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le corps-législatif pourrait être corrompu par le ministère, pour ne pas demander la réformation d'un article dont lui seul aurait aperçu les inconvéniens, c'est-à-dire qu'il ne se donnerait pas, en quelque sorte l'initiative envers le peuple, et qu'il n'appellerait pas son attention sur un objet échappé jusqu'alors à ses regards. Eh bien! cela même est heureux pour le principe. Le corps-législatif ne doit pas avoir l'initiative envers le peuple; il doit n'exprimer jamais que la volonté du peuple, et je répète que cette volonté une fois manifestée, le corps législatif s'exprimera nécessairement.... Cependant admettons que le corps-législatif puisse résister à ce voeu: qu'en résultera-t-il de fàcheux? un simple retard de deux années; car le peuple nommant bientôt de nouveaux représentans, les choisit tels qu'ils puissent exprimer sa volonté précise sur ce fait. Que si au contraire les représentans, par un nouvel effet de la corruption dont nous les supposions toujours investis, demandaient, sans avoir le vœu du peuple, une convention nationale ou la présence du corps constituant, eh bien encore! qu'en peut-il résulter de fàcheux ? La convention nationale ou le corps constituant vont-ils être en effet rassemblés sur cette demande, et ne faut-il pas attendre que ces deux législatures successives aient prononcé définitivement sur le vœu de la première?

Vous voyez comme en suivant cette chaîne nous arrivons toujours à faire triompher le vœu du peuple sans insurrection dans aucun cas. La seconde objection à laquelle je m'attends est que la forme proposée entraîne un trop grand intervalle entre l'émission du vou et sa réalisation. Mais d'abord il faut savoir quel serait, d'après mon projet, ce véritable iutervalle. Le plus long serait, par exemple, du mois de mai 1793 au mois de juillet 1797, c'est-à-dire de quatre ans et deux mois; le plus court serait du mois d'avril 1795 au mois de juillet 1797, c'est-àdire de deux ans et deux mois. (On voit que la différence résulte de l'époque à laquelle la première des trois législatures émet son vou.) Passant maintenant à l'objection, j'observe en premier lieu que quand même elle serait d'un grand poids, il n'en résul

terait pas que le moyen ne valût rien en lui-même, mais seulement que la forme d'exécution devrait être changée. Cependant je suis loin de croire que ce délai puisse entraîner après lui de funestes conséquences. Je ne connais pas de motifs pour l'abréger, et peut-être ne serais-je pas fort embarrassé d'en trouver de plausibles, pour l'étendre davantage encore; mais sans vous faire observer combien serait fatal à la chose publique un moyen trop facile d'obtenir des conventions nationales ou la présence du corps constituant, je me bornerai à cette réponse : ou le besoin de rassembler ces corps sera un besoin réel, ou il ne le sera pas ; s'il est réel, le vœu se soutiendra pendant cet intervalle, et même beaucoup encore par-delà; s'il ne l'est pas, le vœu se détruira par lui-même, et chacun s'applaudira de n'avoir pas été surpris par le temps. Cet intervalle dont on se plaint est donc un moyen sûr de devoir tout à la réflexion, rien à la légèreté ; et croyez qu'il est plus expédient au salut de l'état de différer des réformes utiles, que de donner le pouvoir d'en faire à chaque instant d'inutiles et de fâcheuses.

Pour démontrer le danger de ce retard, il faudrait supposer qu'il existe dans la constitution un article quelconque dont la réformation, différée pendant ce court intervalle, pût arrêter le jeu de la machine politique et briser tous les ressorts du gouvernement. Or, jusqu'à ce que la vérité de ce fait m'ait été démontrée, je suis fondé à soutenir le fait contraire; si pourtant cet article existe, qu'on se hâte de le dénoncer ; et, tandis qu'il en est temps encore, l'assemblée nationale constituante l'effacera du code constitutionnel créé pour le bonheur de la génération présente, et pour donner la paix aux générations futures. En opposition à ces argumens, d'ailleurs suffisamment réfutés, parcourons les principaux avantages du plan que je vous propose.

1o En distinguant le pouvoir de réformer d'avec le pouvoir de détruire, en adoptant un moyen de déléguer le premier sans départir l'autre nécessairement, vous empêchez que la constitution ne soit en péril à chaque besoin de réforme. Vous donnez la possibilité de réformer; vous assurez aussi le moyen de détruire;

cependant vous ne forcez pas le peuple à cumuler toujours ces deux pouvoirs, mais seulement quand il lui plaît. Remarquez surtout dans ces heureux effets l'utilité de cette distinction. Voyez comme avec le temps votre constitution s'améliore sans aucun danger pour elle-même, sans aucun trouble pour la chose publique. Vous n'appelez pas, pour la perfectionner, la majesté imposante, mais terrible du pouvoir constituant; de simples conventions nationales sont chargées de ce soin ; le calme de la raison préside à leurs utiles travaux ; les passions vives s'en éloignent; on peut du moins concevoir cette espérance, car il n'est pas ici question de se partager le pouvoir souverain. Dès long-temps les lots ont été faits; les factieux n'ont plus rien à prétendre.

2o En remettant au corps législatif le devoir de déclarer la volonté du peuple, vous conservez la pureté des principes du gouvernement représentatif; vous faites parler le peuple de la seule manière dont il puisse s'exprimer.

3° En obligeant le corps législatif à déterminer l'objet de la réforme, vous obtenez deux avantages également précieux. D'abord vous faites que l'opinion publique se crée en connaissance de cause, et qu'une fois manifestée pour la convention, la volonté générale n'est pas équivoque. En second lieu, vous bornez les devoirs de la convention, elle ne peut les dépasser. Le cahier national est écrit long-temps avant que la convention soit rassemblée; l'acte de la première législature devient en effet le cabier de la nation entière, il supplée à l'impossibilité de faire des cahiers particuliers. Or, je soutiens qu'aucun autre mode ne procurera cet avantage remarquable. Le trouverez-vous, par exemple, dans une combinaison périodique, ou dans les chances du hasard?

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4o En soumettant le vœu de la première législature au veto des deux législatures suivantes, vous donnez le temps à l'opinion publique de se bien entendre, de se rectifier; vous l'empêchez d'obéir à ces mouvemens inconsidérés, que l'on prendrait d'abord pour une inspiration subite de la raison, et qui ne sont en effet que le produit d'un délire éphémère. Vous appelez le peuple à une mûre réflexion; enfin, vous ne l'exposez pas à perdre tout

en un jour. Trouverez-vous ces avantages dans des retours périodiques, certains ou incertains.

5° Endonnantau corps législatif le droit de provoquer l'existence de la convention nationale, ou la présence du corps constituant, vous l'empêchez à jamais de devenir l'un et l'autre de ces pouvoirs.

Si ensuite, aux dispositions principales de ce projet, d'autres conditions accessoires sont encore ajoutées; si vous déclarez inéligibles à la législature suivante les membres de celles qui auront demandé la convention nationale ou le corps constituant; si enfin, pour l'une et pour l'autre de ces deux assemblées, vous créez un mode particulier de représentation nationale, vous écar tez également du vou définitif de la troisième législature et les suggestions de l'intrigue et l'obstination de l'amour-propre; vous faites surtout qu'aucune législature, dans telle circonstance que ce soit, ne peut tenter l'usurpation du pouvoir constituant.

Si jamais la France pouvait devenir la proie du despotisme, si jamais une seconde séance royale était osée, croyez que le 14 juillet ne serait pas choisi pour exécuter ces détestables complots. Eh bien ! rassemblez vos représentans le 14 juillet; leur première pensée est un grand souvenir; leur première parole un serment à la liberté.

Voici mon projet de décret; il est rédigé de manière à être placé à la suite de l'acte constitutionnel que vous avez décrété.

TITRE VII.

De la souveraineté nationale, dont l'exercice n'est pas constamment

délégué.

CHAPITRE UNIQUE.

De la réformation partielle et du changement de la constitution.

SECTION PREMIÈRE.

Du pouvoir de la nation à cet égard, et de sa délégation.

La nation, en qui toute souveraineté réside, a le pouvoir de réformer la constitution dans ses parties, et celui de la changer dans son ensemble.

Lorsqu'il lui plaît d'exercer l'un où l'autre de ces pouvoirs, elle le délégué :

Le premier, à une convention nationale;

Le second, à un corps constituant.

SECTION II.

De la Convention nationale.

La Convention nationale est l'assemblée des représentans ayant le droit de revoir et le pouvoir de réformer par des changemens, suppressions ou additions, une ou plusieurs parties déterminées de la constitution.

Elle ne peut être appelée pour toucher aux bases fondamentales de la constitution, ni pour changer la distribution des pouvoirs publics.

Elle se compose de la représentation au corps-législatif alors en exercice, et du doublement de la représentation territoriale. En sorte qu'elle est portée en totalité à neuf cent quatre-vingtdix membres.

SECTION III.

Du corps constituant.

Le corps constituant est l'assemblée des représentans, ayant le droit de revoir la constitution dans son ensemble, de changer la distribution des pouvoirs publics, et de créer une constitution nouvelle.

Il est composé de la représentation au corps-législatif alors en exercice, et du doublement de la représentation attachée à la population et à la contribution directe.

En sorte qu'il est porté en totalité à quatorze cent quatrevingt-dix membres.

SECTION IV.

De la demande de la convention nationale ou du corps constituant, et de la nomination des représentans additionnels.

Les citoyens peuvent adresser en leurs noms, au corps-législatif, des pétitions individuelles, pour demander le rassemblement de la convention nationale ou du corps constituant.

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