grande, que ceux qui réclamaient la question préalable n'osèrent se lever pour l'appuyer. Une petite coalition, s'est-il écrié, espérerait-elle avoir aujourd'hui un succès qu'elle n'a pu obtenir hier? ››

>

La conscience de M. Chéron, l'un des chefs de cette petite coalition, lui a fait sur-le-champ à lui-même l'application de ces paroles, et il a demandé, mais en vain, que M. Lacroix fût rappelé à l'ordre.

> Enfin, après de nouvelles déclamations contre les adresses et leurs auteurs, la cabale a forcé l'assemblée de décréter que le

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