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que sollicitent les besoins de leurs concitoyens: ainsi, lorsque le roi cherche à rappeler la paix et le bonheur qui la suit, c'est alors que l'on croit devoir l'abandonner et lui refuser les sécours qu'il a droit d'attendre de tous. Le roi n'ignore pas que plusieurs citoyens, des propriétaires surtout, n'ont quitté leur pays que parce qu'ils n'ont pas trouvé dans l'autorité des lois la protection qui leur était due: son cœur a gémi de ces désordres. Ne doiton rien pardonner aux circonstances? Le roi lui-même n'a-t-il pas eu des chagrins? Et lorsqu'il les oublie, pour ne s'occuper que du bonheur commun, n'a-t-il pas le droit d'attendre qu'on suive son exemple?

Comment l'empire des lois s'établirait-il, si tous les citoyens ne se réunissent pas auprès du chef de l'Etat? Comment un ordre stable et permanent peut-il s'établir et le calme renaître, si, par un rapprochement sincère, chacun ne contribue pas à faire cesser l'inquiétude générale? Comment enfin l'intérêt commun prendra-t-il la place des intérêts particuliers, si, au lieu d'étouffer l'esprit de parti, chacun tient à sa propre opinion et préfère de s'exiler à céder à l'opinion commune?

Quel sentiment vertueux, quel intérêt bien entendu peut donc motiver les émigrations? L'esprit de parti qui a causé tous nos malheurs n'est propre qu'à les prolonger.

Français, qui avez abandonné votre patrie, revenez dans son sein. C'est là qu'est le poste d'honneur, parce qu'il n'y a de véritable honneur qu'à servir son pays, et à défendre les lois. Venez leur donner l'appui que tous les bons citoyens leur doivent: elles vous ren-dront, à leur tour, ce calme et ce bonheur que vous chercheriez en vain sur une terre étrangère. Revenez donc, et que le cœur du roi cesse d'être déchiré entre ses sentimens, qui sont les mêmes pour tous, et les devoirs de la royauté, qui l'attachent principalement à ceux qui suivent la loi. Tous doivent le seconder lorsqu'il travaille pour le bonheur du peuple. Le roi demande cette réunion pour soutenir ses efforts, pour être sa consolation la plus chère; il la demande pour le bonheur de tous. Pensez aux chagrins qu'une conduite opposée préparerait à votre roi; mettez

T. XII.

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quelque prix à les lui épargner: ils seraient, pour lui, les plus pé

nibles de tous.

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Fait à Paris, au Conseil-d'Etat, le 14 octobre 1791.

Signé Louis,

Et plus bas, par le roi, DELESSART,

Pour copie conforme à l'original, écrit de la main du roi, Signé DELESSART,

SÉANCE DU 20 octobre.

La question de l'émigration, abordée le 16, fut mise à l'ordre du 20.

Lequinio, et Lemontey après lui, parlèrent sur l'impossibilité, le danger même d'arrêter l'émigration des personnes. Crestin fit observer que cette maladie politique avait redoublé depuis l'acceptation de la constitution; il demanda le renouvellement de la loi du 1er août, et la prohibition de la sortie des armes et des munitions. Après eux Brissot monta à la tribune, au milieu des applaudissemens de l'assemblée.

M. Brissot, En examinant les lois différentes rendues contre l'émigration, en considérant les difficultés qu'elles ont éprouvées dans leur exécution, j'en ai cherché la cause, et je me suis convaincu qu'elle était dans le principe même de ces lois, dans la partialité de leur application, dans le défaut de grandes mesures. La marche que l'on a suivie jusqu'ici, a été l'inverse de celle que l'on devait suivre. Au lieu de s'attacher aux branches, on devait attaquer le tronc. On s'est acharné contre des hommes qui ont porté leurs vieux parchemins dans des pays où ils les croient encore en valeur, et, par une faiblesse impardonnable, on a paru respecter les chefs qui commandaient ces émigrations. Si l'on veut sincèrement parvenir à arrêter l'émigration et l'esprit de rébellion, il faut punir les fonctionnaires publics qui ont abandonné leurs postes; mais il faut surtout punir les grands coupables qui ont établi, dans les pays étrangers, un foyer de contre-révolution.

Il faut distinguer trois classes d'émigrans: la première, celle

des deux frères du roi, indignes de lui appartenir, puisqu'il a accepté la constitution; la seconde, celle des fonctionnaires publics qui ont déserté leurs postes, et qui s'occupent à débaucher les citoyens; enfin, les simples citoyens, qui, soit par haine pour la révolution, soit par crainte, ont la faiblesse de se laisser entraîner par leur séduction. Vous devez haine et punition aux deux premières classes, pitié et indulgence à la troisième. Si vous voulez arrêter les émigrations, ce n'est pas sur la troisième classe que doivent tomber vos coups, ce n'est pas même sur la seconde que doivent tomber les plus violens; si l'on use de complaisance et de palliatifs, on croira que vous redoutez leur coalition, et les mécontens, nourrissant des espérances que votre faiblesse aura produites, iront se ranger sous leurs drapeaux. Et pourquoi craindraient-ils? L'impunité de leurs chefs leur assurera la leur. De quel droit, vous diront-ils, nous punissez-vous? Avez-vous deux poids et deux mesures? Vous nous punissez, et vous épargnez nos chefs: il y a double délit, injustice et lâcheté. (On applaudit.)

Tel a été le raisonnement d'instinct qu'a produit la faiblesse de l'assemblée nationale, dans l'esprit de tous les émigrés. Comment pouvaient-ils croire à des lois sur les émigrations, lorsque vous sembliez respecter les traîtres qui les provoquaient; lorsqu'ils voyaient un prince, après avoir prodigué quarante millions en recevoir encore de l'assemblée nationale des millions pour payer son faste et ses dettes? Il faut poursuivre les grands coupables, ou renoncer à toutes lois contre les émigrations. Vous ne pouvez punir les citoyens qui n'agissent que par instigation, lorsque vous laissez impuniş leurs instigateurs.. Les tyrans pu nissaient toujours les chefs, et pardonnaient à la multitude: c'est ce que nous avons yu en Hollande; c'est l'exemple que nous a donné Joseph II, quand il mit à prix la tête d'Horiah. Contenez, punissez les chefs, et la révolte s'éteint. Je ne dis pas à un peuple libre de suivre en entier cette maxime sanguinaire; mais je lui conseille de séparer les chefs de leur meute armée : divisez les intérêts des révoltés, en effrayant les grands coupables. On a jus

qu'ici suivi le contre-pied, et on est étonné de ce que la loi n'a pas été respectée par les émigrans! Elle ne l'a pas été, parce que les chefs y étaient ménagés, parce qu'un instinct de justice disait aux autres pourquoi craindrions-nous, puisque nos

chefs sont respectés ?

On a sans cesse amusé les patriotes par des lois sur l'émigration, qui n'étaient que de vains palliatifs; voilà pourquoi vous avez vu les partisans de la cour les solliciter eux-mêmes, pour se jouer de la crédulité du peuple; voilà pourquoi vous avez vu un orateur célèbre, dans le temps où on le comptait encore au nombre des patriotes, parler contre cette loi, et, dans un mouvement de franchise, vous dire que la loi ne serait jamais exécutée, parce qu'on ne poursuivait pas, soi-même, sa famille ; et, en effet, nous devons croire que s'il eût existé alors une assemblée toute plébéienne, les rassemblemens de Coblentz n'existeraient plus.

Trois années d'insuccès, une vie malheureuse et errante, leurs conspirations avortées, leurs intrigues déjouées, toutes ces défaites ne les ont pas corrigés. Ils ont le cœur corrompu de naissance; ils se croient les souverains nés du peuple, et ils cherchent à le remettre sous le joug. N'ont-ils pas assez manifesté leurs intentions, par les protestations qu'ils ont publiées? La dernière de ces protestations, qui est dirigée contre l'acceptation même de la constitution, ne dépose-t-elle pas de leurs desseins hostiles? Exigerez-vous des preuves judiciaires de ces faits, pour punir les grands coupables? Il faudrait donc, pour l'amour de ces formes judiciaires, attendre que vos plus belles provinces fussent réduites en cendres! Qui ignore qu'un noble ne peut plus rester en France sans être déshonoré au-delà du Rhin. Voulez-vous arrêter cette révolte? ce n'est pas en faisant des lois trop minutieuses contre les émigrans que vous y parviendrez, mais c'est en sévissant contre les chefs, c'est au-delà du Rhin qu'il faut frapper, non pas en France. Si vous avez le courage de déclarer crime ontre la nation tout paiement qui leur serait fait de leurs ap

pointemens, de confisquer leurs biens, bientôt ils seront abandonnés de leurs courtisans.

C'est par des mesures aussi rigoureuses que les Anglais empêchèrent Jacques II de traverser l'établissement de leur liberté : ils ne s'amusèrent pas à faire de petites lois contre les émigrations, mais ils ordonnèrent aux princes étrangers, de chasser les princes anglais de leurs États (on applaudit) ; et le fier Louis XIV fut forcé d'expulser lui-même son proche parent; et Jacques II, vivant des modiques et secrètes aumônes de la France, fut dans l'impuissance de se faire un parti.

On avait senti dans la précédente assemblée la nécessité de cette mesure; mais d'abord on ne l'avait appliquée qu'à M. Condé. Première faute. Ensuite on apporta des retards à l'exécution de la loi. Seconde faute. Car la liberté ne se perd que par cette conduite mystérieuse qui décèle la faiblesse ou la complicité. Le comité diplomatique retarda l'exécution de la loi par un silence mystérieux; les ministres parlèrent de considérations d'état. Si ces considérations ont occasionné le retard, c'est un crime contre la liberté; car le roi d'un peuple libre n'a point de famille, ou plutôt sa première famille, c'est le peuple qui lui a confié ses intérêts.

Dans un siècle de révolution, lorsque la France était divisée en plusieurs partis, lorsque le prince Condé jouissait d'un pouvoir immense, lorsqu'il avait de nombreux partisans, Mazarin eut le courage de le faire emprisonner, et ce qu'un prêtre faible qui avait contre lui la nation entière, qui n'avait pour appui qu'une femme ambitieuse put faire, la France, qui réunit à une force immense un concert étonnant de volontés, redouterait de l'entreprendre contre un prince qui est dans un dénuement absolu, qui n'a de force que dans une honteuse troupe de courtisans et dans des hauteurs ridicules ! Vous devez faire respecter la constitution, le néant est là; choisissez entre la constitution ou le rétablissement de la noblesse. La constitution est finie, les chefs des rebelles doivent s'agenouiller devant elle ou être proscrits à jamais. La disparition du numéraire, l'émigration, tout parle du foyer de contre-révolution établi dans les Pays-Bas par

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