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les ci-devant princes du sang. Voulez-vous dissiper ce foyer? c'est en s'attachant à eux, à eux seuls, que vous y parviendrez. Voulez-vous que le numéraire se montre enfin, que la confiance reparaisse? tenez une conduite ferme et vigoureuse. Qu'on ne dise plus: Ces mécontens sont bien forts; ces 25 millions d'hommes sont bien faibles, puisqu'ils les craignent où les ménagent.

Enfin, une loi contre les chefs est possible; tandis que l'autre entraîne une foule d'inconvéniens qui rendent son exécution impraticable.

C'est par l'exécution de cette loi que vous éprouverez le patriotisme du ministre. On lui demandait la liste des officiers émigrés, l'état des pensions: il sut toujours se rejeter sur l'impossibilité de faire ces listes. Ici il n'y aurà plus de semblables prétextes.

Mais faites précéder vos mesures dé rigueur d'un dernier avertissement. (On applaudit.) Cet avertissement doit s'adresser également aux fonctionnaires publics qui ont déserté leur poste: qu'ils rentrent dans le royaume, et l'amnistie laverà tout; mais s'ils persistent, alors qu'ils soient poursuivis selon toute la rigueur des lois.

Quant aux simples citoyens que des motifs particuliers ont fait émigrer, il est nécessaire de faire quelques observations. Un malentenda a divisé les patriotes. On a confondu les lois contre la révolte, avec les lois contre l'émigration. La déclaration des droits porte, que tout homme est libre d'aller où bon lui semble. Il en résulte que la liberté d'emigrer doit être entière pour les citoyens. Quel éloge c'est faire de la liberté que de montrer aux puissances étrangères que son égide couvre ses ennemis mêmes!

On peut, dit-on, retenir ces citoyens pour faire leur propre bonheur : sophisme adroit, mais facile à réfuter. Chaque homme est le maître de se faire du bonheur l'idée qui lui plaît. Si je renonce à la protection de votre loi, son empire finit pour moi. L'homme ticht de la nature le droit de porter partout ses pas,

de porter partout son industrie et ses richesses. Sans doute il en doit une portion à la société pour le prix de la protection qu'elle lui accorde; mais, quand il n'a plus besoin de cette protection, alors aussi la société cesse d'avoir aucun droit sur sa fortune..

L'ancien comité de constitution avait senti combien une pareille loi serait injuste, combien les confiscations, les régies qu'elles nécessitent, ont d'inconvéniens. L'assemblée nationale avait préféré une triple imposition établie sur les propriétés que les émigrés laisseraient en France; je demande que cette loi soit remise en vigueur. Mais surtout j'insiste pour qu'on ne parle ni de lois prohibitives absolues, ni de confiscations. Quand, dans des siècles de barbarie et d'ignorance on fit contre les juifs des lois prohibitives, l'industrie trompa les regards de la tyrannie par le secret des lettres de change. Louis XIV défendit l'émigration aux protestans. Or, si ce grand prince, avec ses cent mille commis, avec ses trois cent mille soldats, avec ses prêtres, avec ses fanatiques, qui étaient autant de délateurs et de bourreaux, n'a pas pu parvenir à l'arrêter, et s'il a inutilement souillé son règne, que sera-ce lorsqu'il n'y a plus de commis, lorsque les soldats, brûlant de combattre ouvertement les ennemis de la patrie, se refusent au rôle de délateurs, lorsque l'avide cupidité ouvre publiquement des bureaux d'assurance pour le transport de toutes les espèces de propriétés? La prospérité et la tranquillité publiques, voilà les meilleures lois contre les émigrations.

Attachons-nous donc à consolider notre révolution, à faire aimer la constitution, et nous verrons revenir en foule nos émigrans: leur goût, leurs habitudes, cet amour de la patrie qui poursuit les émigrans dans les pays même les plus heureux, les rameneront bientôt vers vous ; ils les rameneront surtout, si, déployant la plus grande sévérité contre les chefs des révoltés, contre les fonctionnaires publics qui ont ajouté des crimes à leur désertion, qui ont l'impudence de parler encore d'honneur, lorsque, plus vils que les Cartouche, ils enlèvent les caisses qui

leur sont confiées; si, dis je, sévères à l'égard de ces brigands, nous traitons avec indulgence cette classe d'émigrans qu'un préjugé futile, mais excusable, qu'un fol espoir ou que la crainte ont entraînés loin de nous. Les peuples libres sont essentiellement bons; ils finissent toujours par faire grâce à leurs plus cruels ennemis, quand le danger est passé. N'avez-vous pas vu les royalistes d'Amérique, qui avaient porté le fer et la flamme dans leur propre pays, ne les avez-vous pas vus rappelés par les patriotes, même les plus énergiques?

Pour résumer mes idées sur cet article, je voudrais donc qu'on fixât un délai dans lequel les ci-devant princes, leurs adhérens, tous les fonctionnaires publics et autres particuliers seraient tenus de rentrer dans le royaume et de se soumettre à la constitu. tion. Je voudrais que, le délai passé, les chefs de la révolte et les fonctionnaires publics fussent poursuivis criminellement, comme ennemis de la patrie, que leurs biens et revenus fussent confisqués.

Je voudrais que, pour rendre plus difficiles les circulations, la sortie des fonctionnaires publics émigrans, on renouvelât le régime des passeports, en laissant cependant sortir tous ceux qui ne le seraient pas.

Je voudrais encore faire revivre la loi qui défend l'exportation des munitions de guerre et du numéraire.

Quant aux simples citoyens émigrans, qui ne prendraient pas part à la révolte, je voudrais qu'on se bornât à remettre en vigueur la loi qui assujétit leurs biens à une plus forte taxe. Cette taxe est de toute justice, car leur demeure, en nous causant des inquiétudes, nous entraîne à des précautions dispendieuses : et qui doit en supporter le poids plus considérable, sinon les auteurs de nos maux? De cette manière, vous concilierez la justice, les droits de l'homme et des citoyens, la dignité de la nation française et le maintien de la révolution.

Je vous l'ai déjà fait pressentir, toutes vos lois, et contre les émigrans, et contre les rebelles, et contre leurs chefs, seront inutiles, si vous n'y joignez pas une mesure essentielle, seule propre à en assurer le succès; et cette mesure concerne la conduite que

vous avez à tenir à l'égard des puissances étrangères qui soutiennent et encouragent ces émigrations et cette révolte.

Je vous ai démontré que cette émigration prodigieuse n'avait lieu que parce que, jusqu'à présent, vous aviez épargné les chefs de la rébellion, que parce que vous aviez toléré le foyer de la contre-révolution, qu'ils ont établi dans les pays étrangers; et ce foyer n'existe que parce qu'on a négligé, qu'on a craint, jusqu'à ce jour, de prendre des mesures convenables et dignes de la nation française, pour forcer les puissances étrangères d'abandonner les rebelles.

Tout présente ici un enchaînement de fraude et de séduction. Les puissances étrangères trompent les princes, ceux-ci trompent les rebelles, et les rebelles trompent les émigrans. Parlez enfin le langage d'hommes libres aux puissances étrangères, et ce système de révolte qui tient à un anneau factice s'écroulera bien vite, et non-seulement les émigrations cesseront, mais elles reflueront vers la France; car les malheureux, que l'on enlève ainsi à leur patrie, désertent dans la ferme persuasion que des armées innombrables d'étrangers vont fondre sur la France pour y rétablir la noblesse. Il est temps enfin de faire cesser les espérances chimériques qui égarent des fanatiques ou des ignorans; il est temps de vous montrer à l'univers ce que vous êtes, hommes libres et Français. (On applaudit.) Vous devez donc à la sûreté autant qu'à la gloire de la nation d'examiner les outrages que vous avez reçus des dispositions des puissances étrangères. Vous devez, en un mot, faire votre bilan de situation vis-à-vis des puissances étrangères. De là dépend le succès de toutes vos lois sur les émigrations et l'extirpation totale de l'esprit de révolte.

Vous me permettrez donc de jeter un coup d'œil rapide sur notre situation politique, dont la connaissance seule peut diriger vos lois sur l'émigration. Vous rappellerai-je tous les outrages faits aux Français, l'arrestation d'un de vos envoyés, la saisie de la lettre du roi à l'ambassadeur de Vienne? Vous rappe'lerai-je la persécution et la ruine d'un manufacturier français, l'aversion manifestée en tant d'occasions par la cour d'Espagne contre la ré

volution; et cette lettre où on insultait la nation française, en appelant le roi, son souverain, et en la menaçant de la punir de son enthousiasme pour la liberté? Vous rappellerai-je et cette inquisition exercée contre les voyageurs français, et ces expéditions, ces rassemblemens de troupes du côté des Pyrénées, ordonnés sous de ridicules prétextes, et dont la coïncidence avec la fuite du roi montre assez les véritables motifs? Vous rappellerai-je les outrages faits au seul de nos ambassadeurs qui ait montré une conduite patriote et digne du représentant d'une nation libre? N'avez-vous pas vu les magistrats de l'État de Berne verser le sang français, poursuivre comme un crime la célébration de l'anniversaire de notre révolution, punir une ville pour avoir chanté cet air qui déjà a frappé les oreilles de plusieurs peuples? et jusqu'à ce gouvernement de Venise, qui n'est qu'une comédie, n'at-il pas expulsé un négociant français pour son patriotisme, et l'amiral vénitien n'a-t-il pas outragé le pavillon français ? Jusqu'à ces petits princes d'Allemagne, dont l'insolence, dans le siècle dernier, fut foudroyée par le despotisme, n'ont-ils pas prêté une hospitalité coupable à des rebelles, tandis qu'ils persécutaient les patriotes? Jusqu'à Genève, cet atome de république (on applaudit), que tout aurait dû porter à adorer et à suivre la révolution française; l'aristocratie de cette république n'a-t-elle pas fait les efforts les plus coupables pour protéger nos contre-révolutionnaires? N'a-t-on pas vu les magistrats border de canons les murs de Genève, sous le prétexte de se défendre contre l'armée imaginaire de la propagande, mais bien plutôt pour en défendre l'entrée aux patriotes? Enfin, jusqu'à cet évêque de Liége, qui appesantit son joug sur un peuple qui devrait être libre, sans l'indifférence d'une nation puissante qui aurait pu le secourir, n'a-t-il pas refusé de recevoir notre ambassadeur, sous le prétexte qu'il appartenait à une société célèbre dans les fastes de notre révolution.

On insultait ici les Anglais qui admiraient notre constitution, tandis que l'Angleterre était occupée à calmer les esprits dans le congrès de Ratisbonne.

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