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pire, de la Turquie. C'est de la doctrine de ce pays que nos champions de l'inviolabilité veulent infecter les sources pures de notre immortelle constitution.

› Eh! jusqu'où ne portent-ils pas les conséquences de cette doctrine impie! Ils couvrent de son voile même les guerres qu'un prince pourrait entreprendre contre la liberté de son pays. Je le demande ici à un avocat de l'inviolabilité : si le prince, après avoir franchi les frontières, n'était rentré en France qu'à la tête d'une armée étrangère ou rebelle, portant le fer et la flamme partout; s'il avait ravagé nos plus belles contrées; si, arrêté dans sa course furieuse, il eût été pris après plusieurs combats; osez me répondre : qu'en auriez-vous fait? Eussiez-vous invoqué son inviolabilité pour l'absoudre? Oui, me répond froidement un membre d'un comité! Eh bien!.... Allez à Constantinople chercher des fers, y porter votre infàme doctrine: elle révolte ici des hommes libres.... Cet exemple doit vous frapper, Messieurs. S'il est un délit personnel dans un roi où l'inviolabilité ne puisse le soustraire au glaive de la loi, il est clair que les autres crimes qui outragent la société ne peuvent pas davantage lui échapper. Car qui fixera la ligne de démarcation? D'après quelles bases?

› D'après celles de l'avantage de la société, me répond-on? le maintien de l'ordre est dans l'inviolabilité du roi; si vous le lui ôtez, on l'attaquera tous les jours.

> Je n'ai pas, je l'avoue, l'intelligence assez profonde pour concevoir comment une absurdité, une atrocité, sont des élémens nécessaires d'un bon gouvernement. J'y trouve au contraire la source des plus grands désordres, et l'excuse des plus grands criminels. Rappelez-vous ce mot prononcé par un juge à cette tribune: irai-je, disait-il, condamner un assassin au nom du roi?.... Il me dira: vous me condamnez au nom d'un homme qui a voulu renverser la constitution, couvrir la France de flots de sang, et qui cependant jouit encore du trône....

› Messieurs, sous un régime libre, on ne maintient l'ordre que par l'exemple de l'ordre, la justice que par l'assujétissement personnel à la justice.

(Ici Brissot cite l'exemple des États-Unis, dont le président ou roi électif est justiciable devant la loi, pouvant être suspendu et condamné pour crime de haute-trahison. Aussi, ajoute-t-il, n'y a-t-il eu aucun président qui ait conspiré contre son pays; ils savent qu'ils seraient infailliblement pendus.

Brissot passe ensuite à l'Angleterre et dit que tous les publicistes fameux de cette contrée, Locke, Sidney, Milton, Macaulay, Blackstone, Jones, ont unanimement enseigné que le prince peut être jugé, déposé par la nation, et que son inviolabilité cesse en matière de crime national.

Après avoir ainsi réfuté la maxime anglaise, le roi ne peut mal faire, invoquée par les partisans de l'inviolabilité, et y avoir opposé cet autre axiome du même pays, le roi est soumis à la loi, Brissot énonce avec mépris cette opinion d'Ulpien, qu'on avait également jetée dans cette discussion : l'empereur n'est point obligé d'obéir à la loi. Il combat cette autorité par celle du jésuite Mariana.)

› Le jésuite Mariana a fait, dans le dernier siècle, un livre sur l'institution du roi, où l'on trouve deux chapitres sur la question de savoir si on doit tuer ou empoisonner un tyran. Mariana n'en fait aucun doute, et voici la marche qu'il prescrit. Un tyran, dit-il, est une bête féroce qui déchire tout ce qu'elle trouve; et c'est un devoir que d'assassiner une bête féroce. Mais comment s'y prendre avec un tyran! Il faut l'avertir fraternellement de ses fautes; que s'il rejette la médecine, il est incorrigible; la république doit prononcer qu'il est déchu de la royauté ; s'il s'oppose à la sentence, il faut le déclarer ennemi public, et le détruire par tous les moyens.

› Observez que Mariana écrivait ces leçons sur le tyrannicide, sous le prince le plus despote, sous Philippe II. »

(Brissot poursuit en établissant que ni la déposition, ni la mise en jugement d'un roi, n'infirment en rien la royauté elle-même. Il le prouve par les Juifs dont le Sanhedrin jugeait et condamnait les rois; par les Spartiates, par notre propre histoire. Après cela, il aborda la dernière objection.- (Le Moniteur a extrait

de ce discours toute cette dernière partie, moins la conclusion.)

Les puissances étrangères vont fondre sur vous, nous dit-on.

Je le veux; mais si, cédant à ce motif, vous oubliez vos principes, votre dignité, la constitution, pour ne plus voir qu'un danger extérieur, en ce cas, hâtez-vous de déchirer cette constitution: vous n'en êtes plus dignes, vous ne pouvez plus en défendre aucune partie. Croyez-vous en effet que si vos ennemis parviennent une seule fois à vous commander votre propre déshonneur, croyez-vous qu'ils s'arrêteront à ce premier pas? Non. Ils vous forceront à établir le projet des deux chambres, ce sénat héréditaire, partout le complice et l'appui du despotisme; ils vous forceront à ressusciter cette funeste noblesse, à côté de laquelle une constitution ne peut se maintenir; ils vous forceront à rendre au roi une partie de son autorité absolue; enfin, à quoi ne vous forceront-ils pas? Quel sera le terme de leurs demandes insolentes et de vos lâches faiblesses? Osez le fixer; osez dire qu'arrivés à ce terme, vous aimerez mieux combattre et périr que de céder. Eh bien! puisque vous ne pouvez éviter, en cédant une seule fois, ou de retomber, de degré en degré, dans l'esclavage, ou d'ètre obliges de combattre, ayez donc le courage d'ètre grands, d'être fiers, d'être inébranlables, au premier pas, à la première demande audacieuse.

› Les Romains avaient pour principe invariable de ne jamais négocier avec leurs ennemis que ceux-ci n'eussent mis bas les armes..... Et vous, vous craindriez des ennemis qui sont encore à les prendre contre vous! vous fléchiriez par la frayeur de vains fantômes! Mais que ceux qui redoutent ou feignent de redouter ces fantômes, osent les envisager; qu'ils essaient de les toucher; qu'ils voient ce qu'ils sont, ce que vous êtes, et les frayeurs disparaîtront.

Qui êtes-vous? Un peuple libre ; et on vous menace de quelques brigands couronnés et de meutes d'esclaves! Athènes et Sparte ont-ils jamais craint les armées innombrables que les despotes de la Perse trainaient à leur suite? A-t-on dit à Miltiade, à Cimon, à Aristide, recevez un roi ou vous périrez? Ils auraient

répondu dans un langage digne des Grecs: Nous nous verrons à Marathon, à Salamine..... Et les Français aussi auront leur Marathon, leur Satamine, s'il est des puissances assez folles pour les attaquer,

› Ici, Messieurs, le nombre est même du côté de la liberté; et nous aurons à envier aux Spartiates la gloire qu'ils ont eue de lutter avec peu de héros contre des nuées d'ennemis! Nos Thermopyles seront toujours couvertes de légions nombreuses.

› La France seule contient plus de citoyens armés que l'Europe entière ne peut vomir contre elle de soldats mercenaires. Et quels citoyens! ils défendront leurs foyers, leurs femmes, leurs enfans, leur liberté! Avee ces dieux tutélaires, on n'est pas vaincu, ou l'on sait s'ensevelir sous les ruines de sa patrie.

⚫ Quels soldats du despotisme peuvent faire long-temps facé aux soldats de la liberté? Les soldats des tyrans ont plus de discipline que de courage, plus de crainte que d'attachement ; ils veulent de l'argent, sont peu fidèles, désertent à la première occasion. Le soldat de la liberté ne craint ni fatigues, ni dangers, ni la faim, ni le défaut d'argent: celui qu'il a, il le prodigue avec joie pour la défense de son pays (j'en atteste les braves soldats de Givet); il court, il vole au cri de la liberté, lorsque le despotisme lui ferait faire à peine quelques pas languissans. Qu'une armée patriote soit détruite, une autre renaît aussitôt de ses cendres. C'est que sous la liberté tout est soldat; hommes, femmes, enfans, prêtres, magistrats. Deux défaites détruisent en Europe l'armée des tyrans la plus nombreuse et la mieux disciplinée. Les défaites instruisent et irritent les soldats de la liberté, et n'en diminuent pas le nombre.

› O vous qui doutez des efforts prodigieux et surnaturèls que l'amour de la liberté peut commander aux hommes, voyez ce qu'ont fait les Américains pour conquérir leur indépendance ; voyez le médecin Warren, qui n'avait jamais manié le fusil, défendre la petite colline de Bunkerhill avec une poignée d'Américains mal armés, mal disciplinés, et, avant de se rendre, faire mordre la poussière à plus de douze cents militaires anglais.

Suivez le général Washington, faisant tête avec 3 à 4,000 paysans à plus de 30,000 Anglais, et se jouant de leurs forces. Suivez-le à Trenton. Il me le disait: ses soldats n'avaient pas de souliers; la glace qui déchirait leurs pieds était teinte de leur sang: Nous aurons demain des souliers, disaient-ils, noùs battrons les Anglais..... Et ils les battirent.

› Ah! que les hommes qui désespèrent de la valeur française, qui ne la croient pas capable de soutenir les efforts combinés des puissances ennemies, que ces hommes cessent de calomnier nos troupes de ligne qui, si redoutables lorsqu'elles combattirent pour des querelles étrangères, le seront bien plus lorsqu'elles se battront pour leur propre cause, leur liberté. Qu'ils cessent de calomnier nos gardes nationales, dont le dévoûment s'est manifesté dans cette crise d'une manière si touchante, et qui accusent la fortune de ne leur avoir pas encore fourni l'occasion de développer leur valeur.....

› Athènes seul, le petit pays d'Athènes, sut pendant treize ans soutenir les efforts de la ligue des Spartiates, des Thébains, des Perses, et ne succomba qu'au nombre, qu'à la lassitude, qu'au défaut de moyens.

› L'Angleterre a pu, lors de la révolution de 1640, soutenir pendant dix ans, pour recouvrer sa liberté, la guerre intestine la plus désastreuse, et gagner des batailles au dehors.

› Les Américains, peu nombreux, sans troupes disciplinées, sans munitions, sans artilleric, sans vaisseaux, sans argent, ont pu résister et vaincre, après sept ans de combats, une nation brave, riche, dont la marine ne connaissait point d'égale.

dans nos

› Et nous, ayant dans la vaste étendue de la France, mon tagnes et nos ports, plus de ressources que les Athéniens; nous, plus heureux que les Anglais de 1640, redoutés jusqu'à présent de nos voisins, sans crainte de guerre intestine, maîtres des séditieux, unis par un concert qui ne fait de 25 millions d'hommes qu'une seule famille, une seule armée ; nous qui, plus heureux que les Américains, pouvons arrêter nos ennemis par des places bien fortifiées, par des armées disciplinées et nom

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