Page images
PDF
EPUB

s'anéantit insensiblement dans tous les articles, du moment qu'on a l'audace d'en fou'er un seul aux pieds.

› La souveraineté de la nation ne reconnaît personne au-dessus d'elle. Or, si un homme a le privilége de conspirer contre la nation sans pouvoir être puni, il est clair que cet être privilégié est le souverain, et que la nation est son esclave.

› Je ne vois plus en lui qu'un Dieu, et vingt-cinq millions de brutes ou de serfs dans les prétendus citoyens.

>La constitution veut que tous les pouvoirs dérivent du peuple, que tous soient subordonnés au peuple. Or, l'inviolabilité universelle et perpétuelle d'un homme ne peut dériver du peuple : car il ne peut faire plus grand que lui; et faire quelqu'un plus grand que lui, c'est renverser cette subordination où tous les délégués du peuple doivent être à son égard.

La constitution dit la nation, la loi et le roi, et les partisans de l'inviolabilité placent le roi d'abord; et, non pas à côté, mais au-dessous, la nation et la loi. Ainsi, admettez l'inviolabilité absolue, et il faut changer ce bel ordre d'élémens politiques qui vous a couverts de gloire aux yeux de l'univers.

>La liberté de faire ne connaît de limites que le droit d'autrui. Or, du moment où un individu a le privilege de franchir toutes les limites à l'égard des autres, et d'empêcher qu'on ne les franchisse au sien, il est clair qu'il n'y a plus ni liberté ni justice; car liberté et justice supposent réciprocité de droits et de devoirs. Or, ici les droits sont tous d'un côté, et les devoirs de l'autre. Mais si l'inviolabilité du roi renverse le bon sens, la déclaration des droits, la souveraineté de la nation, la constitution, la liberté, il est évident qu'elle n'est, ni ne peut être dans la constitution; il est évident que ceux qui la défendent sont les ennemis du peuple, de la constitution et de la liberté; il est évident que si leur système était admis, il renverserait insensiblement toutes ces bases; car en matière de constitution, un mal en amène toujours dix autres qui se greffent sur le premier.

› Nos adversaires conviennent que cette inviolabilité absolue n'est pas encore écrite; mais ils disent qu'il est nécessaire qu'elle

le soit, et qu'elle dérive de l'inviolabilité administrative. On a déjà vu la différence qui régnait entre ces deux inviolabilités; et, parce qu'on s'est paralysé un bras, il ne s'ensuit pas qu'il soit bon de se par lyser les autres membres.

> Eh! peut-on calculer tous les maux qu'entraînerait un pareil privilege d'inviolabilité absolue? Je ne parle pas des fantaisies féroces ou crapuleuses qui peuvent souiller l'âme d'un prince sûr de l'impunité; je ne rappelle pas les goûts de ce prince qui, sans être cependant roi, s'amusait à tuer les hommes emme des lièvres, et de tant d'inviolables despotes, tant de Tihères, tant de Nérons, qui, pour leurs menus-plaisirs, plongeaient dans les cachots des milliers d'infortunés, et forçaient les hommes les plus vertueux d'avaler la mort avec le poison.

› Mais je ferai une seule question à un de ces intrépides avocats de l'impunité couronnée que dirait-il, si le roi, dans ses ébats, violait sa femme, en'evait sa fille, volait son argent, bralait sa maison, menaçait sa vie? Lui dirait-il, seigneur, que votre volonté soit faite?.... Le plus là he des esclaves rougirait de ce langage. Lui citerait-il la loi? Elle n'est pas faite pour un roi. Repousserait-il à main armée son offense? C'est un inviolable, c' st l'oint du Seigneur. Il faut donc ici, ou être le plus vil des hommes, ou violer un inviolable, puisque la loi n'osera pas le punir.... Comme on s'embarrasse, comme on s'égorge soimême, quand on abandonne le bons sens, la nature et les droits de l'homme! On égorge celui qu'on veut favoriser avec des priviléges aussi contraires à tous. Car défendre au glaive de la loi de toucher à un individu coupable, c'est livrer ce coupable au glaive de tous ceux qu'il a pu outrager; c'est lui donner vingt enemis, vingt bourreaux pour le sauver des mains d'un seul. Sans doute ici, Messieurs, votre mémoire vous rappelle une foule de princes, qui n'ont péri que par cet effet inévitable de l'inviolabilité funeste attachée au pouvoir absolu. Elle vous rappelle les nombreux assassinats, les nombreuses dépositions des princes que leur inviolabilité portait aux plus grands excès. Elle vous rappelle tant de pages sanglantes de l'histoire du Bas-Em

pire, de la Turquie. C'est de la doctrine de ce pays que nos champions de l'inviolabilité veulent infecter les sources pures de notre immortelle constitution.

› Eh! jusqu'où ne portent-ils pas les conséquences de cette doctrine impie! Ils couvrent de son voile même les guerres qu'un prince pourrait entreprendre contre la liberté de son pays. Je le demande ici à un avocat de l'inviolabilité : si le prince, après avoir franchi les frontières, n'était rentré en France qu'à la tête d'une armée étrangère ou rebelle, portant le fer et la flamme partout; s'il avait ravagé nos plus belles contrées; si, arrêté dans sa course furieuse, il eût été pris après plusieurs combats; osez me répondre: qu'en auriez-vous fait? Eussiez-vous invoqué son inviolabilité pour l'absoudre? Oui, me répond froidement un membre d'un comité! Eh bien!.... Allez à Constantinople chercher des fers, y porter votre infâme doctrine : elle révolte ici des hommes libres.... Cet exemple doit vous frapper, Messieurs. S'il est un délit personnel dans un roi où l'inviolabilité ne puisse le soustraire au glaive de la loi, il est clair que les autres crimes qui outragent la société ne peuvent pas davantage lui échapper. Car qui fixera la ligne de démarcation? D'après quelles bases?

>

D'après celles de l'avantage de la société, me répond-on? le maintien de l'ordre est dans l'inviolabilité du roi; si vous le lui ôtez, on l'attaquera tous les jours.

› Je n'ai pas, je l'avoue, l'intelligence assez profonde pour concevoir comment une absurdité, une atrocité, sont des élémens nécessaires d'un bon gouvernement. J'y trouve au contraire la source des plus grands désordres, et l'excuse des plus grands criminels. Rappelez-vous ce mot prononcé par un juge à cette tribune: irai-je, disait-il, condamner un assassin au nom du roi?.... Il me dira: vous me condamnez au nom d'un homme qui a voulu renverser la constitution, couvrir la France de flots de sang, et qui cependant jouit encore du trône....

› Messieurs, sous un régime libre, on ne maintient l'ordre que par l'exemple de l'ordre, la justice que par l'assujétissement personnel à la justice. >

(Ici Brissot cite l'exemple des États-Unis, dont le président ou roi électif est justiciable devant la loi, pouvant être suspendu et condamné pour crime de haute-trahison. Aussi, ajoute-t-il, n'y a-t-il eu aucun président qui ait conspiré contre son pays; ils savent qu'ils seraient infailliblement pendus.

. Brissot passe ensuite à l'Angleterre et dit que tous les publicistes fameux de cette contrée,' Locke, Sidney, Milton, Macaulay, Blackstone, Jones, ont unanimement enseigné que le prince peut être jugé, déposé par la nation, et que son inviolabilité cesse en matière de crime national.

Après avoir ainsi réfuté la maxime anglaise, le roi ne peut mal faire, invoquée par les partisans de l'inviolabilité, et y avoir opposé cet autre axiome du même pays, le roi est soumis à la loi, Brissot énonce avec mépris cette opinion d'Ulpien, qu'on avait également jetée dans cette discussion : l'empereur n'est point obligé d'obéir à la loi. Il combat cette autorité par celle du jésuite Mariana.)

› Le jésuite Mariana a fait, dans le dernier siècle, un livre sur l'institution du roi, où l'on trouve deux chapitres sur la question de savoir si on doit tuer ou empoisonner un tyrqn. Mariana n'en fait aucun doute, et voici la marche qu'il prescrit. Un tyran, dit-il, est une bête féroce qui déchire tout ce qu'elle trouve; et c'est un devoir que d'assassiner une bête féroce. Mais comment s'y prendre avec un tyran! Il faut l'avertir fraternellement de ses fautes; que s'il rejette la médecine, il est incorrigible; la république doit prononcer qu'il est déchu de la royauté; s'il s'oppose à la sentence, il faut le déclarer ennemi public, et le détruire. par tous les moyens.

› Observez que Mariana écrivait ces leçons sur le tyrannicide, sous le prince le plus despote, sous Philippe II. >

(Brissot poursuit en établissant que ni la déposition, ni la mise en jugement d'un roi, n'infirment en rien la royauté elle-même. Il le prouve par les Juifs dont le Sanhedrin jugeait et condamnait les rois; par les Spartiates, par notre propre histoire. Après cela, il aborda la dernière objection.-(Le Moniteur a extrait

de ce discours toute cette dernière partie, moins la conclusion.) Les puissances étrangères vont fondre sur vous, nous dit-on. Je le veux; mais si, cédant à ce motif, vous oubliez vos principes, votre dignité, la constitution, pour ne plus voir qu'un danger extérieur, en ce cas, hâtez-vous de déchirer cette constitution: vous n'en êtes plus dignes, vous ne pouvez plus en défendre aucune partie. Croyez-vous en effet que si vos ennemis parviennent une seule fois à vous commander votre propre déshonneur, croyez-vous qu'ils s'arrêteront à ce premier pas? Non. Ils vous forceront à établir le projet des deux chambres, ce sénat héréditaire, partout le complice et l'appui du despotisme; ils vous forceront à ressusciter cette funeste noblesse, à côté de laquelle une constitution ne peut se maintenir; ils vous forceront à rendre au roi une partie de son autorité absolue; enfin, à quoi ne vous forceront-ils pas? Quel sera le terme de leurs demandes insolentes et de vos lâches faiblesses? Osez le fixer; osez dire qu'arrivés à ce terme, vous aimerez mieux combattre et périr que de ceder. Eh bien! puisque vous ne pouvez évitér, en cédant une seule fois, ou de retomber, de degré en degré, dans l'esclavage, ou d'être obliges de combattre, ayez donc le courage d'étre grands, d'ètre fiers, d'être inébranlables, au premier pas, à la première demande audacieuse.

› Les Romains avaient pour principe invariable de ne jamais négocier avec leurs ennemis que ceux-ci n'eussent mis bas les arines..... Et vous, vous craindriez des ennemis qui sont encore à les prendre contre vous! vous flechiriez par la frayeur de vains fantômes! Mais que ceux qui redoutent ou feignent de redouter ces fantômes, osent les envisager; qu'ils essaient de les toucher; qu'ils voient ce qu'ils sont, ce que vous êtes, et les frayeurs disparaîtront.

> Qui êtes-vous? Un peuple libre ; et on vous menace de quelques brigands couronnés et de meutes d'esclaves! Athènes et Sparte ont-ils jamais craint les armées innombrables que les despotes de la Perse trainaient à leur suite? A-t-on dit à Miltiade, à Cimon, à Aristide, recevez un roi ou vous périrez? Ils auraient

[ocr errors][ocr errors]
« PreviousContinue »