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S'il agit en serviteur, le levier et le point d'appui sont sa propriété; c'est son droit, et c'est de ce droit, compris entre un devoir imposé et un devoir accompli, que Jésus-Christ disait : « Un grain de foi transporte les montagnes. » Si l'homme agit en maître, il faut qu'il renonce à l'instant à ses instrumens d'obéissance, à sa raison, à son corps, et qu'il aille, activité nue, se composer à lui-même une raison et un corps au sein de la passivité pure. Il faut qu'il sorte du mouvement de Dieu, qu'il sorte du monde, et qu'il le brise pour le pétrir de nouveau. Pauvre activité nue, il ne touchera que des surfaces inflexibles; il est à lui-même son centre et son rayon, et il aura pour circonférence une prison de granit.

De ce qu'il y a deux classes d'êtres relatifs, nous étions fondés à affirmer qu'il y a deux êtres absolus. Nous venons de rendre cette affirmation successive, et nous avons trouvé toutes ses conséquences affirmatives comme elle.

Nous définirons l'homme une activité relative munie d'une raison et d'un corps. Nous avons prouvé que sa raison était le rapport général des êtres : c'est là son axiome absolu, au-dessus duquel il ne peut rien placer. Ceux qui demandent à la raison humaine de démontrer à priori l'activité absolue et la passivité absolue, Dieu et la matière, demandent à un rapport de précéder l'existence des termes qui lui préexistent nécessairement.

La vérité importante, première, capitale, par laquelle l'homme devra débuter en appliquant son axiome, sera de déterminer le rapport de l'activité absolue avec les activités relatives, et le rapport des activités relatives entre elles. Ainsi l'homme, pour vivre, pour agir, dira d'abord, à l'acte de Dieu, obéissance; et à ses semblables, à ceux avec lesquels il ne peut avoir de relatif qu'une obéissance commune, un devoir commun, entraînant un acte commun, il dira: soyons unis, obéissons en commun. C'est ici la loi morale, le rapport fondamental, base de tous les rapports. Par elle, tous les hommes sont un dans le même devoir et un dans la même obéissance, un dans le même principe, un dans le même acte, un dans le même but. Si donc l'universalité des hommes implique une successivité, le passé, le présent et l'avenir, le temps et l'espace, les générations et les peuples, l'acte humanitaire se divisera comme les agens, il se divisera en fonctions solidaires entre elles, et solidaires de l'acte humain lui-même, lequel est responsable de son but. L'individu déduira sa fonction de celle du peuple dont il sera membre, le peuple déduira la sienne de celle de l'humanité, l'humanité la sienne de son but.

Nous définirons l'humanité, l'ensemble des activités relatives, ensemble un et indivisible, tenant par deux anneaux à ses termes complémentaires, savoir: à l'activité absolue par l'anneau du même devoir imposé, et à la passivité absolue par l'anneau du même devoir accompli. Nous ajouterons que l'humanité est libre, car elle a commencé par un seul de ses membres à qui l'anneau du devoir a été offert, et qui a pu le refuser; car cet anneau a été offert ensuite par lui à ses semblables, et ils ont pu le refuser.

Nous disons que l'humanité a commencé par un seul de ses membres. En effet, être pour l'humanité, c'est agir; agir, c'est obéir à sa normalité suprême : avant donc qu'elle agisse, il faut que sa normalité lui soit

connue. De deux choses l'une: ou la connaissance de cette normalité, la science du rapport général des êtres lui a été enseignée, ou elle l'a trouvée elle-même. Si elle l'a trouvée elle-même, elle a dû la chercher en commun; si elle a cherché en commun, elle a agi, elle a pu faire un acte normal sans connaître sa normalité, ce qui est absurde. D'ailleurs, le signe de la connaissance de sa normalité, de sa raison, la parole étant nécessaire pour qu'elle agit en commun', il en résulterait que le signe eût existé avant la chose signifiée.

C'est donc un homme, un seul, qui a enseigné à ses semblables la raison revêtue de son signe, le rapport général des êtres, exprimé par le signe générateur de tous les signes: le Verbe. Que cet homme ait été enseigné, ou qu'il ait découvert, le problème est également insoluble pour les hommes qu'il a enseignés. Lui seul le savait, et il a dit qu'ilétait enseigné par Dieu. Qui osera le démentir parmi ceux qu'il a enseignés? La langue engendrée par le signe du rapport général des êtres fut une proposition, d'où il résulta que le système du monde, la chose signifiée, était un rapport entre un sujet et un objet, entre une activité absolue, Dieu, et une passivité absolue, la matière. Toutes les langues que l'humanité a parlées depuis sortent généalogiquement de celle-là; toutes lui sont identiques, en ce que l'élément de toutes est la syntaxe de la proposition.

Il faut donc que ceux qui rejettent le rapport d'activité absolue à passivité absolue, de Dieu à matière, rejettent aussi les langues qui expriment ce rapport; il faut que les pantheistes qui soutiennent que le rapport est l'être absolu, c'est-à-dire, selon leur formule, que l'activité ét la passivité sont deux aspects de la même substance, fassent une lartgue dans laquelle ils placeront un substantif partout où nous plaçons un verbe, un verbe actif là où nous plaçons un substantif, un verbe passif là où nous plaçons un adjectif. La proposition du révélateur pantheiste doit donc être celle-ci : Creavit Deus creatur, proposition qui suppose que Deus est nominatif par le bout relatif à creavit, et régime par le bout relatif à creatur. La langue française est tellement active, elle implique tellement le rapport d'activité à passivité, qu'elle ne se prête point à cette bizarrerie.

Il faut que le matérialiste qui n'admet que l'être passif absolu, lä matière, et l'aspect, le mouvement, ne se serve jamais du substantif, signé de l'activité, signe du terme qu'il rejette, et que sa proposition soit un verbe sans nominatif et un adjectif (4).

Ou bien il faut que les uns et les autres disent non, le seul mot qu'ils aient de commun avec les élèves de l'homme qui parla le premier, qu'ils disent non à la loi de Dieu, non au point d'appui qui leur est donné, non à la raison qui leur est enseignée et qu'ils savent, et qu'ils aillent dans leur prison de granit, jusqu'à ce que nous puissions les en tirer. S'ils en sortent jamais, c'est parce qu'ils auront servi à nous faire prononcer oui plus haut et plus ferme.

(1) Il est bien entendu que nous examinons ici comment les pantheisles et les matérialistes devraient employer nos mots pour traduire leur pensée en Tangage humain. Il est superflù d'ajouter qu'à nos yeux et pour quiconque n'ignore pas les élémens de grammaire générale, ni les pantheistes, ni les matérialistes ne peuvent parler, car ils ne penvent se servir du verbe, signe d'une spontanéité active.

Mais reprenons. L'humanité a donc commencé par un homme, qui a dit: Dieu créa le monde. Et parce que l'humanité naquit après le monde dans lequel elle venait agir, celui qui l'enseigna lui apprit ce qui avait été fait avant sa venue, et ce qu'elle devait faire immédiatement elle-même. Or, ce qu'elle devait faire, c'était d'apprendre à parler. Ceux qui apprirent à parler composèrent seuls alors l'humanité; ceux qui ne parlèrent pas ne furent pas ses membres. Il y eut donc deux origines pour les hommes de cette première époque : les uns naquirent de la parole de Dieu, car ils agirent dans le sens du devoir, ils parlèrent; les autres furent un pecus, qu'on ne distingua pas des animaux. Or, cette relation dut être exprimée, et exprimée d'une manière absolue par les enfans de la parole, car toute leur fonction était comprise entre leur principe et leur but. Ainsi, ils dirent les hommes qui parlent, qui veulent obéir, viennent de Dieu, viennent du bien; ceux qui ne parlent pas, qui résistent, viennent du mal.

Quand cette première fonction de l'acte humanitaire fut accomplie, la seconde fut proposée. Or, une fonction nouvelle supposait un nouveau but et une nouvelle origine. Comment donc les hommes à qui le premier révélateur n'avait ni dù, ni pu enseigner que la première fonction, auraient-ils pu savoir autre chose que le premier but et la première origine.

Il fallut done qu'un homme, un nouveau révélateur, vint leur enseigner le second devoir. Qu'il fût inventeur ou enseigné de Dieu, ib n'est donné à personne de ceux qu'il a enseignés de combler cette lacume: lui seul le pouvait, et il a dit qu'il était enseigné par Dieu.-Qui osera le démentir?

Le second devoir fat ainsi: Multiplie, c'est-à-dire accrois et conserve une race. Et le révélateur leur apprit qu'ils avaient une même originė, mais qu'elle était inégale et hiérarchique; qu'ils sortaient tous du même createur, mais le chef de la race sacerdotale de sa tête, le chef de la race guerrière de ses épaules, le chef des fermiers de son ventre, et les esclaves, les hommes sans race, de ses pieds. Les hommes le crurent, et les races furent accrues et conservées, et les hommes couvrirent la terre. Quand le second devoir fut accompli, le troisième devoir fut proposé. Que pouvaient savoir les élèves du second révélateur ? rigoureusement ce que le premier et le second avaient dit.

Ici nous interpellons directement nos adversaires, et, avec eux, tous ceux qui savent assez peu Platon, Aristote, les Alexandrins, et assez peu le christianisme, pour attribuer la science de Jésus-Christ à ces philosophes. D'abord nous leur dirons à priori que ces hommes ne devaient pas connaître une syllabe, une lettre, ni an-delà, ni en-deça des deux premières fonctions de l'humanité, à moins que l'un d'eux n'ait été le révélateur de la troisième fonction, et les autres ses élèves. Celui-là quel est-il? A-t-il proposé la fonction, et les hommes l'ont-ils acceptée ? Répondez.

Nous leur dirons à posteriori, et c'est de notre part une vieille assertion, que pas un de nos adversaires n'a encore renversée ; nous leur dirons: Platon, Aristote, les Alexandrins bien loin d'affirmer l'égalité originelle des hommes, ont au contraire positivement, explicitement, toutes les fois qu'ils se sont expliqués là-dessus, affirmé leur inégalité originelle.

Le système politique de Platon est calqué, terme pour terme, sur la Genèse du premier révélateur. L'être social, l'être actif, qu'enfanta la parole, du premier Révélateur, fut constitué par lui màle et femelle, creavit illos masculum et feminam ; c'est-à-dire que la femme lui fut attribuée comme un second corps vivant sous l'activité une de l'homme; mais ce fut la famille, et non pas le rapport des familles entre elles, qui reçut la forme androgynique. Qu'a fait Platon? Il a pris l'androgyne pour type social; sa république est la théorie de l'androgyne abstrait. S'il était passé au second révélateur, au second chapitre de la Genèse (nous citons la Bible), il aurait vu que pour la seconde fonction, la femme fut séparée de la côte de l'homme. Qui ne connaît, parmi les chrétiens, la naissance de la femme ?

D'ailleurs Platon enseigne que son androgyne, sa république, choisira entre ses enfans, ceux qu'elle doit élever. Les êtres sociaux de Platon naissaient donc inégaux, puisqu'ils légitimaient un choix.

Aristote est clair et dogmatique. Il faut ne pas avoir lu les premières pages de sa Politique, pour ignorer qu'à ses yeux, il n'y a de société qu'entre les hommes de même nature originelle; qu'à ses yeux le maître et l'esclave sont de deux natures différentes.

Ceux qui ont trouvé l'égalité originelle des hommes dans Aristote et dans Platon, les ont lus comme ils nous lisent nous-mêmes. Ils ont lu leur propre science dans ces philosophes, comme ils ont lu leur christianisme dans le nôtre. Nous les adjurons ici d'administrer une preuve quelconque de leurs gratuites affirmations.

Passons. La parole du troisième Révélateur fut: Tous les êtres actifs, tous ceux qui parlent, hommes, femmes, enfans, esclaves, tous sont enfans de Dieu; non pas d'un père matériel, les engendrant selon la hiérarchie de ses membres, mais d'un père spirituel et un, les créant selon son unité active. La fonction qu'il proposa fut: L'unité humaine par le dévoûment. Il appela l'humanité, son église ; il dit qu'il en était la tête et que son corps spirituel, l'unité humaine, serait édifié par le dévoûment: il dit que les hommes qui représenteraient sa tête, jusqu'à la consommation de l'unité humaine, porteraient sa croix; et que d'épaules en épaules, sa croix serait portée par ceux qui conduiraient les hommes à l'unité.

Ainsi la troisième fonction de l'acte humain, eut l'égalité pour origine et l'unité pour but. Or, l'unité humaine résulte nécessairement de fonctions hiérarchiques, dont la plus élevée appartient au serviteur de toutes les autres, à l'homme qui prend Jésus-Christ pour modèle. Ainsi donc, les hommes partent de l'égalité d'origine; ils sont également libres de choisir parmi les fonctions qui leur sont offertes, et s'y classent selon leur dévoûment; ils partent de l'égalité, et ils aboutissent volontairement à l'un des degrés de la hiérarchie, d'où résultera l'unité. Nous ne savons pas sur quoi certains de nos adversaires se sont fondés, pour accuser le christianisme d'avoir enseigné la fraternité dans le ciel, et non pas sur la terre. Il a précisément enseigné le contraire, car il a dit : Les hommes commencent par être enfans de Dieu, et finissent par être les fils de leurs œuvres ; ils vont de l'égalité à l'inégalité. Cette parole est de JésusChrist: Il y a plusieurs demeures, dans la maison de mon père !

Le verbe du troisième Révélateur fut-il de lui ou de Dieu ? Pour ne

pas entrer dans des détails auxquels notre préface ne suffiraient pas, nous dirons: Jésus-Chrit seul le savait; il affirma qu'il était le fils de Dieu fait homme, et qu'il venait sceller de son sang, la nouvelle qu'if nous apportait de la part de son père. Cette nouvelle, c'était l'égalité d'origine, et l'unité de but. — Qui osera dire qu'il n'était pas le fils de Dien? qui, parmi ceux qui professent l'égalité d'origine et l'unité de but?

Parce que le sacrifice fut le moyen particulièrement imposé par Jésus-Christ pour réaliser la troisième fonction, il ne faudrait pas en conclure que le sacrifice n'était pas le moyen des deux premières. Ce moyen est relatif comme les fonctions qui divisent l'acte humanitaire, mais il est constant et un, comme l'acte lui-même; voici ses relations:

Il est évident que, lorsque le but était la parole, le plus grand sacrifice que l'homme pût faire, était d'enseigner à parler; son devoir était donc de se conserver, et de détruire par la violence, tous les obstacles de l'ordre muet. Lorsque le but fut la multiplication, il est évident encore, que le moyen de ce but, le chef d'une race, reçut pour devoir de se conserver lui-même, et de sacrifier à son but tout obstacle de l'ordre stérile.

Mais aujourd'hui que le but est l'unité humaine, le plus grand devoir que l'homme puisse remplir, est de conserver la fonction qu'il a librement voulue. Pour la conserver, il fant qu'il la transmette, et le meilleur moyen de la transmettre, c'est de mourir pour elle. L'héritage d'un martyr engendre des héritiers. L'homme du droit, le fédéraliste, ne peut jamais être martyr, car mourir pour soi est un non-sens.

Telles sont nos idées sur l'humanité. Dans notre préface du neuvième volume, nous avons traité du rapport général des êtres, du mouvement considéré selon la loi logique. Ici, nous avons exposé ce même rapport, du point de vue de ses deux principes. Nous y avons procédé par voie d'affirmation, les posant comme dogme, les appelant création et but. Nous les avons ensuite prouvés, par l'absurde. On peut maintenant vérifier les révélations, les créations successives que nous avons indiquées dans l'humanité, par la formule logique, le progrès, et l'on verra qu'elles sont conformes à cette formule. Opposition d'origine, hiérarchie d'origine, égalité d'origine, sont en effet trois initiales en série progressive.

Avant d'entrer sur le terrain de nos adversaires, nous rappellerons en deux mots notre définition de la nationalité française. Nous disons, depuis quatre ans, que la nationalité française est une fonction chrétienne, et qu'elle est la première dans l'ordre de réalisation de l'unité humaine. Nous avons démontré sur pièces que cette fonction fut proposée à Clovis par les évêques des Gaules, acceptée par lui et acceptée par son armée. La nation française est née de ce choix. Pour vivre elle doit porter sa fonction au but; pour vivre, elle doit marcher toujours vers l'unité humaine à la tête des nations; être la servante des servantes de Dieu.

Le grand cri contre notre doctrine le voici. Notre formule générale affirme que le christianisme est ; nos adversaires soutiennent qu'il n'est pas ou qu'il n'agit plus, ce qui revient au même : leur preuve c'est qu'on n'y croit plus. Sans nommer et sans compter ici ceux qui n'y croient plus, nous ferons une réponse décisive.

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