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Ils font ici des remercîmens publics à MM. Pétion, Robespierre, Grégoire, Buzot, Vanier, Camus, et autres députés qui ont constamment et généreusement soutenu les bons principes ; ils remercient pareillement la société des Amis de la constitution séante aux Jacobins de Paris, et les autres sociétés fraternelles, pour l'énergie et le patriotisme qu'elles ont manifestés dans cette circonstance orageuse.

Ils ont nommé M. Bancal Desissard leur député, pour réitérer ces remercîmens, demander la révocation de ce décret, suivre l'effet de leurs pétitions, demander et obtenir la convocation prochaine des assemblées électorales, et faire tout ce que son patriotisme lui inspirera pour le maintien de la liberté et des droits sacrés et inalienables de la nation française.

Réflexions de Brissot. ‹M. Biauzat, député d'Auvergne, en entendant cette adresse, ne pouvant retenir sa colère, a invectivé personnellement M. Bancal Desissard, député extraordinaire, porteur de cette adresse énergique, qu'on avait refusé d'admettre à la barre. Ce procédé, d'autant plus lâche que M. Desissard ne pouvait se défendre, a été généreusement soutenu par M. Lavigne. Enfin, qui le croira? M. Biauzat a eu le crédit de faire renvoyer cette adresse, comme criminelle, au comité des recherches.

>Une adresse travestie en crime! une adresse où l'on réclame les droits du peuple! une adresse qui est accompagnée de dix autres semblables, et de cent autres, peut-être, qu'on ensevelit dans les comités! Et voilà comme on surprend tous les jours l'assemblée!

Le lendemain 29, Bancal écrivit une longue apologie à l'assemblée nationale. Ildemandait justice et réparation, pour ses concitoyens et pour lui, de l'injure que leur avait faite Biauzat. L'assemblée ne s'occupa pas de cet objet. Bancal fit imprimer sa pétition à un grand nombre d'exemplaires; et le 31, à la tribune des Jacobins, il pria cette société d'en accepter cinq cents pour elle, et d'en envoyer cinq cents autres à ses affiliés. Sur les ob

servations de l'abbé Royer, on ajourna la dernière partie de cette demande. (Journal des Débats des Jacobins, no XXXV.)

Avant le compte-rendu des séances, nous nous arrêterons quelques instans à faire connaître l'état moral de l'assemblée. La lettre de Pétion à ses commettans avait produit une impression profonde. On nommait dans les journaux patriotes les députés dont il signalait la coalition avec tant d'inquiétude. Les fidèles de l'ancien club de 1789, la Fayette, Desmeuniers, Chapelier, Dandré, Thouret, Target, Barnave, venaient, disait-on, de s'unir aux Jacobins scissionnaires, Biauząt, Bouche, les Lameth, Duport, Goupil de Préfeln, Salles, etc. On soupçonnait cette fraction très-influente dans les comités, de s'entendre avec la partie du côté droit, qui ne répugnait pas à la monarchie représentative, et de préparer la mise en œuvre des projets de Mounier, nouvellement revus et corrigés par Sieyès. Pétion expose d'abord sa conduite, celle des Jacobins, les prétextes de la scission, et puis il ajoute :

J'ai cru apercevoir que cette division était le fruit de l'intrigue. Des hommes qui portent partout l'esprit de domination gouvernaient depuis long-temps la société des Amis de la constitution. On s'est lassé de leur joug; ils ont perdu peu à peu leur influence; ils ont essuyé des contradictions, aussitôt qu'ils n'ont plus été les maîtres, ils se sont retirés, et, je n'en doute pas, avec l'ardent désir de s'en venger. L'occasion s'est présentée : ils l'ont saisie; ils ont entraîné dans leur parti beaucoup de membres honnêtes, qui, par des motifs divers, se sentaient de l'éloignement pour cette société. Ils ont voulu jeter ailleurs les fondemens de leur puissance; ils ont créé une société nouvelle sous le même titre, ou, pour mieux dire, ils ont, par fiction, transporté l'ancienne dans un nouveau local; et, pour l'environner de sa splendeur passée et de toute sa force, ils ont écrit aux sociétés répandues dans les départemens, que là où ils étaient, là était le berceau de la société première, qu'il fallait se rallier autour d'elle, et y rattacher tous les liens de la fraternité: par-là ils

se sont flattés d'influencer ces diverses sociétés, de dominer l'opinion publique, et de la diriger vers leur système.

› J'ai cru apercevoir que ce déchirement, au milieu des mouvemens convulsifs qui nous agitent, pouvait rendre la secousse plus violente et la crise plus forte; que si la société ancienne ne souffrait pas patiemment cet outrage, et disputait ses dépouilles, deux sociétés rivales et ennemies entraient dès-lors en guerre; que l'une, cherchant à conserver ses sociétés affiliées, et l'autre, voulant s'en emparer, chacun publierait des manifestes; que dans le même département, des sociétés pourraient se déclarer pour la première, tandis que d'autres se rangeraient du parti de la seconde ; que des principes des partis divers s'établiraient, et qu'il était impossible de prévoir jusqu'où cette scission funeste pourrait conduire dans ces temps d'orage et de trouble.

> J'ai cru apercevoir, dans ce déchirement, la destruction prochaine des sociétés des Amis de la constitution.

Je n'ai pas vu d'ailleurs avec indifférence un abandon aussi brusque et aussi peu généreux. Je ne sais quel sentiment nous porte naturellement vers les hommes faibles qui éprouvent un malheur ou une injustice; je me suis senti plus attaché que jamais au premier asile de la société, à cet asile sacré, où la liberté avait fait si souvent entendre ses mâles accens, et qu'on avait tant de fois promis de ne jamais abandonner.

Il y a peut-être eu quelque courage à moi d'embrasser ce parti. Je n'étais pas, à cette époque, un des membres les plus fervens de la société; j'y faisais des apparitions rares : je connaissais peu ceux qui la composent; je n'avais pas dès-lors cette affection forte et intime qui me rendit la séparation si doulou

reuse.

› Je ne me suis pas dissimulé qu'il me serait difficile d'avoir raison lorsque presque tous mes collègues suivaient une marche contraire.

› Je ne me suis pas dissimulé que mes intentions pourraient être suspectées, et que j'accumulerais sur moi de nouvelles calomnies.

Je ne me suis pas dissimulé que, dans la lutte des deux sociétés, l'ancienne finirait par succomber; que sa chute même pouvait être très-prochaine, et qu'une espèce de honte s'attachait à toute défaite, tandis que le succès justifiait tout.

> J'ai fait toutes ces réflexions; mais j'ai entendu au fond de mon cœur une voix qui me criait : là est la justice, là est ton devoir; et je n'ai point balancé pour lui obéir: elle a pu m'égarer; mais j'ai été et je serai toujours fidèle à ce guide.

Je vais vous dire maintenant ce qui m'épouvante, ce qui me fait trembler pour la chose publique. Je parle ici avec la liberté et la franchise qui conviennent à mon caractère. La réunion la plus étonnante vient de s'opérer au sein de l'assemblée ; j'en suis témoin, et j'y crois à peine. Des hommes, que l'antipathie la plus fortement prononcée éloignait les uns des autres, se sont rapprochés tout à coup. Ils se détestent, ils se méprisent. Mille fois je les ai entendus s'attaquer avec l'acharnement le plus cruel, se faire les reproches les plus amers, se permettre les inculpations les plus outrageantes; et ils agissent de concert. Peut-il exister de liaison vraie sans estime? auraient-ils déposé en un instant toutes leurs haines? serait-ce le désir de sauver l'État qui les aurait réunis? Que ne puis-je le penser! Mais je me livre malgré moi aux plus tristes présages. Je ne vous parle pas du moment où nous sommes, il est affreux; il me fait verser des larmes de sang; l'image de la force se présente partout aux regards du citoyen tremblant et effrayé ; je vois les vengeances et les persécutions particulières s'approcher. Si cet orage n'était que passager, il faudrait avoir la force d'en supporter les ravages; mais quel avenir il me semble nous prédire ! Je crois voir nos travaux achevés, la charte constitutionnelle dressée, présentée à Louis XVI; Louis XVI proposer des modifications, des réformes, déclarer qu'à ces conditions il accepte; des troupes étrangères placées de concert sur nos frontières pour nous imposer; de prétendus amis de l'ordre et du bonheur public s'élever du sein de l'assemblée, exposer avec chaleur les dangers qui nous menacent, représenter que si les conditions exigées apportent quelques changemens à

la constitution, le fond n'en est point altéré, qu'elle n'en restera pas moins la plus belle constitution de l'univers ; que lorsqué nous avons commencé, nous ne devions pas espérer aller aussi loin dans la carrière politique; qu'il est sage de faire de légers sacrifices pour obtenir une paix solide et durable; que les mécontens, qui ont essuyé des pertes de toute espèce, satisfaits des plus faibles restitutions, renonceront à leurs projets de vengeance, et qu'enfin tous les citoyens ne formant plus qu'un peuple de frères, la nation ne sera plus agitée par de longues et douloureuses convulsions. Les jadis nobles et les prêtres approuver la transaction, les hommes faibles y consentir, les chefs et les orateurs en soutenir les avantages! Quelques vrais amis de la liberté, quelques hommes jaloux de la gloire et du bonheur de la nation, qu'on traitera de factieux, s'y opposer, et la grande majorité de l'assemblée consacrer par un décret cette transaction honteuse. Où nous conduiront ces premiers pas rétrogrades? Je ne sais, mais j'en frémis. Fasse le ciel que je me trompe dans mes tristes conjectures!

L'âme bouleversée par ces pensées déchirantes, ne sachant plus quels services il est en mon pouvoir de rendre à la chose publique, je vous l'avouerai, Messieurs, j'ai été sur le point de quitter le poste où votre confiance m'a placé. Des amis, dans le sein desquels j'ai déposé mes peines et mes alarmes, m'ont détourné de ce dessein, et j'ai suivi leurs conseils.

O ma patrie, sois sauvée, conserve ta liberté, et je rendrai en paix mon dernier soupir !

Paris, le 18 juillet 1791.

Signé, PÉTION.

(Extrait du Patriote français du 25 juillet.)

Séances de l'assemblée.

Le 19, Dédelay fait adopter un décret sur les droits supprimés sans indemnité, et les justices seigneuriales aliénées au nom de l'État. Heurtaut-Lamerville, au nom du comité d'agriculture, fait décréter plusieurs articles sur les lois rurales. Le soir, sur le rapport du comité de constitution, l'assemblée décrète que les pièces de théâtre ne pourront être jouées sans le consentement formel des auteurs.

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