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deux chambres, constellation du Cheval blanc, je profite du premier moment où j'ai touché une terre de liberté, pour vous envoyer ma démission de journaliste et de censeur national, que vous me demandez depuis si long-temps, et que je mets aux pieds de M. Bailly et de son drapeau rouge. Je sens que ma voix est trop faible pour s'élever au-dessus des clameurs de vos trente mille mouchards, et d'autant de vos satellites; au-dessus du bruit de vos quatre cents tambours et de vos canons chargés à raisin. D'ailleurs, sur quels mémoires écrire aujourd'hui un journal? J'avais jusqu'ici médit de votre altesse plus que royale, en grande partie sur les mémoires des honorables membres Lameth, Barnave et Duport; c'est sur leur caution, autant que d'après ma portion congrue d'intelligence, que je vous dénonçais aux 83 départemens comme un ambitieux qui ne vouliez que dominer, un esclave de la cour, pareil à ces maréchaux de France à qui la Ligue avait donné le bâton, et qui se regardant comme bâtards, cherchent à se faire légitimer; enfin, c'est sur leur garantie autant que sur les faits, que je vous regardais comme un conspirateur contre le peuple, et un traître plus dangereux que Bouillé. D'un autre côté, quand vous n'auriez pas dans mille et un journaux peint les Lameth des plus noires couleurs; Brissot, que vous avez trompé si indignement, nous a déclaré que vous ne lui parliez qu'avec le plus profond mépris de ces personnages avec qui vous êtes maintenant lié. A vous entendre rendre ce témoignage, il était difficile de juger lequel était un plus grand vaurien, et voilà que tout à coup vous vous en brassez tous deux, vous vous proclamez l'un et l'autre les pères de la patrie, et vous dites à la nation: Fiez-vous à nous, nous sommes des Cincinnatus, des Washingtons, des Aristides. Auquel croire de vos deux témoignages, de celui de la veille ou de celui du lendemain? Et quelle sera la caution du journaliste?... Il ne peut plus même croire aux preuves juridiques; il vous arrive une fois de venir aux Jacobins; Danton vous y accuse de 4 ou 5 crimes capitaux : vous ne pouvez pas vous justifier d'un seul, vous passez condamnation : qu'en résulte-t-il? Ce n'est pas

votre tête qui tombe; c'est vous qui proscrivez celle de Danton. D'après ces deux faits, il est bien inutile de nous obstiner plus longtemps à nous charger de la haine de tous les mauvais citoyens, et à nous dévouer à leurs poignards. Je l'ai dit ailleurs, ce n'est pas à un Romain à descendre dans l'arène et à combattre les bêtes féroces pour amuser des esclaves. Si les faits qui précèdent ne me justifiaient pas assez de quitter un poste où je n'ai point été placé par la patrie, et où moi seul, je me suis constitué sentinelle, qui osera me condamner d'abandonner la presse à la vénalité, à la servitude et au mensonge, d'après les faits qui suivent, et le court exposé que je vais faire de l'audace des tyrans de la capitale et de leurs forfaits d'un seul jour?

Comme les Pyrénées-Orientales, comme la ville de SaintClaude, comme celle de Marseille, et comme tant d'autres dont l'assemblée nationale a supprimé lâchement les adresses, la trèsgrande majorité des citoyens de Paris s'indignait de l'obstination de nos représentans à donner pour chef au peuple français un vil parjure; et à remettre le sceptre dans une main que la loi condamnait pour ses nombreux crimes de faux à être séparée du bras par la hache de Samson. Alexandre Lameth avançait pourtant à la tribune que l'opinion de ceux qui, en remettant à Louis XVI la peine afflictive, demandaient qu'il fût déchu de la couronne, était une opinion factice et d'une poignée de factieux. Voyons, disaient ceux-ci, si nous sommes quelques factieux ou la presque unanimité de la nation. Le décret nous accorde le droit de pétitionner: signons une pétition; on comptera les signatures. Brissot rédige une pétition constitutionnelle, irréprochable, digne de la majesté du peuple, et telle qu'elle allait être couverte avant quinze jours de plus de dix-huit millions de signatures. La foule de signataires qui se présentent indique le champ de la fédération, comme le seul convenable à une si grande affluence, et l'autel de la patrie, pour écarter l'idée de factieux et de mauvais citoyens. L'inviolabilité de l'autel les rassurait. Ils veulent encore se mettre plus à couvert, douze députés (j'étais du nombre) sont envoyés à la municipalité, pour la prévenir du rassemblement et

de la pétition. Vous êtes dans le chemin de la constitution, nous dit le procureur-syndic Desmousseaux, et la loi vous couvre de son inviolabilité. Cependant leur conscience glace d'effroi et les pères conscrits, et les municipaux, et le commandant-général, et tous les traîtres. Ils craignent l'émission du vœu du peuple de Paris, qui va bientôt devenir le vœu de toute la France, et leur jugement prononcé par la nation en personne, séante en son lit de justice, en son Champ-de-Mars. Comment faire?... la loi martiale?... Mais le moyen de la publier contre des pétitionnaires tranquilles et sans armes, qui ne font que suivre les décrets? Voici ce qu'ils imaginent: ceux qui avaient fait pendre un homme, le boulanger François, pour nous donner la loi martiale, en font pendre deux pour la mettre à exécution. L'assemblée était indiquée pour le lendemain 17, à l'autel de la patrie. La nuit du 16 au 17, deux hommes s'introduisent sous l'autel : un jeune homme qui avait obtenu de son père la permission d'aller copier les nouvelles inscriptions de l'autel de la patrie, en les transcrivant seul à quatre heures du matin, entend travailler, court en avertir ceux qu'il rencontre, et revient avec une centaine de citoyens. On lève une planche; on trouve deux hommes feignant de dormir, et auprès d'eux des vivres et un tonneau. Le peuple ne les pend point: il veut découvrir la vérité; il les mène au comité de police le plus voisin. Point de commissaire; personne. La foule augmente autour des deux hommes. Ils disent qu'on leur a promis 25 louis de rente viagère, s'ils se cachaient sous l'autel ; qu'ils n'avaient point de mauvais desseins. Les mouchards, les gens apostés, craignant sans doute une plus grande révélation, contrefont les patriotes enragés, se jettent sur ces deux hommes et les mettent en pièces, deux heures après leur arrestation; et ni la garde, ni le commissaire n'étaient venus pendant ces deux heures. Et deux ou trois hommes portent les deux têtes au bout d'une pique, et on les laisse long-temps se promener dans Paris. On voulait préparer les citoyens par l'horreur de ce spectacle à supporter la loi martiale. Aussitôt la nouvelle se répand avec la rapidité de l'éclair qu'on a coupé deux têtes, et voilà qu'on calomnie

T. II.

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les Cordeliers, les Jacobins; voilà que les municipaux enchantés déploient le drapeau rouge. Et où croyez-vous qu'on va le porter? au lieu du rassemblement, au Champ-de-Mars? Oh! non, le rassemblement se dissiperait; il n'y aurait point de boucherie, il n'est que neuf heures du matin, et c'est à huit heures et demie du soir, aux approches de la nuit, qui couvrira de ses ténèbres les perfidies qu'on médite, que le drapeau rouge ira au Champde-Mars. La matinée, ils l'emploient autrement. Dans l'assemblée nationale, Regnaud de Saint-Jean d'Angely vient dire effrontément qu'on a coupé la tête à deux gardes nationales; et par ce mensonge impudent échauffe tous leurs camarades réunis en foule. Bailly fait proclamer la loi martiale, incognito, dans les rues et places où il y a peu de monde, et la Fayette enivre dans les casernes ses satellites à pied et à cheval. Les conjurés contre le peuple se disent: voilà le drapeau rouge déployé, le plus difficile est fait. Maintenant, si tous les clubs, toutes les sociétés fraternelles pouvaient aller à leur rendez-vous, à l'autel de la patrie pour signer la pétition, quel nectar ce serait pour nous que ces flots de sang jacobin! et ils prennent leurs mesures en conséquence.

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>S'ils avaient voulu dissiper le rassemblement du Champ de la fédération, ils y auraient envoyé dès le matin la garde nationale avec ledrapeau rouge, Ce sont des municipaux qu'ils y envoient, mais avec ces paroles traîtreuses: Citoyens, disent-ils, votre pétition est irrépréhensible; vous n'avez rien à craindre ici; nous sommes prêts nous-mêmes à la signer. Bien plus, pour rassurer davantage ceux qui pouvaient craindre du danger, ces perfides municipaux offraient de rester pour ôtages, et cela, une heure avant le massacre.

Il était deux heures, arrivent trois officiers municipaux en écharpe et accompagnés d'une nombreuse escorte de gardes nationales. Dès qu'ils se présentent à l'entrée du Champ-de-Mars, une députation va les recevoir, Parmi ceux qui la composaient, le public a remarqué un maréchal-de-camp, décoré de la croix de Saint-Louis, attachée avec un ruban national. Les trois officiers

municipaux se rendent à l'autel ; on les y reçoit avec les expressions de la joie et du patriotisme. Messieurs, disent-ils, nous sommes charmés de connaître vos dispositions; on nous avait dit qu'il y avait ici du tumulte: on nous avait trompés; nous ne manquerons pas de rendre compte de ce que nous avons vu de la tranquillité qui règne au Champ-de-Mars; et loin de vous empêcher de faire votre pétition, si l'on vous troublait, nous vous aiderions de la force publique. Si vous doutez de nos intentions, nous vous offrons de rester en ôtage parmi vous jusqu'à ce que toutes les signatures soient apposées. Un citoyen leur donna lecture de la pétition; ils la trouvèrent conforme aux principes; ils dirent même qu'ils la signeraient, s'ils n'étaient pas en fonctions.

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>Ces trois officiers municipaux sont Jean-Jacques Leroux, Renaud, Hardi. Qui croirait que ces mêmes hommes qui avaient applaudi au peuple et à ses intentions, qui avaient offert de rester en ôtage, de protéger les pétitionnaires de la force pu. blique, qui croirait que ces mêmes magistrats ont été reporter à la municipalité qu'ils avaient trouvé le champ de la fédération couvert d'un grand nombre de personnes de l'un et de l'autre sexe, qui se disposaient à rédiger une pétition contre le décret du 15 de ce mois, qu'ils leur avaient remontré que leur démarche et leur réclamation étaient contraires à l'obéissance à la loi, et tendaien évidemment à troubler l'ordre public? Si la France redevient libre, il faut que les noms de Jacques, Renaud et Hardi soient affichés dans toutes les villes, à toutes les rues, pour être à jamais voués à l'exécration publique. C'est par ces discours que les Sinons en écharpe parviennent à retenir autour de l'autel les nombreuses victimes qu'ils brûlent d'y égorger. Toute idée de péril est écartée; le rassemblement grossit; la nuit approche. Alors les treize aides-de-camp de la Fayette se répandent au même instant de tous côtés dans les licux publics. Les uns disent que la Fayette est tué, d'autres qu'il est blessé grièvenient, tous qu'il a été as sassiné par un jacobin, et il n'en était rien. Il est vrai qu'un homme s'était jeté sur lui avec un fusil armé d'une baïonnette,

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