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sant qu'il existe maintenant plusieurs citoyens plus riches qu'eux. Mais dans cette hypothèse on établit qu'à l'avenir tous les individus de la famille royale seront à perpétuité ou des factieux ou des courtisans vendus. Cependant n'est-il pas possible aussi de supposer qu'il s'en trouve de patriotes; et ceux-là mériteront-ils d'être flétris de cette tache originelle qu'on veut imprimer sur toute la race? Quelle loi que celle qui suppose toujours le vice ou le crime, et qui n'admet pas l'existence de la vertu! tandis qu'au contraire la loi doit avoir mille fois plus de vigilance et d'activité pour découvrir et récompenser la vertu, que pour réprimer le vice. En matière grave il lui faut toutes les lumières de l'évidence la plus frappante pour condamner, au lieu que pour absoudre elle saisit avidement un simple doute; et quoi de plus grave, quoi de plus important que la question dont il s'agit? question qui n'en sera pas une si l'on respecte vos décrets constitutionnels, ou si l'on n'enfreint pas tous les principes de l'équité. Enfin, j'ose avancer que l'infaillible moyen de rendre la famille royale une caste véritablement dangereuse, c'est d'adopter le décret que l'on vous proposé. En effet, en la privant du noble droit de servir son pays, en écartant d'elle toute idée de gloire et de bien public, vous la dévouez à tous les vices produits par l'intrigue et l'oisiveté. Ceux qui parmi eux n'auront aucune énergie, ramperont servilement au pied du trône, et obtiendront pour eux et pour leurs amis les grâces dues au seul mérite; ils cabaleront, ils intrigueront dans l'assemblée nationale avec moins de prudence que s'ils y étaient eux-mêmes, et qu'ils fussent par conséquent obligés d'y manifester personnellement leurs opinions. Ceux, au contraire, qui seront nés avec du courage et des talens, chercheront à se faire un parti, et n'ayant rien à attendre de la patrie qui les a rejetés de son sein, s'ils parviennent à acquérir du crédit, ils ne l'emploieront qu'à satisfaire une ambition qui, dans leur position, ne pourra jamais être noble et pure, et tous seront animés d'un sentiment commun: la haine de la constitution qui les exclut de tout, et le désir de la renverser.TM

Voyez au contraire ce qu'il est possible d'en attendre, si l'a

mour de la patrie les enflamme; jetez vos regards sur un des rejetons de cette race que l'on vous propose d'avilir. A peine sorti de l'enfance, il a déjà eu le bonheur de sauver la vie à trois citoyens au péril de la sienne; la ville de Vendôme lui a décerné une couronne civique (1). Malheureux enfant! sera-ce la première et la dernière que ta race obtiendra de la nation? (On applaudit.) Non, Messieurs, vous sentirez les conséquences du décret que l'on vous propose; la justice et la saine politique Je réprouvent également. Vous avez sagement fait d'accorder à l'héritier présomptif des prérogatives particulières ; mais les autres membres de la famille royale, jusqu'à l'époque où, par leur naissance, ils peuvent monter sur le trône, ne doivent être que de simples citoyens. Ah! combien il serait heureux pour celui qui serait appelé à ce poste redoutable, d'avoir connu et rempli les devoirs de citoyen et d'avoir eu l'honneur de défendre ses compatriotes contre les usurpations du pouvoir qu'il est à l'instant d'exercer ! tandis qu'au contraire, si ce décret passait, da nation ne pourrait attendre pour l'avenir de cette famille dégradée et proscrite civilement, que des régens ambitieux, des rois imbécilles et des tyrans. (Nouveaux applaudissemens.)

Je conclus à la question préalable sur le nouveau projet présenté par le comité de révision, et au maintien du décret constitutionnel que vous avez déjà solennellement décrété. (Les applaudissemens recommencent.)

L'assemblée ordonne l'impression de ce discours.]

A la séance du 25, les débats continuèrent sur les droits politiques des membres de la famille royale. Desmeuniers exposa l'avis du comité pour leur suspension. La plupart des députés qui succédèrent à Desmeuniers traitèrent la question du point de vue des circonstances présentes, et se déterminèrent par des considérations de l'ordre purement personnel. Robespierre revint aux principes.

[M. Robespierre. Je remarque que l'on s'occupe trop des inté

(1) Ces faits seront racontés par nous dans l'histoire extra-parlementaire d'août et de septembre,

(Note des auteurs.}

rêts particuliers, et non pas assez de l'intérêt national: je crois que pour donner une base certaine à cette délibération il faut bien saisir l'esprit de la loi qui vous est proposée. Il n'est pas vrai qu'on veuille dégrader les parens du roi; mais l'effet de la loi par rapport aux parens du roi doit être nécessairement différent suivant leurs principes et leur manière de voir : il est évident que ceux qui estiment exclusivement les titres dont l'orgueil des grands se nourrissait jusqu'ici, ne peuvent voir une dégradation dans une loi qui les dispense de se ranger dans la classe commune des citoyens, qui les élève au-dessus de la qualité de citoyen; la privation de la qualité de citoyen ne peut être considérée comme une peine que par celui qui sait en sentir la dignité et en apprécier les droits. Je ne crois pas non plus, Messieurs, que l'intention de l'article soit d'écarter l'influence dangereuse des parens du roi: la preuve en est que l'article est évidemment fait tout entier pour eux : la preuve en est qu'on n'appuie point les motifs pour lesquels on les prive du droit de citoyen actif sur les dangers dont ils pourraient menacer la chose publique, mais sur la distance honorifique qui séparé la famille du roi de toutes les autres lamilles; la preuve en est qu'on veut pour les parens du roi un titre extraordinairement distingué, qui les sépare de tous les citoyens. L'article ainsi conçu, il est question de le rapprocher de l'intérêt public et de la constitution.

Messieurs, dans tout État il n'y a qu'un seul prince; c'est le chef du gouverment : en France il n'y a qu'un prince, roi.› Une voix: Et le prince royal?

M. Rewbell. Il est son suppléant.

M. Robespierre. Je dis que le mot prince dans ce sens n'a qu'une signification raisonnable et analogue avec le principe général, très compatible par conséquent avec les principes de la liberté et de l'égalité : au contraire: si vous l'appliquez dans un autre sens ce n'est plus l'expression d'une fonction publique ; ce n'est plus an titre national; c'est un titre de distinction particulière; et parmi vous ce titre rappellerait l'esprit féodal, puisque jusqu'ici parmi nous le titre de prince et autres appartenant aux ci-devant

nobles avaient la même origine et étaient fondés sur le même préjugé.

Pour moi, Messieurs, je ne puis m'étonner assez de l'embarras que trouvent les comités à nommer les parens du roi; je ne puis concevoir qu'ils attachent assez d'importance à cet objet pour vous engager à révoquer vous-mêmes un décret que vous avez rendu à une grande majorité; pour moi il me semble qu'il n'y a rien de si aisé, et que les parens du roi sont tout simplement les parens du roi. (On rit.) Je ne conçois pas non plus comment les comités dans leurs principes ont pu croire qu'il existât un nom au-dessus de celui-là, car d'après les hautes idées qu'ils ont pu se former de tout ce qui touche à la royauté et au roi il est évident qu'ils ne peuvent reconnaître de titre plus éminent que celui de parent du roi. Je crois donc que l'assemblée peut se dispenser de délibérer long-temps sur cet objet; je crois même que l'Europe sera étonnée d'apprendre que dans cette époque de sa carrière, l'une des délibérations de l'assemblée à laquelle on ait attaché le plus d'importance a eu pour objet de donner aux parens du roi le titre de prince.

Les comités vous proposent d'élever les parens du roi au-dessus des autres citoyens en leur ôtant l'exercice des droits de citoyens.... Messieurs, dès qu'un homme est retranché de la classe des citoyens actifs précisément parce qu'il fait partie d'une caste distinguée, alors il y a dans l'État des hommes au-dessus des citoyens, alors le titre de citoyen est avili, et il n'est plus vrai pour un tel peuple que la plus précieuse de toutes les qualités soit celle de citoyen; alors tout principe d'énergie, tout principe de respect pour les droits de l'homme et du citoyen est anéanti chez un pareil peuple, et les idées dominantes sont celles de supériorité, de distinction, de vanité et d'orgueil. Ainsi sous ce rapport la proposition des comités avilit la nation; et il n'est pas vrai qu'elle honore le trône; il ne peut pas avoir une gloire, un éclat fondé sur les préjugés, mais sur la nature même des choses; l'éclat du trône c'est la puissance légale et constitutionnelle dont il est investi; c'est le devoir imposé au monarque de faire respecter

les lois; c'est ensuite et secondairement les vertus et les talens du monarque : toute autre illustration est fondée sur les préjugés; elle est indigne d'occuper l'assemblée nationale, ou plutôt elle ne peut s'en occuper que pour la proscrire avec dédain. (Applaudissemens à l'extrémité gauche.)

Si j'examine la base sur laquelle les comités appuient cette distinction à la fois immorale et impolitique, il n'est pas difficile. d'apercevoir qu'elle ne porte absolument sur rien. Les comités vous ont dit les parens du roi ont des droits qui n'appartiennent à aucune autre famille; donc il faut déclarer que la famille du roi forme une classe distincte de citoyens; donc il faut l'élever au-dessus des autres citoyens par un titre particulier qui exprime leur distinction et leur grandeur. Je dis, Messieurs, que le motif de la loi ne peut entraîner de pareilles conséquences.

La famille du roi est distinguée des autres, mais sous le seul rapport de l'intérêt général, qui vous a paru exiger que la loi désignât une seule famille dont les membres succéderaient à leur tour au trône pour prévenir le danger des élections. Voilà où se trouve la distinction de la famille royale; elle n'est pas dans une loi particulière, qui n'est point un privilége pour elle, mais dans une loi établie pour l'intérêt général; et c'est violer à la fois et l'objet et l'esprit de la loi que de vouloir fonder sur cette distinction particulière une distinction générale qui ferait considérer la famille royale comme une caste distinguée sous tous les rapports de toutes les autres familles : les principes de l'égalité et de la constitution exigent au contraire que cette distinction soit renfermée très-strictement dans les termes précis de la loi.

D'ailleurs, Messieurs, il est une observation importante qui tient au premier principe de cette question; c'est qu'il n'est pas possible de regarder les membres de la famille du roi qui n'exercent point actuellement les fonctions auxquels ils sont appelés éventuellement par la constitution comme des fonctionnaires publics déjà revêtus d'une autorité spéciale; ce droit est incertain, il est éventuel, il n'existe point pour eux; il n'existe point jusqu'à ce que le moment fixé par la loi soit arrivé : jusque

Τ. χι.

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