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poignarder, me chasser de la France tout au moins, avant que je laisse parmi nous l'administration suprême, sous quelque forme que ce puisse être, passer dans les mains de plusieurs. (La majorité de l'assemblée applaudit à plusieurs reprises.) Ces propositions, Messieurs, sont donc contre- révolutionnaires, Elles ont cependant été affichées avec profusion dans toutes les rues; on en a agité toutes les sociétés; des journalistes les impriment et les établissent dans toutes leurs feuilles : en conclu. rons-nous, Messieurs, que leur intention est d'établir cette constitution nouvelle, c'est-à-dire de faire cette contre-révolution par des moyens violens? Non, Messieurs, ces hommes, dange reux sans doute, ne sont pas encore des factieux, et ils le seraient si telle était leur intention. Ils veulent le bien, soit; ils ne veulent d'autre arme que la raison, soit encore; mais pourquoi prétendent-ils que Louis XVI n'a pas pu vouloir user des mêmes moyens qu'eux pour opérer les changemens qu'il méditait? Qu'ils soient justes, du moins, s'ils ne veulent pas que nous croyions qu'ils ne poursuivent Louis XVI que par une consé❤ quence de leur funeste système.

Louis XVI trompé, comme se trompent les partisans de tout conseil exécutif quelconque, Louis XVI a pu vouloir, du sein d'une place qui le mettait à l'abri de ce qu'on lui avait dit être la fureur du peuple, faire des observations à l'assemblée; il a pu croire que ses raisons triompheraient; il a pu ignorer qu'on voulait le faire servir à des projets violens; et de ce que la preuve expresse n'est nulle part qu'il ait eu connaissance de ce complot, j'en conclus, moi, qu'il l'a effectivement ignoré.

Je reprends mes conséquences, et je pose d'abord en principe (quoique je sois le partisan de l'inviolabilité absolue; quoique je pense qu'un roi, pour ses actes publics et privés, ne doive pas être poursuivi devant les tribunaux, parce que, la matière des délits étant indivisible, un roi pourrait être accusé pour un délit de police comme pour un assassinat; parce qu'un roi accusé à faux, comme il le serait sans cesse par des factieux, ou par de ces hommes qui se croient grands lorsqu'ils s'attaquent à ce

qu'il y a d'élevé, serait sans cesse dans les liens de quelque décret, et pourrait se trouver éternellement suspendu de ses fonctions, et laisser l'État sans gouvernail); je pose, dis-je, en principe, que je ne crois pas que cette inviolabilité puisse mettre à couvert un roi conspirateur qui quitterait son poste pour se mettre à la tête d'une armée ennemie; un tel coupable ne pourrait, à la vérité, être jugé par les tribunaux tant qu'il n'aurait pas cessé d'être roi; mais dès l'instant qu'un roi agit pour réaliser de tels projets, il cesse de l'être; et, quoique la loi ne soit pas faite, la sainte loi de l'insurrection, préexistante à tout ordre social, donnerait encore le droit de le chasser. Si donc, en effet, le roi était allé se mettre en connaissance de cause à la tête du projet de M. Bouillé, j'opinerais à l'instant pour qu'il fût détrôné; mais cette preuve ne m'est pas acquise, et je m'arrête religieusement à cette raison puissante: seulement, Messieurs, je demanderai que l'assemblée déclare formellement qu'un roi qui quittera son poste pour aller se mettre à la tête d'une armée ennemie, par le seul fait de son action hsotile contre l'État, soit censé avoir abdiqué la couronne.

La seule faute qu'ait commise Louis XVI, est, je le répète, d'avoir protesté contre la constitution. Eh bien! ce cas est, suivant moi, encore un cas de déchéance; et en effet, si un roi qui ne veut pas prêter serment à la constitution lors de son avènement au trône est censé abdiquer, celui qui, ayant prêté ce serment, en vertu duquel seul il est roi, proteste contre, se remet dans le même état où il était avant de l'avoir prêté : il en faut donc tirer la même conséquence. Remarquez cependant, Messieurs, que ce cas n'est pas à comparer à l'autre : le premier réagit sur tous les citoyens; leur vie en est menacée, leur propriété en est troublée; tous les crimes des guerres les plus cruelles en sont la conséquence, et le monstre couronné qui se permet un tel attentat, accumule sur sa tête tous les forfaits, et appelle toutes les vengeances; le second cas, au contraire, est purement personnel au monarque, et ne compromet la sûreté d'aucun individu, lorsqu'il n'est accompagné d'aucune intention

d'action. Je pense 'donc, Messieurs, qu'il faut ici une loi expresse, et je soutiens qu'avant cette loi il est impossible d'agir contre un monarque qui aurait rétracté son serment.

Vainement dirait-on que cela se déduit de la nature des choses; quelque évident que soit un délit, il faut le déclarer tel; il faut surtout lui appliquer positivement une peine avant de pouvoir légalement le réprimer. L'assemblée d'ailleurs, en déclarant deux cas d'abdication, le premier lorsque le roi refuse son serment, le second lorsqu'il fuit à l'étranger, et qu'après la sommation du corps-législatif il laisse écouler les délais; l'assemblée, dis-je, a suffisamment par-là manifesté que, quelque naturelle que soit à cet égard une conséquence, elle entendait cependant la déclarer d'une manière positive: et en effet, Messieurs, le roi est un individu privilégié; il est, par sa position, hors de l'état naturel des choses; et si quelque point n'était pas formellement exprimé, il y aurait dès-lors un extrême embarras pour distinguer le cas où cet état naturel des choses lui serait applicable. Il s'ensuit que quelque claire que soit une conséquence par rapport au monarque, il est impossible de lui en faire l'application avant de l'avoir établie en loi.

Ainsi donc, si la loi existait, il n'y aurait pas le moindre doute pour moi. Louis XVI a protesté contre son serment: il serait censé avoir abdiqué; mais cette loi n'existe pas. En concluant, Messieurs, à ce que vous la décrétiez, je dis qu'elle ne peut pas être appliquée au roi.

J'appuie, en conséquence, le projet des comités; et pour que ses principes ne restent pas douteux, je fais la motion expresse que vous décrétiez avant tout les articles suivans:

Art. Ier. Si le roi, après avoir prêté son serment à la constitution, se rétracte, il sera censé avoir abdiqué.

› Art. II. Si le roi se met à la tête d'une armée pour en diriger les forces contre la nation, ou s'il ordonne à ses généraux d'exécuter un tel projet, ou enfin s'il ne s'oppose pas par un acte formel à toute action de cette espèce qui s'exécuterait en son nom, il sera censé avoir abdiqué.

› Art. III. Un roi qui aura abdiqué ou qui sera censé l'avoir fait, redeviendra simple citoyen, et il sera accusable suivant les formes ordinaires pour tous les délits postérieurs à son abdication. >]

Ces articles furent mis aux voix, et décrétés après le discours de Barnave.

Opinion de Barnave. SÉANCE DU 15 JUILLET.

[La nation française vient d'essuyer une violente secousse; mais si nous devons en croire tous les augures qui se manifes tent, ce dernier événement, comme tous ceux qui l'ont précédé, ne servira qu'à presser le terme, qu'à assurer la solidité de la révolution que nous avons faite. Déjà la nation, en manifestant son unanimité, en constatant l'immensité de ses forces au moment de l'inquiétude et du péril, a prouvé à nos ennemis ce qu'ils auraient à craindre du résultat de leurs attaques. Aujour d'hui, en examinant attentivement la constitution qu'elle s'est donnée, elle va en prendre une connaissance approfondie, qu'elle n'eût peut-être pas acquise de long-temps, si les principes de la morale, paraissant en contradiction avec ceux de la politique, si un sentiment profond, contraire dans ce moment à l'intérêt national, n'eût pas obligé l'assemblée à creuser ces grandes et importantes questions, et à démontrer à toute la France ce que savaient déjà par principes ceux qui l'avaient examiné, mais ce que la foule peut-être ne savait pas encore, je veux dire la nature du gouvernement monarchique, quelles sont ses bases, quelle est sa véritable utilité pour la nation à laquelle vous l'avez donné.

La question qui vous est soumise présente évidemment deux aspects différens: la question de fait, la question de droit ou constitutionnelle. Quant à la question de fait, je me crois dispensé de la discuter par le discours éloquent qu'a prononcé à cette tribune celui des opinans (M. Salles) qui a immédiatement avant moi soutenu la même opinion. Je me plais à rendre justice je ne dirai pas seulement à l'étendue des talens, mais à l'âme vé

ritablement noble et généreuse qu'il a développée dans cette grande circonstance; il a, dis-je, suffisamment examiné le fait. Je vais brièvement examiner la loi; je vais prouver que la constitution veut la conclusion que vos comités proposent ; mais je dirai plus, je dirai qu'il est utile dans les circonstances, qu'il est bon pour la révolution que la constitution le commande ainsi. Je ne parlerai point avec étendue de la nature et de l'avantage du gouvernement monarchique; vous l'avez plusieurs fois examiné, et vous avez montré votre conviction en l'établissant dans votre pays. Je dirai seulement: toute constitution, pour être bonne, doit porter sur ces deux principes, doit présenter au peuple ces deux avantages, liberté, stabilité dans le gouvernement qui la lui assure; tout gouvernement, pour rendre le peuple heureux, doit le rendre libre; tout gouvernement, pour être bon, doit renfermer en lui les principes de sa stabilité; car autrement, au lieu du bonheur, il ne présenterait que la perspective d'une suite de changemens. Or, s'il est vrai que ces deux principes n'existent, pour une grande nation comme la nôtre, que dans le gouvernement monarchique; s'il est vrai que la base du gouvernement monarchique et celle de ces deux grands avantages qu'il nous présente sont essentiellement dans l'inviolabilité du pouvoir exécutif, il est vrai de dire que cette maxime est essentielle au bonheur, à la liberté de la France.

Quelques hommes dont je ne veux pas accuser les intentions, à qui même, pour le plus grand nombre, je n'en ai jamais cra de malfaisantes, quelques hommes qui peut-être cherchent à faire en politique des romans, parce qu'il est plus facile de travailler ainsi que de contribuer à l'utilité réelle et positive de son pays, cherchant dans un autre hémisphère des exemples à nous donner, ont vu en Amérique un peuple occupant un grand territoire par une population rare, n'étant environné d'aucuns voisins puissans, ayant pour limites des forêts, ayant toutes les habitudes, toute la simplicité, tous les sentimens d'un peuple presque neuf, presque uniquement occupé à la culture ou aux autres travaux immédiats qui rendent les hommes naturels et

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