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Le lendemain les commissaires chargés de préparer un projet de pétition, apportèrent au club celle que nous avons citée, tome X, p. 445, et que Brissot avait rédigée. Elle y fut applaudie et envoyée au Champ-de-Mars. Nos lecteurs connaissent la discussion qui s'y éleva au sujet des mots remplacement par tous les moyens constitutionnels. Nous devons dire que le peuple fut complétement étranger à ce débat; il attendait une résolution prise, et s'en rapportait, désormais, à l'initiative des clubs, sur le mode d'émettre un vou de pur sentiment qu'il était impatient de manifester, Il ne croyait plus en Louis XVI.

Les clubs chicanèrent et se renvoyèrent des soupçons mu tuels, à propos de la phrase controversée. Les Cordeliers demandaient franchement la république, et sauf peut-être quelques meneurs, ils n'entretenaient aucune arrière-pensée au profit d'un chef de parti quelconque. Les membres du Cercle Social, Cordeliers pour la plupart, furent les premiers qui accusèrent sous le mot en question, un dessein orléaniste. Ils dirent que les Jacobins qui dirigeaient cette affaire (Laclos surtout) ne tendaient à rien moins qu'à placer d'Orléans sur le trône de Louis XVI. Ils se radoucirent lorsqu'ils surent que Brissot, connu pour être partisan de la Fayette, était rédacteur de la pétition.

Les Jacobins, étrangers à ces intrigues, se méfiaient beaucoup plus de ceux qui soutenaient la Fayette et voulaient la république, que des partisans vrais ou faux d'un homme dont le caractère était si notoirement incompatible avec les fonctions royales. On disait, de ce côté, que les républicains, soufflés par Bonneville et ses amis, se laissaient séduire par des diplomates qui négociaient en ce jour la présidence de M. de la Fayette, et le fédéralisme amé ricain.

Nous avons vu que Bonneville partit du Champ-de-Mars, convaincu que le mot contesté avait été abandonné par les commis saires jacobins, et qu'il imprima la pétition avec cette lacune. Lorsque ceux-ci racontèrent, au sein de leur club,ce quis'était passé au Champ-de-Mars, il n'y eut qu'une voix pour retirer la pétition, annulée d'ailleurs, quant à l'argumentation et quant au principal

motif sur lesquels elle était basée, par un nouveau décret de l'assemblée nationale. Ceci nous conduit à exposer la conduite de l'assemblée elle-même pendant la journée du 16..

Elle avait cru, par son décret du 15, ôter tout prétexte légitime à de nouvelles adresses. Elle avait mentionné pour les couvrir de son mépris, celles qu'il lui avait plu de recevoir; elle avait rejeté toutes les autres sans les lire, et maintenant que la loi parlait par sa bouche, elle pensait que les factieux n'oseraient plus ouvrir la leur. La délibération des Jacobins, du 15 au soir, effraya la majorité royaliste-constitutionnelle. Elle comprit que le vague de son décret, que l'omission concernant le roi, avaient fourni d'excellens argumens à ses adversaires constitutionnels, et qu'ils pouvaient encore sans heurter la décision des législateurs, pétitionner contre Louis XVI. Il fut résolu que l'on écarterait le motif assez spécieux tiré du silence absolu du décret sur la personne du roi, et que l'on s'expliquerait clairement. On persista plus que jamais dans les intentions vigoureuses; il fallait à tout prix, non-seulement que la France n'eût pas le temps d'opiner en cette matière, mais que la capitale elle-même ne pût pas débuter par un vote dont on pressentait la presque unanimité.

Le 16 au matin, l'assemblée nationale prit les mesures les plus énergiques. Nous emprunterons au Moniteur cette séance et celle du soir, nous bornant à quelques annotations indispensables.

SÉANCE DU 16, AU MATIN.

Présidence de Charles Lameth.

[M. Dandré. Vous avez rendu hier à la presque unanimité un décret qui repose sur des principes incontestables; personne n'iguore que les ennemis de la constitution en profitent pour exciter des troubles. Je dis les ennemis de la constitution, car le décret que nous avons rendu ayant la constitution pour base, ne pas y obéir, c'est l'attaquer, c'est être parjure, surtout au dernier serment de fidélité aux décrets de l'assemblée nationale. Il est de votre dignité de soutenir avec fermeté ce que vous avez fait avec courage. (La partie gauche éclate en applaudissemens.) Vous

avez développé un caractère digne des représentans de 25 millions d'hommes. Quelle idée vont avoir de vous les puissances étrangères!... Si vous avez su résister au torrent d'une opinion factice, appuyés par le sentiment unanime de la nation, à qui ne résisterez-vous pas? Je demande qu'afin de prévenir les sourdes menées, il soit rédigé, séance tenante, et expédié sur-le-champ, une adresse à tous les Français ; que la municipalité de Paris soit mandée à la barre, et qu'il lui soit enjoint de veiller, mieux qu'elle n'a fait jusqu'à présent, à la tranquillité publique. (On applaudit.) Il est bien extraordinaire que la municipalité, les tribunaux aient souffert sous leurs yeux la violation de vos lois. Il est bien extraordinaire que, contre vos décrets, on affiche, jusqu'à la porte de votre enceinte, des pétitions collectives, que l'on souffre au milieu des places publiques, des motions tendantes à exciter le désordre. Je ne parle point des injures personnelles faites aux députés; nous savions bien, en venant ici, que nous étions exposés à toutes les menées des ennemis de la constitution. Nous avons su que nous sacrifiions notre vie, et ce n'est pas là ce que nous regrettons. Mais nous voulons et nous obtiendrons la tranquillité publique. (On applaudit à plusieurs reprises dans toutes les parties de la salle.)

Je demande donc que les six accusateurs publics soient mandés à la barre, et chargés de faire informer contre les perturbateurs du repos public; que la municipalité soit rendue responsable des événemens; que les ministres soient mandés pour presser l'exécution de vos ordres, et rendus responsables aussi de la négligence des accusateurs publics. L'assemblée montrera en ce moment le même courage contre les ennemis de la révolution en sens contraire, qu'elle a montré contre les valets du despotisme.

M. Legrand. Ce n'est pas par des idées métaphysiques qu'on égare le peuple, mais en lui exposant des faits faux. La liberté de la presse..... (Il s'élève des murmures.) On connaîtrait mal mes intentions, si l'on supposait que je veux gêner la liberté des opinions; je dis seulement qu'il faut se prémunir contre les

moyens qu'on emploie. J'ai entendu hier dans un groupe, que le motif principal de l'agitation était fondé sur ce que vous aviez été contre le vœu de soixante-treize départemens. On lisait ce fait dans l'Orateur du peuple. Tout le monde sait qu'il n'a été lu aucune adresse des départemens.

M. Fréteau. Il est onze heures; nous ne sommes encore ici qu'un petit nombre de membres, lorsque nous devrions y être tous. Puisqu'il s'agit de maintenir la liberté de nos délibérations, je demande que lorsque l'assemblée sera complète, M. le président répète à ceux qui ne sont pas encore à leur poste qu'ils doivent à tous les fonctionnaires publics l'exemple de la ponctualité au service. (On applaudit.)

M. Bory. Si dans cette circonstance quelque député s'était rendu coupable, c'est sur lui que principalement le glaive de la loi doit s'appesantir. J'ai appris qu'hiér, au sortir de la séance, dans une société présidée par un de vos membres, on avait fait la motion de ne plus reconnaître le roi, et qu'elle avait été adoptée. On m'a dit aussi que ceux des membres de l'assemblée qui y étaient alors n'avaient pas voulu prendre part à la délibération. Je demande qu'ils déclarent les faits. (On s'agite dans toutes les parties de la salle.)

M. Prieur s'élancé à la tribune. (On entend plusieurs voix : Le voilà, le président des Jacobins!) (1)

M. Dandré. Défendons-nous de toute espèce de chaleur et d'exagération : le véritable courage est calme et tranquille. Si des membres de l'assemblée avaient eu le malheur de se laisser aller à des démarches contre les lois, ce serait aux tribunaux à informer contre eux, et à vous rendre ensuite compte de l'information; mais la motion est hors de l'ordre du jour, et je demande qu'on s'en tienne à mes propositions. Je les ai rédigées; je vais vous en donner lecture.

(1)Prieur n'était point alors président des Jacobins; le 30 juin Bouche l'avait remplacé. Ce dernier n'assista pas à la séance du 15 ainsi que nous l'avons dit. Laclos présida à sa place jusqu'à ce que les députés fussent arrivés; Antoine prit alors le fauteuil. (Note des auteurs.)

L'assemblée nationale décrète que la municipalité sera mandée à la barre pour lui enjoindre de seconder le zèle de la garde nationale. (Je parle ici de la garde nationale, parce qu'elle a développé une sagesse modérée digne des plus grands éloges.) Hier les hommes dont je vous ai déjà parlé, après avoir fait fermer plusieurs spectacles, se sont aussi portés à l'Opéra pour le même objet. Les combinaisons de la garde ont été si sages, qu'elle est parvenue à repousser les séditieux.

M. Chabroud, Sans doute on ne peut rendre trop d'éloges au zèle de la garde nationale; mais je ne sais pas pourquoi on ferait des reproches à la municipalité; je ne crois pas qu'elle les ait mérités. Et si cela était, l'assemblée devrait l'exprimer franchement, et non pas lui dire de seconder le zèle de la garde nationale.

M. Dandré. J'adopte les observations de M. Chabroud.

M. Vadier. J'ai développé une opinion contraire à l'avis des comités, avec toute la liberté qui doit appartenir à un représentant de la nation. Cependant je déclare que je déteste le système républicain, et que, comme bon citoyen, j'exposerai ma vie pour défendre les décrets. (On applaudit à plusieurs reprises.)

M. Goupil. Hier, à l'issue de la séance, M. le maire et deux officiers municipaux étaient en écharpe à la porte de la salle pour maintenir l'ordre. Cette démarche paraît engager à ne pas faire de reproches à la municipalité.

M. Emmery, Hier on a arrêté dans les groupes un étranger (1) qui distribuait de l'argent, et la municipalité l'a fait relâcher, Un officier municipal est monté sur le théâtre de la rue Feydeau, et a dit qu'il valait mieux desemparer que d'attendre le peuple. N..... Pourquoi la municipalité ne fait-elle pas exécuter les décrets rendus sur la police correctionnelle?

(1) C'est pour la première fois que dans cette affaire le mot étranger se trouve accolé à celui de factieux. On verra plus bas l'usage que l'assemblée, et, à son exemple, les autorités constituées, firent de ce mot, et combien il fut peu justifié. Il s'agit ici de Virchaux qui ne fut pas arrêté pour avoir distribué de l'argent. Le discours de Bailly à la barre roule justement sur cet objet (Note des auteurs.)

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