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soit pas soumis; s'il est un seul homme devant lequel la loi soit muette; si cette loi, suivant l'expression d'un écrivain, ne dirige pas son glaive sur un point horizontal pour abattre ce qui la dépasse, alors un seul individu, paralysant toute la force nationale, peut tout entreprendre contre la nation.

On avait observé aux partisans de l'inviolabilité absolue que cette doctrine autoriserait tous les crimes; un des préopinans a répondu en disant que dans une attaque individuelle chacun aurait droit de repousser un roi agresseur..... Mais, je le lui demande, si un homme attaqué succombe sous le fer de l'agresseur, celuici sera-t-il inviolable? Il n'a donc fait que reculer la difficulté au lieu de la résoudre; ainsi, lorsqu'un défenseur de l'opinion que je soutiens, a objecté que l'inviolabilité absolue du monarque appellerait malheureusement sur lui les vengeances particulières, son argument reste dans toute sa force; et j'observerai encore qu'on ne lui a pas répondu lorsqu'il a établi que l'inviolabilité du roi exigeait l'absolution de ses complices; il a eu raison.

Après avoir combattu les raisons des préopinaus, je dirai encore que le roi pourrait être inviolable, parce que la constitution le déclare tel; mais le roi a protesté contre cette constitution; peut-il donc invoquer le bénéfice d'une loi contre laquelle il proteste, et qu'il a voulu anéantir? J'ai ouï répéter souvent que le roi devait avoir tous les moyens d'opérer le bieu, mais qu'il devait être sans force pour faire le mal. Quoi! afin qu'il soit sans force pour faire le mal, vous le déclarez inviolable en tout, c'est-à-dire, que vous voulez que ses passions n'aient aucun frein, qu'il puisse impunément se porter à tous les excès! Qu'on me dise ce que c'est qu'une contradiction, si celle-là n'est pas évidente. Ainsi donc, vouloir établir l'inviolabilité absolue, c'est renverser tous les principes, c'est fonder la liberté publique sur l'immoralité. Que les rois soient bons, qu'ils soient justes, leur inviolabilité sera plus assurée! Alfred n'avait pas besoin de pareilles lois; l'amour du peuple formait autour de lui un rempart impénétrable.

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Après avoir établi ce principe conservateur de la liberté, je

l'applique aux circonstances actuelles, et je dis que l'intérêt de la nation repousse le projet de vos comités. En effet, si le roi ne peut pas être mis en cause, alors il me semble que le voilà dans l'état où il était avant sa fuite, et, en consultant le passé, voyons ce que l'avenir nous promet! Dejà plusieurs fois vous avez été à la veille d'une contre-révolution; les troupes appelées à Versailles, la séance royale, les scènes du mois d'avril dernier, l'évasion du roi, enfin la soif du pouvoir, la facilité d'intriguer, et peut-être des vengeances à assouvir, car une cour ne pardonne pas!..... Nous aurons peut-être une douzaine de conspirations nouvelles, et dans ce nombre, il y aura peut-être à la fin une chance contre vous qui étouffera la liberté, et ensevelira sous les ruines de la constitution ceux qui en sont les défenseurs et les amis! (Applaudissemens.)

D'ailleurs, messieurs, le bonheur du peuple serait-il bien garanti sous un roi faible? N'auriez-vous pas alors des maires du palais? Et voilà cependant sur quoi reposeront vos espérances, ou plutôt votreerreur!...Je dis encore que la loi ne doit être que l'expression de la volonté générale; nous devons être prêts sans cesse à l'exécuter. Un ambassadeur disait aux Hollandais: nous déciderons de vous chez vous et sans vous.... Mais les représentans du peuple outrageraient la nation s'ils décidaient de son sort sans elle et peut être contré elle, contre son vou!.... (Applaudissemens mêlés de murmures.)

M. Thuault. Nous ne sommes pas des ambassadeurs.

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M. Grégoire. J'ajoute une autre considération, qui a été déjà présentée. La confiance est la sauve-garde d'un peuple libre; la confiance ne se commande pas; eh bien! pouvez-vous jamais réinvestir Louis XVI de la confiance nationale! S'il promet d'être fidèle à la constitution, qui osera en être garant? Hier, après un discours en faveur du projet des comités, on nous a présenté un tableau intéressant de la félicité publique : rapprochez ce tableau des inconvéniens qu'on vient de déduire, des maux qui peuvent être et qui seront le résultat d'un tel système, et voyez à laquelle des deux opinions le tableau doit s'attacher! J'invoque la ques

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tion préalable contre le projet des comités; je demande qu'au plus tôt on assemble les colléges électoraux, et qu'on nomme une convention nationale : c'est l'objet important qui doit nous occuper........... (Murmurés.) Mais si malheureusement le projet des comités était adopté par l'assemblée, s'il était décidé que l'inviolabilité était absolue, què jamais le roi ne peut être mis en cause, alors, messieurs, pour être conséquens, vous devez juger comme coupables d'un grand crime les gardes nationales de Varennes, et ceux qui ont concouru à l'arrestation du roi. (Nombreux applaudissemens d'une partie du côté gauche et des tribunes publiques.)]

Opinion de Salles. -SÉANCE DU 15 JUILLET.,

[Messieurs, avant d'entrer dans la discussion de l'importante et difficile affaire qui fait l'objet de la délibération, qu'il me soit permis d'observer à l'assemblée que, quelle que soit la différence des opinions qui l'agitent, rien n'est plus déplacé que la chaleur avec laquelle on s'attaque dans cette question épineuse. Je conviens franchement, quant à moi, que les circonstances où nous nous trouvons sont environnées de dangers; je conviens que tous les partis qui peuvent nous être proposés sont également périlleux; il m'est démontré que des esprits droits, des citoyens sans reproche, peuvent franchement, et sans donner la moindre prise à la calomnie, embrasser les partis contraires. Où penvent donc aboutir tant de déclamations vagues, tant de soupçons indis-crets, tant de vaines personnalités? Des hommes faits pour s'estimer, et du patriotisme desquels la nation s'honore également, peuvent-ils croire qu'il importe au succès de leur cause de se flétrir par des inculpations mal fondées avec un égal acharnement? Eh bien, messieurs? et moi aussi j'ai mon opinion faite dans cette grandé question; et moi aussi je viens vous la présenter. Je puis m'égarer sans doute; les adversaires du parti que j'embrasse, peuvent m'accuser, me dénoncer même à mes commettans comme un mauvais patriote; cependant la conscience de mes actions me restera, et rien n'aura été capable de changer mes opinions. Soyons donc froids et calmes, puisque la chaleur ne peut que

nous rendre injustes, et sachons nous estimer nous-mêmes si nous voulons mériter l'estime la nation.

Pardonnez, Messieurs, à mon zèle cette courte digression. J'ai examiné les conjonctures où nous sommes, et je me suis dit: quel que soit le parti que prenne l'assemblée, il mécontentera un grand nombre de citoyens; soit que Louis XVI soit maintenu sur le trône, soit qu'il en descende, l'assemblée sera accusée avec une égale chaleur. Il nous importe d'éviter toute exagération d'opinion si nous voulons éloigner de nous les fléaux de la guerre civile; il nous importe de rallier les esprits autour de l'assemblée nationale, et de les préparer à recevoir le décret qu'elle doit rendre, quel que puisse être ce décret: il faut donc nous rallier nous-mêmes autour de nos propres principes; il faut donner l'exemple de la modération dans la discussion et de l'obéissance à ses différens résultats, si nous voulons que le peuple qui nous entend soit modéré lui-même, et soumis à la loi lorsqu'elle sera faite.

J'aborde la question, Messieurs; et si je remplis mal la tâche que je me suis imposée, j'aurai du moins, je l'espère, été fidèle aux principes de modération qne je viens d'exprimer.

Trois questions de fait se présentent relativement à Louis XVI; il importe de les poser et de les discuter en elles-mêmes, sauf ensuite à faire l'application de cette discussion au roi, et à voir quelles en doivent être les conséquences,

Le roi est-il coupable d'avoir fui?

Le roi est-il coupable d'avoir, en fuyant, laissé un manifeste? La fuite et le manifeste du roi suffisent-ils, à défaut de toute autre preuve, pour démontrer qu'il est complice du général Bouillé dans les dispositions que celui-ci avait faites pour faciliter l'invasion de la frontière à l'ennemi, et environner le roi de l'armée des mécontens?

Le roi est-il coupable d'avoir fui?

Cette question n'en est plus une; chaque parti s'accorde à dire que la fuite du roi n'est pas un crime, puisque nulle loi n'a qualiné ce délit, et n'en a surtout déterminé la peine.

D'ailleurs, la loi sur la résidence des fonctionnaires publics est expresse, et je n'ai pas vu que les adversaires du projet de décret des comités aient essayé de résister à cet argument.

Je passe à la seconde question : le roi est-il coupable d'avoir, en fuyant, laissé un manifeste?

Je suis loin, Messieurs, de vouloir me dissimuler tout l'incivisme de cette pièce; elle a dû révolter tous les Français; elle a dù leur être d'autant plus sensible qu'ils avaient aimé davantage le monarque au patriotisme duquel ils avaient cru: les citoyens l'aimaient parce qu'ils le croyaient le chef de la révolution; ils ont vu qu'il les avait trompés, que la constitution n'avait jamais jusqu'alors été en sûreté dans ses mains, et les citoyens, qui veulent aujourd'hui la constitution avant tout, en ont été indignés; ils l'ont regardé conime la cause de tous les troubles, comme le chef de toutes les factions qui les agitent depuis deux ans, et toutes les haines se sont accumulées sur sa tête. Je sens vivement, Messieurs, l'injure faite à la nation par son premier délégué; mais qu'il me soit permis dele dire, cette réunion de toutes les haines, bien naturelle sans doute de la part d'un peuple ombrageux pour sa liberté naissante est une exagération dont nous devons nous défendre. Si la cause de Louis XVI, protestant contre les nouvelles lois, a fait oublier les injures de tous les ennemis publics qui depuis la révolution ont accumulé des protestations du même genre; si le sentiment du moment, exaspéré par tous les sentimens particuliers qui sont venus s'y confondre, paraît prêt à se calmer sur toutes les craintes particulières, pourvu que Louis XVI soit sacrifié; ce sentiment est injuste à cet égard et dans son objet et dans son intensité, et je me fais gloire, moi,de m'écarter en cela de l'opinion publique.

Après m'être ainsi dégagé de touté haine et de tout sentiment étranger, j'examine cette pièce en elle-même et dans son ensemble. Je le répète, elle est un monument d'incivisme; et s'il m'est démontré que Louis XVI, pour faire triompher les principes qui l'ont dictée, a voalu susciter à la nation des ennemis et

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