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conseil, qui, tenant ses pouvoirs du peuple, inspire la confiance au peuple. Nous leur prouverons que cette forme, loin d'altérer la constitution française, est conforme à cette constitution, conforme à ses bases essentielles; nous leur prouverons qu'ils ont toujours ignoré ou feint d'ignorer ces bases; qu'ils ont constamment déliré ou trompé dans leurs accusations contre le républicanisme; qu'en calomniant, sous ce mot vague, le gouvernement représentatif, ils calomnient la constitution française; nous leur prouverons que ceux qu'ils appellent républicains, sont les plus fermes défenseurs de cette constitution; nous leur prouverons enfin que le mode du conseil électif déjà présenté dans cette tribune, est le seul capable de ramener la confiance dans le pouvoir exécutif, et par conséquent, sa force, et par conséquent 'a paix et l'harmonie ; tandis que le mode proposé par eux n'est propre qu'à couvrir d'opprobre le peuple français, en semant la discorde et l'anarchie.

Alors, Messieurs, dans cette discussion solennelle qui, je l'espère, aura lieu dans cette assemblée, disparaîtra completement le mal-entendu qui divise les patriotes; mal-entendu qu'entretiennent l'artifice et les calomnies de nos ennemis, et dont un mot peut d'avance détruire tout le poison.

Que veulent ceux qui s'élèvent ici contre les républicains? Craignant l'anarchie, la voyant dans les assemblées tumultueuses, ils redoutent, ils détestent les démocraties tumultueuses d'Athènes et de Rome; ils redoutent la division de la France en républiques fédérées ; ils ne veulent que la constitution française, la constitution représentative: ils ont raison. Que veulent de leur côté ceux qu'on appelle républicains? Ils craignent, ils rejettent galement les démocraties tumultueuses d'Athènes et de Rome; ils redoutent également les quatre-vingt-trois républiques fédérées; ils ne veulent que la constitution représentative, homogène de la France entière.... Nous sommes donc tous d'accord; nous voulons tous la constitution française,

› La seule question qui nous divise en apparence, se réduit à ceci : Le chef du pouvoir exécutif a trahi ses sermens, a perdu

la confiance de la nation. Ne doit-on pas, si on le rétablit ou si on le remplace par un enfant, les investir d'un conseil électif qui inspire la confiance, si nécessaire dans ces momens de troubles?

› Les patriotes disent oui ; ceux qui veulent disposer ou d'un roi méprisé ou de son faible successeur, disent non, et crient au républicanisme! afin qu'on ne crie pas contre eux à la liste civile! Voilà, messieurs, tout le mystère; voilà la clef de cette accusation ridicule de républicanisme. Ce n'est donc ici qu'un combat entre les principes et une ambition cachée entre les amis de la constitution et les amis de la liste civile.

› Mais avant de discuter quel mode de emplacement est le meilleur, il est indispensable d'examiner si le roi sera jugé; car, s'il ne l'est pas, la deuxième discussion devient inutile.

› Je reviens donc à la seule question que je me suis proposé de traiter aujourd'hui. Je vous devais ce préliminaire pour rassurer la fraternité qui nous unit tous, pour dissiper les angoisses que ressentaient ceux qui croyaient voir la violation de nos principes constitutionnels, dans l'approbation ou dans l'improbation des principes républicains, et qui gémissaient de ce schisme.

› Le roi sera-t-il jugé? Cette question en offre deux : Peut-il être, doit-il être jugé? Les comités soutiennent qu'il ne le peut pas, qu'il ne le doit pas ; ils s'appuient, au premier égard, sur l'inviolabilité du roi; au second, sur la crainte des puissances étrangères : c'est à ces deux argumens que je vais m'attacher. Je viens d'abord à celui de l'inviolabilité.

› M. Pétion avait bien raison de vous dire qu'il ne concevait pas comment cette question en faisait une; car à consulter le bon sens, la déclaration des droits, la constitution, les usages des peuples libres, ceux de nos ancêtres, les opinions des auteurs les plus estimés, un roi criminel inviolable est la monstruosité la plus révoltante.

› Nous ne parlons pas de l'inviolabilité constitutionnelle, de celle à l'aide de laquelle un roi ne répond point de ses actes administratifs. Cette irresponsabilité est décrétée; elle ne peut donc être contestée : quoique ce ne soit qu'une fiction, elle n'est pas

dangereuse, parce que ces sortes d'actes devront être contresignés par un ministre responsable: le peuple a toujours un garant sous la main.

› Mais on veut appliquer cette inviolabilité à tous les actes extérieurs et personnels du roi on veut qu'il soit inviolable, soit qu'il attente ouvertement aux droits et à la sûreté des individus, soit qu'il attaque à main armée la liberté de son pays.

› Cette doctrine prouve le danger d'introduire des fictions dans les constitutions: on a dit d'après les Anglais : le roi ne peut faire du mal comme roi; donc il est inviolable. Et dès courtisans, et les valets des rois en concluent que le roi ne peut pas faire de mal comme individu, et que par conséquent qu'il ne peut jamais être ni jugé ni púni, quoique dans la réalité il commît les crimes les plus affreux. Si, disent-ils, vous admettez son infaillibilité comme roi, pourquoi ne l'admettriez-vous pas comme homme? C'est toujours le même homme, et la seconde fiction ne choque pas plus que la première.

› Je ne viens point justifier ici la première inviolabilité; je m'y soumets, elle est décrétée; mais je soutiens que si l'on admet la seconde, il n'y a plus ni principes, ni déclaration de droits, ni souveraineté de la nation, ni constitution, ni liberté.

› Le bon sens veut en effet que la peine suive le délit ; et ne pas appliquer la peine là où est le délit, c'est l'encourager. Le bon sens veut qu'un homme ne soit pas déclaré impeccable, lorsqu'il n'est qu'un homme, et qu'il ne soit pas déclaré impunissable, lorsque le ciel ne l'a pas fait impeccable. Les Égyptiens qui croyaient aussi la royauté un élément nécessaire du gouvernement, mais qui voulaient se délivrer du mal que les rois animés leur faisaient, les avaient remplacés par une pierre qu ils mettaient sur le trône. Les Scicks y mettent l'alcoran et un sabre, et vivent en républicains. Si la pierre et l'alcoran sont impunissables, ils sont au moins impeccables; ils ne conspirent pas contre la nation.

› La déclaration des droits veut que tous les citoyens soient égaux devant la loi. Or, cette égalité n'existe plus du moment qu'un homme est au-dessus de la loi, et la déclaration des droits

s'anéantit insensiblement dans tous les articles, du moment qu'on a l'audace d'en fouler un seul aux pieds.

> La souveraineté de la nation ne reconnaît personne au-dessus d'elle. Or, si un homme a le privilége de conspirer contre la nation sans pouvoir être puni, il est clair que cet être privilégié est le souverain, et que la nation est son esclave.

> Je ne vois plus en lui qu'un Dieu, et vingt-cinq millions de brutes ou de serfs dans les prétendus citoyens.

>La constitution veut que tous les pouvoirs dérivent du peuple, que tous soient subordonnés au peuple. Or, l'inviolabilité universelle et perpétuelle d'un homme ne peut dériver du peuple : car il ne peut faire plus grand que lui; et faire quelqu'un plus grand que lui, c'est renverser cette subordination où tous les délégués du peuple doivent être à son égard.

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La constitution dit : la nation, la loi et le roi, et les partisans de l'inviolabilité placent le roi d'abord; et, non pas à côté, mais au-dessous, la nation et la loi. Ainsi, admettez l'inviolabilité absolue, et il faut changer ce bel ordre d'élémens politiques qui vous a couverts de gloire aux yeux de l'univers.

› La liberté de faire ne connaît de limites que le droit d'autrui. Or, du moment où un individu a le privilege de franchir toutes les limites à l'égard des autres, et d'empêcher qu'on ne les franchisse au sien, il est clair qu'il n'y a plus ni liberté ni justice; car liberté et justice supposent réciprocité de droits et de devoirs. Or, ici les droits sont tous d'un côté, et les devoirs de l'autre, Mais si l'inviolabilité du roi renverse le bon sens, la déclaration des droits, la souveraineté de la nation, la constitution, la liberté, il est évident qu'elle n'est, ni ne peut être dans la constitution; il est évident que ceux qui la défendent sont les ennemis du peuple, de la constitution et de la liberté; il est évident que si leur système était admis, il renverserait insensiblement toutes ces bases; car en matière de constitution, un mal en amène toujours dix autres qui se greffent sur le premier.

» Nos adversaires conviennent que cette inviolabilité absolue n'est pas encore écrite; mais ils disent qu'il est nécessaire qu'elle

le soit, et qu'elle dérive de l'inviolabilité administrative. On a déjà vu la différence qui régnait entre ces deux inviolabilités; et, parce qu'on s'est paralysé un bras, il ne s'ensuit pas qu'il soit bon de se par lyser les autres membres.

> Eh! peut-on calculer tous les maux qu'entraînerait un pareil privilege d'inviolabilité absolue? Je ne parle pas des fantaisies féroces ou crapuleuses qui peuvent souiller l'âme d'un prince sûr de l'impunité; je ne rappelle pas les goûts de ce prince qui, sans être cependant roi, s'amusait à tuer les hommes comme des lièvres, et de tant d'inviolables despotes, tant de Tihères, tant de Nérons, qui, pour leurs menus-plaisirs, plongeaient dans les cachots des milliers d'infortunés, et forçaient les hommes les plus vertueux d'avaler la mort avec le poison.

› Mais je ferai une seule question à un de ces intrépides avocats de l'impunité couronnée que dirait-il, si le roi, dans ses ébats, violait sa femme, en'evait sa fille, volait son argent, bralait sa maison, menaçait sa vie? Lui dirait-il, seigneur, que votre volonté soit faite?.... Le plus là he des esclaves rougirait de ce langage. Lui citerait-il la loi? Elle n'est pas faite pour un roi. Repousserait-il à main armée son offense? C'est un inviolable, c' st l'oint du Seigneur. Il faut donc ici, ou être le plus vil des hommes, ou violer un inviolable, puisque la loi n'osera pas le punir.... Comme on s'embarrasse, comme on s'égorge soimême, quand on abandonne le bons sens, la nature et les droits de l'homme! On égorge celui qu'on veut favoriser avec des priviléges aussi contraires à tous. Car défendre au glaive de la loi de toucher à un individu coupable, c'est livrer ce coupable au glaive de tous ceux qu'il a pu outrager; c'est lui donner vingt enemis, vingt bourreaux pour le sauver des mains d'un seul. Sans doute ici, Messieurs, votre mémoire vous rappelle une foule de princes, qui n'ont péri que par cet effet inévitable de l'inviolabilité funeste attachée au pouvoir absolu. Elle vous rappelle les nombreux assassinats, les nombreuses dépositions des princes que leur inviolabilité portait aux plus grands excès. Elle vous rappelle tant de pages sanglantes de l'histoire du Bas-Em

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