Page images
PDF
EPUB

dans des cas plus graves, on ne l'avait pas prononcée; c'est ainsi qu'on a appelé en Angleterre, des conventions nationales quand on les a crues propres à faire réussir les desseins des hommes do. minans, et que, dans le cas où la liberté publique a été véritablement attaquée, on a laissé régner tranquillement celui qui l'avait plus heureusement tenté. Ce n'est pas là le système que nous avons admis; nous avons voulu que dans nos lois politiques, comme dans nos lois civiles, tout, autant qu'il était possible, fût prévu; nous avons voulu annoncer la peine en déterminant d'abord le délit ; nous avons voulu ôter, s'il était possible, tout à l'arbitraire, et asseoir dans un pays plus sujet aux révolutions, parce qu'il est plus étendu, asseoir une base stable qui pût prévenir ou maîtriser les événemens, et soumettre à la loi constitutionnelle même les révolutions. Ne nous défions donc pas de cette règle, car elle est bonne : nous n'avons cessé de la suivre pour les individus; observons-la donc aujourd'hui pour le monarque! Nos principes, la constitution, la loi, déclarent qu'il n'est pas déchu; c'est donc entre la loi sous laquelle nous devons vivre, entre l'attachement à la constitution et le ressentiment contre un homme, qu'il s'agit de prononcer. Or, je demande aujourd'hui à celui de vous tous qui pourrait avoir conçu contre le chef du pouvoir exécutif toutes les préventions, tous les ressentimens les plus profonds et les plus animés; je lui demande de nous dire s'il est plus irrité contre lui qu'attaché à la loi de son pays! Et remarquez que cette différence, naturelle à l'homme libre, entre l'importance des lois et l'importance des hommes; que cette différence doit surtout s'établir relativement au roi dans une monarchie libre et représentative: il me semble que vous eussiez fait une grande faute si, lorsque constituant une monarchie héréditaire, et consentant par conséquent à recevoir des mains de la naissance ou du hasard celui qui devait exercer la première place, vous aviez laissé une grande importance au choix et à la qualité de l'homme. Je conçois que partout où la volonté du peuple donne un gage de la capacité, partout où la responsabilité oblige l'officier public à exercer ses fonctions, ou le punit de l'avoir en

freinte, il est nécessaire que les qualités personnelles agissent de concert avec la loi; mais, ou bien vous avez fait une constitution vicieuse, ou celui que le hasard de la naissance vous donne, et que la loi ne peut pas atteindre, ne peut pas être important par ses actions personnelles au salut du gouvernement, et doit trouver dans la constitution le principe de sa conduite et l'obstacle à ses erreurs. S'il en était autrement, Messieurs, ce ne serait pas dans les fautes du roi que j'apercevrais le plus grand danger; ce serait dans ses grandes actions; je ne me méfierais pas tant de ses vices que de ses vertus; car je pourrais dire à ceux qui s'exhalent avec une telle fureur contre l'individu qui a péché, je leur dirais: Vous seriez donc à ses pieds si vous étiez contens de lui! (Applaudissemens prolongés.).

Ceux qui veulent ainsi sacrifier la constitution à leur ressentiment pour un homme me paraissent trop sujets à sacrifier la liberté par enthousiasme pour un autre; et puisqu'ils aiment la république, c'est bien aujourd'hui le moment de leur dire : comment voulez-vous une république dans une nation où vous vous flattez que l'acte toujours facilement pardonné d'un individu qui a en lui-même de grands moyens de justification, que l'acte d'un individu qui, quoiqu'on juge en lui certaines qualités, avait eu long-temps l'affection du peuple; quand vous vous êtes flattés, dis-je, , que l'acte qu'il a commis, pourrait changer notre gouvernement, comment n'avez-vous pas craint que cette même mobilité du peuple, ému par l'enthousiasme envers un grand homme, par la reconnaissance des grandes actions, car la nation française, vous le savez, sait bien mieux aimer qu'elle ne sait haïr (vifs applaudissemens)! ne renversât en un jour votre absurde république; comment, leur dirai-je, vous avez en ce moment fondé tant d'espérances sur la mobilité de ce peuple, et vous n'avez pas senti que, si votre système pouvait réussir, dans cette même mobilité était le principe de sa destruction; que bientôt le peuple, agité dans un autre sens, aurait établi à la place de la monarchie constitutionnelle que vous aurez détruite, la plus terrible tyrannie, celle qui est établie contre la loi, créée par

l'aveuglement! (Applaudissemens.) Vous avez cru que le peuple changerait aujourd'hui sa constitution par une impression momentanée, et vous avez cru que ce conseil exécutif, faible par son essence, divisé incessamment entre ceux qui en formeraient le nombre, opposé à tous égards à l'instinct de la nation, qui est tout entière pour l'égalité, et toujours prête à s'insurger contre ce qui lui présenterait le simulacre d'une odieuse oligarchie; que ce conseil, établissant dans le royaume le désordre de l'anarchie par la débilité de ses moyens et par la division de ses membres, résisterait long-temps aux grands généraux, aux grands orateurs, aux grands philosophes qui présenteraient à la nation la puissance protectrice du génie contre les abus auxquels vous l'auriez livrée; vous avez cru que la nation, par un mouvement momentané, détruirait la royauté, et vous n'avez pas senti que, s'il en était ainsi, elle rétablirait un jour la tyrannie pour se défaire des troubles et de l'état humiliant dans lequel vous l'auriez plongée jusqu'à la déchéance! Il est donc vrai que la constitution veut que le roi soit inviolable, et que dans un cas non prévu il ne soit pas déchu du trône; il est donc vrai que tout homme vraiment libre veut exclusivement ce qu'a prononcé la constitu tion! Mais je conviens en ce moment de laisser la constitution de côté; je veux parler dans la révolution; je veux examiner s'il est à regretter que la déchéance ne s'applique pas à la conduite du roi; et je dis du fond de ma pensée, je dis affirmative

ment non.

Messieurs je ne chercherai point ici des motifs de résolution dans ceux qu'on a voulu nous supposer. On a dit dans cettę tri-l bune, on a imprimé ailleurs que la crainte des puissances étran gères avait été le motif de circonstance qui avait déterminé les comités en faveur du décret qu'ils vous ont proposé; cela est faux, calomnieusement faux. Je déclare que la crainte des puissances étrangères ne doit point influencer nos opérations; je: déclare que ce n'est point à nous à redouter des débats avec les rois, qui, peut-être, par les circonstances, ne seraient pas heureux pour nous, mais qui seront toujours menaçans pour eux. Quelque

exemple qu'on puisse donner des peuples devenus libres par leur énergie, et rétablis sous le joug par la coalition des tyrans, une telle issue n'est point à craindre pour nous; des secousses trop répétées ont fait pénétrer jusqu'au fond du peuple l'amour et l'attachement à la révolution; on ne change plus l'état des choses, on ne rétablit plus des usurpations et des préjugés quand une telle masse s'est émue, et quand elle a dit tout entière : je sais être libre; je veux être libre, et je serai libre! Cela est profondément vrai en politique, comme juste en philosophie, et, si on le veut, comme pompeux en déclamation. Il est parfaitement vrai que si quelque puissance voulait nous ôter notre liberté, il pourrait en résulter des désastres passagers pour nous, de grandes plaies pour l'humanité, mais qu'en dernière analyse la victoire nous est assurée; aussi n'est-ce pas là, Messieurs, le motif révolutionnaire du décret. Ah! ce n'est pas notre faiblesse que je crains; c'est notre force, nos agitations, c'est le prolongement indéfini de notre fièvre révolutionnaire.

On a rappelé ailleurs et dans cette tribune les inconvéniens de détail de tout autre parti que celui qui, après la constitution achevée, la proposerait au roi pour l'accepter librement: on a assez bien établi que des régens passés en pays étrangers, éloignés de tout temps de la révolution, remplaceraient mal le monarque que vous auriez éloigné; on a parfaitement établi qu'éloigner la régence de ceux à qui la constitution l'a donnée, après en avoir éloigné la royauté, serait créer autant de partis qu'on aurait exclu d'hommes appelés par la constitution; on à trèsbien prouvé qu'un conseil exécutif de régence ou de surveillance mis à leur place, augmenterait le mal au lieu d'y remédier, que les ennemis ou plutôt les chefs du parti contre-révolutionnaire en deviendraient plus nombreux, que la nation se diviserait ellemême, et que le pouvoir exécutif remis en de débiles mains n'aurait aucun effet sur eux; que si ce conseil était pris dans l'assemblée nationale, la révolution paraîtrait n'être plus l'ouvrage que de l'ambition de ceux qui auraient voulu s'y faire porter; que l'assemblée nationale perdrait l'estime, et que ceux qu'elle

aurait placé à la tête du gouvernement auraient par-là même perdu la force; que si le conseil était choisi au dehors de cette assemblée, il serait possible sans doute d'y recueillir des hommes capables de gouverner, mais il ne le serait pas autant d'y retrouver des hommes assez connus dans la révolution, ayant pu attacher sur eux l'attention publique, ayant pu conquérir la confiance par une longue suite d'actes connus; de sorte que le second conseil serait encore plus fragile que le premier. On a trèsbien établi ces faits; mais je les prends en masse, et je dis : tout changement est aujourd'hui fatal; tout prolongement de la révolution est aujourd'hui désastreux. La question, je la place ici, et c'est bien là qu'elle est marquée par l'intérêt national : allonsnous terminer la révolution, allons-nous la recommencer? Si vous vous défiez une fois de la constitution, où sera le point où vous vous arrêterez, et où s'arrêteront surtout nos successeurs? J'ai dit que je ne craignais pas l'attaque des nations étrangères et des Français émigrés; mais je dis aujourd'hui, avec autant de vérité, que je crains la continuation des inquiétudes, des agitations qui seront toujours au milieu de nous tant que la révolution ne sera pas totalement et paisiblement terminée : on ne peut nous faire aucun mal au-dehors, mais on nous fait un grand mal au-dedans, quand on nous agite par des pensées funestes, quand des dangers chimériques, créés autour de nous, donnent, au milieu du peuple, quelque consistance et quelque confiance, aux hommes qui s'en servent pour l'agiter continuellement; on nous fait un grand mal quand on perpétue ce mouvement révolutionnaire qui a détruit tout ce qui était à détruire, qui nous a conduits au point où il fallait nous arrêter, et qui ne cessera que par une détermination paisible, une détermination commune, un rapprochement, si je puis m'exprimer ainsi, de tout ce qui peut composer à l'avenir la nation française. Songez, Messieurs, songez à ce qui se passera après vous! Vous avez fait ce qui était bon pour la liberté, pour l'égalité; aucun pouvoir arbitraire n'a été épargné; aucune usurpation de l'amour-propre ou des propriétés n'est échappée, vous avez rendu tous les hommes égaux

[merged small][ocr errors]
« PreviousContinue »