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se mettre à la tête des mécontens, j'ajouterai que cette pièce est un monument de perfidie et d'atrocité.

Louis XVI dans son manifeste a protesté contre la constitution. Je n'examine pas si la constitution était ou non achevée; sa conduite ne m'en paraît pas moins condamnable, car enfin à chaque décret constitutionnel il a été libré d'accepter ou de refuser; il a été libre de les comparer entr'eux à mesure qu'ils lui ont été présentés; il savait qu'il serait libre encore de les rejeter à la fin, lorsqu'il en pourrait considérer l'ensemble; rien ne peut le justifier de s'être engagé par ses différentes acceptations, pour manquer ensuite à tous ses engagemens.

Cependant, Messieurs, considérons la position de Louis XVI, et souvenons-nous surtout de cès scènes de scandale où des factieux, excitant peut-être le peuple à des mouvemens désordonnés, se hâtaient d'entourer le roi, armés de pistolets et de poignards, de lui persuader que le peuple en voulait à sa vie, et qu'ils se réunissaient autour de sa personne pour le défendre. Combien est malheureuse la condition d'un roi! Lequel de nous, dans une pareille position, n'aurait pas été la dupe des feintes alarmes de ces lâches courtisans, accoutumés à la souplesse et à la duplicité? N'ont-ils pas pu, les perfides! persuader à Louis XVI que le peuple de Paris était féroce et ne respirait que la mort de son roi; que le peuple des départemens au contraire était bon, et se laissait abuser par des factieux sur les sentimens des Parisiens; que le royaume était plein de mécontens; que la plupart ne restaient attachés à la révolution que parce que, croyant que le roi en était le chef, leur amour pour leur roi les ralliait autour de sa volonté? N'ont-ils pas pu lui dire qu'il fallait qu'il se déclarât pour faire éclater la volonté générale; mais que se déclarer au sein de la capitale, c'était s'exposer et livrer l'État aux horreurs de la guerre civile? N'ont-ils pas pu lui persuader que s'il était libre, sûr de n'être pas attaqué, il pourrait alors s'expliquer sans crainte, et qu'il verrait la grande majorité de la nation adopter tous ses sentimens?

Messieurs, tout cela est possible, et je conçois dans ce système

comment Louis XVI a pu avoir la faiblesse d'accepter malgré lui les décrets constitutionnels. Encore un coup, je ne le justifie pas d'avoir manqué à toutes ses promesses; mais je dis que s'il n'a pas voulu employer le fer et la flamme contre la nation; s'il n'a fait que protester contre son serment; s'il a été engagé par les perfides insinuations de ces hommes pervers qui, ayant eu l'au dace de se dire ses défenseurs et ses amis jusque dans le sein de cette assemblée, ont sans doute eu l'adresse de le lui persuader à lui-même; je dis que dans ce sens, qui n'est pas déraisonnable, Louis XVI serait à plaindre, je dirai tout à l'heure que Louis XVI serait un monstre s'il avait eu le dessein d'employer la force à l'appui de son manifeste.

Louis XVI a protesté contre la constitution; il en donne pour motif entre autres qu'il a trouvé la constitution inexécutable. Je sens, Messieurs, la faiblesse de cette raison; cependant combien de fois ne l'avons-nous pas dit nous-mêmes! Tant que la constitution ne sera pas terminée, la machine éprouvera des frottemens qui en dérangeront les mouvemens; tant que le corps constituant délibérera sur les grands intérêts qui lui sont confiés, la nation s'agitera, Le peuple, qui est appelé par la nature des choses à délibérer pour lui-même, mais qui, dans un empire aussi vaste que le nôtre, en est sagement écarté par notre constitution; le peuple est poussé sans cesse en sens contraire, et porte impatiemment le joug d'une loi qui n'a pas été le résultat des principes, mais seulement le résultat des considérations politiques; le peuple est disposé à l'insurrection tant que dure une convention nationale, et il échappe sans cesse à l'action du gouvernement. Cette théorie, Messieurs, si certaine pour les esprits droits, a difficilement fructifié dans le sein même de cette assemblée: est-il étonnant que le roi ne l'ait pas connue? On lui aura fait croire que l'état actuel des choses serait l'état permanent; on lui aura persuadé que les troubles seraient éternels; et parce qu'en effet les ressorts du gouvernement étaient relâchés dans ses mains pendant la présence du corps constituant, il aurą pensé que le gouvernement était désormais nul pour lui, et que la constitution était inexécutable.

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J'ajoute, Messieurs, que l'assemblée nationale elle-même a dů contribuer à cette erreur. En effet, dans les circonstances où nous nous sommes trouvés, environnés partout des agens de l'ancien régime, qui contrariaient l'exécution des lois nouvelles, nous avons dů, pour le grand bien de la chose, prendre souvent sur nous des actes d'administration; nous avons gouverné; nous avons jugé; nous avons rendu des décrets sur la disposition de la force publique; nous avons fait, en un mot, une foule d'actes bien essentiels sans doute pour l'établissement de la constitution; mais qui n'en étaient pas moins hors de la compétence des législatures. Eh bien! le roi encore se sera laissé persuader que les législatures nous imiteraient, et que son pouvoir lui serait éternellement contesté. Il s'est trompé; il a protesté contre cet ordre de choses; parce que toute l'exécution ne lui était pas encore entièrement remise: il aura dit que la constitution n'était pas exécutable. (Applaudissemens.)

Enfin, Messieurs, en faisant toujours abstraction des moyens que Louis XVI voulait employer pour appuyer son manifeste, et en continuant d'examiner cette pièce en elle-même, je le répète, cette pièce se résout en entier dans une protestation contre la constitution. Eh bien! beaucoup d'autres ont protesté ainsi que lui: près de trois cents membres de cette assemblée ont, tout à l'heure encore, porté l'incivisme jusqu'à imprimer des déclara. tions qui n'ont pas d'autre sens. Comment l'assemblée s'est-elle conduite dans cette circonstance? Elle s'est dit: ces hommes, égarés par leur orgueil et par leurs préjugés, veulent fermer consta...ment leurs coeurs aux bienfaits de la constitution; mais en dépit d'eux la constitution s'achevera; ils la verront enfin dans son ensemble, ils la jugeront, ils verront que les troubles dont ils se plaignent ont bien pu régner pendant qu'elle se faisait, mais qu'ils n'en sont pas les conséquences; ils lui rendront justice alors. Aujourd'hui ce sont des fils égarés qui méconnaissent la patrie parce qu'elle n'a pas pu encore leur faire goûter tous ses charmes; demain la patrie sera tranquille, les citoyens seront paisibles; la constitution sera terininée et solidement établie, et ils l'aimeront parce qu'elle les protégera.

Qu'importent aujourd'hui leurs protestations contre un ouvrage non fini, et qu'ils ne se connaissent pas? qu'importent leurs erreurs? L'essentiel est de finir: alors seulement leurs erreurs seront inexcusables, parce qu'elles seront sans prétexte. Tel a été votre langage, Messieurs, pour ceux de vos collègues qui ont protesté, et qui remplissent dans l'État aujourd'hui un poste plus éminent peut-être que celui du monarque. Par quelle fatalité seriez-vous indulgens pour eux, et réserveriez-vous pour le monarque seul toute votre rigueur, si comme eux il n'a fait que protester contre votre ouvrage, si ce sont eux qui l'ont trompé, si les circonstances, si vous-mêmes, j'ose le dire, avez contribué à son erreur? (Applaudissemens prolongés dans la majorité du côté gauche.)

Cependant, Messieurs, je consens encore d'être rigoureux jusqu'à l'excès, et, ne m'arrêtant à aucune considération, je dirai, si l'on veut, que Louis XVI est coupable pour avoir fait un manifeste, c'est-à-dire pour avoir protesté contre la constitution. Je passe à la troisième question de fait : Louis XVI a-t-il voulu appuyer son manifeste de la force des armes?

Louis XVI, Messieurs, allait à Montmédy; la frontière était ouverte de ce côté à l'invasion de l'ennemi le général Bouillé devait l'environner de l'armée des mécontens. Si Louis XVI a voulu tout cela, je l'ai déjà dit, Louis XVI est un monstre ; mais, Messieurs, c'est d'après les pièces que nous devons juger. Or, je dis qu'il résulte bien des pièces que le roi a donné des ordres à M. Bouillé pour assurer sa fuite, mais qu'il n'est prouvé par aucune (du moins aux yeux d'un juge, et vous êtes des juges dans cette affaire), qu'il n'est nullement prouvé, dis-je, que Louis XVI ait donné des ordres à M. Bouillé de faire contre la France des préparatifs hostiles. Je dis plus; je dis qu'il résulte de la lettre de M. Bouillé, que c'est ce général seul qui a tout disposé, que c'est lui encore qui veut susciter des ennemis à la France, et guider de sa main parricide le poignard jusque dans le sein de sa patrie (1). Il résulte d'une lettre de M. Kin

(1) • Il est à remarquer que M. Bouillé s'avançant vers Varennes à la tête

glin, que M. Bouillé et lui ont tout préparé de concert avec plusieurs complices qu'il nomme, et dont quelques-uns sont arrêtés : le nom du roi, comme principal moteur, ne se trouve dans aucune des pièces saisies chez eux, dans aucune de leurs lettres interceptées. Au milieu de ce silence, sans aucune preuve formelle, lorsqu'il est possible que le roi ait été trompé en effet, conclurons-nous, contre toute règle, et avec plus de rigueur que s'il était question d'un simple particulier, que le roi cependant est le complice du général Bouillé?

Mais à défaut de pièces expresses, nous dira-t-on, le manifeste du roi, joint à sa fuite, prouve assez sa complicité. Le roi dit dans son manifeste qu'il ne veut pas de la constitution; qu'il en veut une autre; qu'il veut régner, et qu'il le veut à cette unique condition, J'adopterai, si l'on veut, toutes les conséquences de ces assertions; j'observerai seulement qu'on peut vouloir une autre constitution sans avoir des projets hostiles, Eh! Messieurs, quels moyens ne nous donneraient pas nos adversaires, s'ils niaient cette proposition! Quelques-uns d'entre eux, un certain nombre de Français, plusieurs journalistes surtout, ne veulent pas de la constitution; ils nous parlent, ceux-ci, de chasser le monarque, et de donner à son fils un conseil de régence; ceux-là, de le conserver, mais de lui donner un conseil qui aura voix délibérative; ceux-là, enfin, de chasser les rois, et d'établir à leur place un conseil exécutif nommé par les quatre-vingt-trois départemens... Certainement ces propositions ne tendent à rien moins qu'à changer la forme du gouvernement; elles font plus dans mon opinion: elles tendent à substituer l'anarchie à la place du règne des lois, et peut-être même à ramener le despotisme; et quand tout cela ne pourrait pas se démontrer, toujours serait-il vrai qu'elles tendraient à amener la guerre civile; car moi, par exemple, et je suis sûr qu'un très-grand nombre de Français pensent de même; moi, dis-je, je déclare ici qu'il faudra me

de Royal-Allemand pour se ressaisir du roi au moment de son arrestation, le roi lui a envoyé l'ordre de rétrograder et de ne se livrer à aucun acte hostile.» (Note de l'orateur.)

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