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purs, et qui les éloignent de ces passions factices qui font les révolutions des gouvernemens; ils ont vu un gouvernement républicain établi sur ce vaste territoire : ils ont conclu de là que le même gouvernement pouvait nous convenir. Ces hommes, dont j'ai déjà annoncé que je n'attaquais pas les intentions, ces hommes sont les mêmes qui contestent aujourd'hui le principe de l'inviolabilité. Or, s'il est vrai que sur notre terre une population immense est répandue; s'il est vrai qu'il s'y trouve une multitude d'hommes exclusivement occupés à ces spéculations de l'esprit qui exercent l'imagination, qui portent à l'ambition et à l'amour de la gloire; s'il est vrai qu'autour de nous des voisins puissans nous obligent à ne faire qu'une seule masse pour leur résister avec avantage; s'il est vrai que toutes ces circonstances sont positives et ne dépendent pas de nous, il est incontestable que le remède n'en peut exister que dans le gouvernement monarchique. Quand le pays est peuplé et étendu, il n'existe, et l'art de la politique n'a trouvé que deux moyens de lui donner une existence solide et permanente: ou bien vous organiserez séparément les parties, vous mettrez dans chaque section une portion de gouvernement, et vous fixerez ainsi la stabilité aux dépens de l'unité, de la puissance et de tous les avantages qui résultent d'une grande et homogène association; ou bien, si vous laissez subsister l'union nationale, vous serez obligés de placer au centre une puissance immuable qui, n'étant jamais renouvelée que par la loi, présentant sans cesse des obstacles à l'ambition, résiste avec avantage aux secousses, aux rivalités, aux vibrations rapides d'une population immense, agitée par toutes les passions qu'enfante une vieille société.

La solidité de ces maximes étant reconnue, décide notre situation. Nous ne pouvons être stables dans notre existence politique que par un gouvernement fédératif, qu'aucun, jusqu'à ce jour, n'a soutenu dans cette assemblée que la division en quatre-vingttrois départemens a été destinée à prévenir, et suffit seule pour rendre absurde, et qu'il est, je pense, inutile de repousser; ou par le gouvernement monarchique que vous avez établi, c'est-à

dire en remettant les rênes du pouvoir exécutif dans une famille, par droit de succession héréditaire.

La liberté trouve son origine dans les mêmes principes. On vous a hier développé, d'une manière savante et qu'il est utile de mettre sous vos yeux, cette indépendance des deux pouvoirs, qui est la première base du gouvernement représentatif et monarchique. Là, le peuple, qui ne peut lui-même faire ses lois, qui ne peut lui-même exercer ses pouvoirs, les mettant entre les mains de ses représentans, se dépouille ainsi passagèrement de l'exercice de sa souveraineté, et s'oblige de le diviser entre eux; car il ne conserve sa souveraineté qu'en en divisant l'exercice entre ses délégués, et, s'il était possible qu'il la remît tout entière dans un individu ou dans un corps, dès-lors il s'ensuivrait que son pouvoir serait aliéné. Tel est donc le principe du gouvernement représentatif et monarchique; les deux pouvoirs réunis se servent mutuellement de complément, et se servent aussi de limite. Non-seulement il faut que l'un fasse les lois et que l'autre les exécute, celui qui exécute doit avoir un moyen d'opposer son frein à celui qui fait la loi, et celui qui fait la loi doit avoir un moyen de soumettre l'exécution à la responsabilité : c'est ainsi que le roi a le droit de refuser la loi ou de la suspendre, en opposant sa puissance à la rapidité, aux entreprises du corps-législatif; c'est ainsi que le pouvoir législatif, en poursuivant les écarts de la puissance exécutrice contre les agens nommés par le roi, leur fait rendre compte de leur gestion, et prévient les abus qui pourraient naître de leur impunité.

De cette combinaison savante de votre gouvernement, il est résulté une conséquence: ce pouvoir dispensé au roi de limiter le pouvoir législatif devant nécessairement le rendre indépendant, devant par conséquent le rendre inviolable, il a fallu, quand la loi mettait en lui non-seulement la sanction, mais aussi l'exécution, il a fallu en séparer de fait cette dernière partie, parce qu'elle est par sa nature nécessairement soumise à la responsabilité.

Ainsi vous avez laissé au roi inviolable cette exclusive fonc

tion de donner la sanction et de nommer les agens; mais vous avez obligé par la constitution les agens nommés par le roi à remplir pour lui les fonctions exécutives, parce que ces fonctions nécessitent la critique et la censure, et que le roi devant être indépendant pour la sanction, devant être par conséquent personnellement inattaquable, devenait incapable de les remplir. Vous avez donc toujours agi dans les principes d'indépendance des deux pouvoirs; vous avez donc toujours agi dans la considé ration de cette nécessité indispensable de leur donner mutuellement les moyens de se contenir. J'ai dit que la stabilité et la liberté étaient le double caractère de tout bon gouvernement; l'un et l'autre exigent impérieusement l'inviolabilité. S'il est vrai que pour être indépendant le roi doit être inviolable, il n'est pas moins vrai qu'il doit l'être pour la stabilité, puisque c'est cette maxime qui, le mettant à couvert de tous les efforts des factieux, le maintient à sa place, et maintient avec lui le gouvernement dont il est le chef.

Telle est dans son objet cette inviolabilité essentielle au gouvernement monarchique. Voyons quelle est sa nature et quelles sont ses limites: les voici très-clairement à mes yeux.

La responsabilité doit se diviser en deux branches, parce qu'il existe pour le roi deux genres de délits : le roi peut commettre des délits civils; le roi peut commettre des délits politiques. Quant au délit civil (j'observe que cela est hors du cas que nous traitons maintenant); quant au délit civil, il n'existe aucune espèce de proportion entre l'avantage qui résulte pour le peuple de sa tranquillité conservée, de la forme de gouvernement maintenue, et l'avantage qui pourrait résulter de la punition d'une faute de cette nature. Que doit alors le gouvernement au maintien de l'ordre et de la morale? Il doit seulement prévenir que le roi qui a fait un délit grave ne puisse le répéter; mais il n'est pas obligé de sacrifier évidemment le salut du peuple et le gouvernement établi à une vindicte particulière. Ainsi donc, pour le délit civil du monarque, la constitution ne peut établir sagement qu'un remède: je veux dire la supposition de démence.

Par-là, sans doute, elle jette un voile sur un mal passager ; mais par-là, en prévenant par les précautions que la démence nécessite, la répétition du délit, elle conservé la forme du gouvernement, et assure au peuple la paix, qui, dans une hypothèse opposée, pourrait être troublée à tout moment, non-seulement par les jugemens, mais même par les accusations auxquelles le prince serait en butte.

Quant au délit politique, il est d'une autre nature, et je remarquerai seulement ici que nos adversaires se sont étrangement mépris sur ce point; car ils ont dit que c'était sur l'exercice du pouvoir exécutif que portait l'inviolabilité. Il est parfaitement vrai que c'est sur cette seule fonction-là qu'il n'y a pas d'inviolabilité; il ne peut pas exister d'inviolabilité sur les fonctions du pouvoir exécutif, et c'est pour cela que la constitution rendant le roi inviolable, l'a absolument privé de l'exercice immédiat de cette partie de son pouvoir. Le roi ne peut pas exécuter, aucun ordre exécutif ne peut émaner de lui seul; le contre-seing est nécessaire. Tout acte exécutif qui ne porte que son nom est nul, sans force, sans énergie; tout homme qui l'exécute est coupable. Par ce seul fait, la responsabilité existe contre les seuls agens du pouvoir; ce n'est donc pas là qu'il faut chercher l'inviolabilité relativement aux délits politiques, car le roi ne pouvant agir en cette partie, ne peut pas délinquer.

La véritable inviolabilité du délit politique est celle qui porte sur des faits étrangers à ses fonctions exécutives et constitutives. Cette inviolabilité-là n'a qu'un terme : c'est la déchéance. Le roi ne peut cesser d'être inviolable qu'en cessant d'être roi; la constitution doit prévoir le cas où le pouvoir exécutif devient incapable et indigne de gouverner; la constitution doit prévoir les cas de déchéance, doit clairement les caractériser; car s'il n'en était pas ainsi, le roi, essentiellement indépendant, deviendrait dépendant de celui qui jugerait la déchéance.

J'examinerai bientôt ce moyen de convocation nationale que l'Angleterre a momentanément adopté, par la raison que sa constitution, qui a été faite par les événemens, n'a jamais prévu

les cas qui n'étaient pas encore arrivés, par la raison que, n'ayant pas un gouvernement de droit, mais de fait, elle est obligée de tirer toujours ses lois des circonstances; j'examinerai, dis-je, bientôt ce mode des conventions nationales, qui peut avoir peu de danger dans un pays tel que l'Angleterre, mais qui chez nous les présente en foule.

Je dis que parmi nous l'inviolabilité des délits politiques ne peut avoir de terme que par la déchéance; que la déchéance ne peut arriver que par un cas prévu par la constitution, et formellement énoncé par elle; de sorte que, le cas échéant, le jugement soit prononcé par la loi même.

Si ce sont là les principes que nous avons admis jusqu'à ce jour, et qui doivent déterminer notre décision, il est facile de les appliquer à la circonstance.

On a parfaitement démontré que les actes commis par le roi ne présentaient pas le cas de déchéance prévu par la constitution, et ne présentaient non plus aucune abdication. Que résulte-t-il de là? Que si l'acte commis par le roi était en lui-même un délit (ce que je n'examinerai pas; M. Salles m'en a dispensé), la loi, ne l'ayant pas prévu, ne peut pas y être appliquée; la déchéance n'a pas lieu ; l'inviolabilité demeure dans sa plénitude.

Ici se présente directement l'argument qu'a fait M. Buzot sur l'exemple de l'Angleterre, la constitution anglaise n'a point prévu les cas de déchéance; mais la nation la prononce lorsque les événen ens semblent la solliciter. Ici je répète ma réponse : la constitution anglaise n'a pas prévu ce cas, parce qu'elle n'a prévu aucun cas; il n'existe en Angleterre aucune constitution écrite ; il n'existe en Angleterre aucun usage permanent en cette partie; chaque fois que l'État essuie une crise, qu'il se présente une nouvelle combinaison d'événemens politiques, alors les partis qui dominent, alors ceux qui ont plus d'influence dans la nation, alors la conjoncture actuelle détermine le parti qu'on prend, et le mode par lequel on arrive à l'adopter : c'est ainsi que dans certains cas on a prononcé la déchéance pour des méfaits qui peut-être ne l'avaient pas méritée, et que plus anciennement,

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