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de ne pouvoir pénétrer dans la maison nationale. Profondément affligés, quoique toujours confians, ils ont arrêté que, sans armes, et dans le plus grand ordre, ils iraient aujourd'hui 15 juillet, se presser et s'unir au sein de la patrie, pour y faire une pétition tendante à ce que vous suspendiez toute détermination sur le sort de Louis XVI jusqu'à ce que le vœu bien prononcé de tout l'empire français ait été efficacement émis.

› Mandataires d'un peuple libre, détruiriez-vous un héritage que vous avez solennellement consacré, et le remplaceriez-vous, sous le règne de la liberté, par celui de la tyrannie? S'il en était ainsi, attendez-vous que le peuple français, ayant reconnu ses droits, est disposé à ne plus les perdre.

>Ils ont tous signé sur l'autel de la patrie, et dans cette séance, ils ont nommé pour commissaires, MM. Massulard et Virchaux.> - Suivent seulement six noms : Girouard; Gaillemet; Ch. Nicolas; Gillet fils; Bonnet; Massulard; ce dernier a inscrit dans son paraphe, rédacteur de la pétition,

Cette pétition fut apportée par une foule immense, à l'assemblée nationale. On verra plus bas, dans une explication donnée par Bailly à la séance du 16, comment les six députés furent traités. Virchaux qu'on avait retenu d'abord, et relâché ensuite, fut enfin arrêté pendant la nuit.

Le peuple se sentit frappé d'une véritable calamité par le décret du 15. De son propre mouvement il fit fermer les théâtres. Voici les circonstances officielles de sa conduite après son retour du Champ-de-Mars, et sa visite à l'assemblée nationale.

Séance du corps municipal, 15 juillet au soir. « Le corps municipal étant informé par M. le maire et les administrateurs au département de police des mouvemens qui se sont manifestés aujourd'hui dans les environs des Tuileries, de l'assemblée nationale et au Palais-Royal; instruit que quelques particuliers se sont portés aux portes des spectacles, et qu'ils les ont presque tous fait fermer; a arrêté que le commandant-général demanderait et ferait incessamment parvenir au corps municipal, les motifs qui ont pu déterminer les commandans de chacun des

T. XI.

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postes à laisser pénétrer dans les spectacles, et à les laisser fermer. >

Cependant le mot de décret avait assez influé sur le peuple pour que, ne doutant pas d'ailleurs de son sentiment, il cherchât à le fortifier par les lumières de ceux en qui résidait sa foi, et à demander leur participation à la démarche définitive qu'il préméditait.

Le 15, à onze heures du soir, quatre mille individus, hommes, femmes, enfans (voir la fin du t. X), inondèrent la salle des Jacobins au moment où ils fermaient leur séance. L'intelligence de ce qui suit exigé une analyse de ce qui s'y était passé. A l'ouver ture,

Un membre dénonce un citoyen, pour avoir, ce matin, tenu dans une maison particulière, des propos grossièrement injurieux contre M. Robespierre. Cette dénonciation produit un soulèvement général. Lé citoyen accusé monte à la tribune, et nie une partie de l'accusation. Sur le tout, la société arrête de passer à l'ordre du jour; mais une partie de ceux qui s'étaient opposés à cet arrêté volent auprès de l'accusé, et le poussent avec force hors de l'assemblée. M. de Laclos, qui présidait comme secrétaire en l'absence de M. Bouche, fait tous ses efforts pour apaiser le tumulte que cette accusation, la défense de l'accusé, l'arrêté de l'assemblée délibéré très-précipitamment, et la violence faite à l'accusé, avaient occasionné; il se couvre, insiste pour qu'on réintègre le membre expulsé; enfin on s'ar rête à la proposition de nommer des commissaires sur cet objet, et le calme renaît peu à peu. ›

Après cet incident, Biauzat donna lecture du décret rendu le matin par l'assemblée nationale. Plusieurs s'écrièrent qu'après un tel décret il fallait porter l'abbé Maury. En ce moment entrèrent Robespierre, Pétion, Roederer; ils furent vivement applaudis. Robespierre se hâta d'intervenir en faveur de l'individu qui l'avait injurié. H sollicita le club de passer à l'ordre du jour sur les suites de cette affaire, et de n'en inscrire aucun détail dans le procès-verbal.

Póuape parut ensuite à la tribune. Il s'attacha particulièrement à signaler l'opinion de Goupil dans la question du roi, en releva les attaques maladroites dirigées contre les sociétés pa triotiques en général, et les allusions à ce qui avait été dit au sein du club, notamment par MM. Pétion et Robespierre. Il demanda que la société s'occupat du parti qu'elle devait prendre à l'égard de M. Goupil.

Antoine présidait à la place de Bouche. Il fit observer à l'orateur que les opinions des membres de l'assemblée nationale étaient absolument libres dans cette assemblée; qu'il n'était même pas permis à des tribunaux d'en rechercher les auteurs ; qu'il était convenable d'imiter ce silence respectueux. Je demande, s'écria Danton, que nous offrions des cartes d'entrée à MM. Maury et Cazalès. ›

Robespierre prit la parole et dit : « Il est possible que l'assem→ blée ait eu l'intention de déclarer Louis XVI hors de cause; mais si je regarde le décret qu'elle a rendu, je ne vois nullement qu'elle y déclare cette intention. J'ai demandé ce matin à l'assemblée nationale qu'elle s'expliquât franchement et ouvertement sur cet article. Elle n'a pas cru devoir faire droit à ma motion. Cela posé, je lis le décret, et je vois qu'en y mettant en cause telles et telles personnes, elle n'a rien décidé du tout, ni pour, ni contre Louis XVI. La question, à cet égard, reste donc parfaitement en son entier. > Rewbell répondit que la lettre du décret importait peu; que l'intention de l'assemblée était évidente, et par conséquent la question décidée.

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Ici fut faite la motion de Laclos. Il déclara d'abord que sans doute les citoyens devaient tout aux lois, mais qu'ils ne devaient rien aux intentions des législateurs. Voici sa motion: « Je propose que nous fassions une pétition sage, mais ferme, non pas au nom de la société, car les sociétés n'en ont pas le droit, mais au nom de tous les bons citoyens de la société; que la copie littérale de cette pétition soit envoyée à toutes les sociétés patriotiques, non comme sociétés, mais comme lieux de rassemblement de tous les bons citoyens, pour être présentée à la signature, et

envoyée dans les bourgs, villes et villages de leurs environs. Je demande qu'on admette à la signer tous les citoyens sans distinction, actifs, non actifs, femmes, mineurs, avec la seule attention de classer ces trois signatures. Je ne doute pas que cette pétition ne revienne à l'assemblée nationale couverte de dix millions de signatures. Je demande que la société se forme en comité pour s'occuper de la rédaction de cette adresse. >

Biauzat examinant cette proposition du point de vue constitutionnel, affirma que l'assemblée nationale avait décidé positivement que le roi ne devait pas être mis en cause; que cette décision était explicite dans la réponse faite à la motion de Robespierre, réponse fondée sur un décret antérieur déclarant le roi involable. En conséquence, il yota contre toute pétition, par obéissance aux lois et par amour de la paix.› Ce discours excita de nombreux murmures.

Danton se leva après lui. Et moi aussi j'aime la paix; mais non la paix de l'esclavage. Je suis bien éloigné d'inculper les intentions du préopinant; mais il doit penser, ce me semble, qu'il est possible d'allier l'amour de la paix avec la faculté d'émettre son opinion. Qu'est-ce que le droit de pétition, sinon le droit d'émettre son opinion? Que devons-nous aux décrets? L'obéissance et le respect; mais rien ne peut ôter le droit de montrer, dans des pétitions, les sentimens qu'on a pour tels et tels dé

crets.

> Je passe au fait que nous assure M. Biauzat, que l'assemblée a déclaré le roi inviolable. Mais elle l'a fait en ces termes obscurs et entortillés, qui décèlent toujours la turpitude de ceux qui s'en servent. Or, si l'intention est manifeste et la lettre obscure, n'est-ce pas le cas de faire une pétition? car je déclare, que si l'intention est manifeste pour nous qui avons vu les manœuvres elle ne l'est pas également pour les citoyens des départemens qui n'ont pas vu le jeu des ressorts. Si nous avons de l'énergie, montrons-la. Les aristocrates de l'assemblée nationale ont déclaré positivement qu'ils ne voulaient pas de la constitution, puisqu'ils ont protesté contre elle. L'assemblée nationale, il est vrai, a

conspué cet acte ridicule; mais elle n'a pas sévi contre ses auteurs; elle ne les a pas trouvés coupables pour avoir exprimé leur pensée; elle ne les a pas expulsés de son sein. Pourquoi serait-on tenté de nous trouver coupables pour oser exprimer notre opinion d'une manière franche et énergique ?

› Que ceux qui ne se sentent pas le courage de lever le front de l'homme libre, se dispensent de signer notre pétition. N'avonsnous pas besoin d'un scrutin épuratoire? le voilà tout trouvé.›

A ces apostrophes véhémentes succéda une longue improvisation de Robespierre. Il reproduisit les argumens déjà connus du lecteur. Il fit en outre remarquer que MM. Duport et Alex. Lameth qui avaient reproché si amèrement à Mirabeau de s'être rallié au côté droit et d'avoir substitué « à une liberté raisonnée, le despotisme de l'aristocratie,» au sujet du droit de paix et de guerre, se trouvaient aujourd'hui placés par leur choix dans une position semblable; ils se concertent avec nos adversaires, et nous traitent de factieux. Il exprima formellement le vœu que la nouvelle législature fût constituante, et signala le projet de révision qui allait bientôt sortir des comités de l'assemblée actuelle, comme une occasion offerte, autour de laquelle s'empresseraient tous les ennemis de la constitution pour l'altérer entièrement. Que les patriotes se réunissent pour veiller sur cette opération. Quant à l'opinion de M. Laclos, elle me paraît devoir être, sinon rejetée, du moins modifiée. Pourquoi y appeler les mineurs et les femmes? Je voudrais donc plutôt que la société fit une adresse aux sociétés affiliées, pour les instruire de la position où nous sommes, et des mesures fermes que nous avons adoptées.

On avait fermé la discussion, la proposition de Laclos était mise aux voix, lorsque le peuple fut introduit dans la salle. Il demanda que la société se joignît à lui pour aller jurer le lendemain au Champ-de-Mars de ne plus reconnaître Louis XVI pour roi. Laclos monta à la tribune. Il changea sa motion en celle de rédiger une pétition qu'on signerait au Champ-de-Mars; elle fut adoptée et la séance fut levée à minuit.

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