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Opinion de Grégoire. - SÉANCE DU 15 juillet.

[J'entends dire autour de moi qu'il ne convient pas à un prêtre de traiter la question présente.... (Non, non ! dans le côté droit.)

M. Arnaudat. Personne ne vous a dit cela: vous commencez par un mensonge; vous finirez par des horreurs. (Mouvement général d'improbation.)

M. Grégoire. Quelle que soit mon opinion, je parlerai d'après ma conscience. (Ah! ah! ah! du côté droit.) Et au lieu de comparer mon opinion avec mon état, je demande qu'on me réfute. Du reste, Messieurs, lorsque l'assemblée aura prononcé, je serai soumis à ses décrets..... (C'est bien heureux! du même côté.) Et jamais je ne me permettrai de protester contre..... (Le silence du côté droit et les applaudissemens du côté gauche montrent que ces derniers mots ont été généralement sentis.)

Vous traitez la question de l'inviolabilité absolue: d'après les principes, et dans la situation où se trouve actuellement la France, je réfuterai plusieurs argumens présentés par divers préopinans en faveur du projet des comités; je leur rappellerai quelques ob-, jections qu'ils n'ont pas combattues, et j'en ajouterai de nouvelles; enfin j'établirai que le projet des comités est rejeté par l'intérêt national.

Louis XVI a agi, disait-on hier, ou comme roi, ou comme citoyen: si comme roi il est inviolable, aux termes du décret; si comme citoyen il est permis à tout citoyen d'aller et venir dans l'étendue de l'empire, il n'y a pas de délit..... Ce raisonnement est vicieux, parce qu'il considère Louis XVI toujours abstraction faite des circonstances liées à son évasion.

Le premier fonctionnaire public abandonné son poste; il se munit d'un faux passeport; après avoir dit, en écrivant aux puissances étrangères, que ses ennemis les plus dangereux sont ceux qui affectent de répandre des doutes sur les intentions du monarque, il viole sa parole ; il laisse aux Français une décla ration qui, si elle n'est pas criminelle, est au moins, de quelque

manière qu'on l'envisage, contraire aux principes de notre liberté. Il n'a pu ignorer que sa fuite exposait la nation aux dangers de la guerre civile; enfin, dans l'hypothèse qu'il ne voulut aller qu'à Montmédy, je dis : ou il voulait se borner à faire des observations paisibles à l'assemblée nationale sur ses décrets, et pour cela il était inutile de fuir; ou il voulait soutenir ses préten tions à main armée, et alors c'était une conspiration contre la liberté. Cette alternative forme sans doute un dilemme contraire à ceux qui soutiennent l'avis des comités.

Mais, dit-on, pour mettre quelqu'un en jugement, il faut que le délit soit qualifié, qu'il y aît une loi préexístante; ici il n'y en avait pas..... Quoi, messieurs, nous n'avions pas de lois antérieures concernant la violation des promesses, les attentats contre la liberté publique! D'ailleurs, en raisonnant ainsi, quel moyen laissez-vous au peuple, qui réforme son gouvernement, de repousser les attaques qu'on veut lui porter?

Avez-vous donc oublié cette maxime, maxime révérée par tout l'univers, que le salut du peuple est la suprême loi? Pour combattre plus efficacement encore cet argument, que je regarde comme absurde, je dis que si, sous prétexte qu'une loi n'est pas encore faite, un individu pouvait être inviolable, quels que fussent le nombre et l'énormité de ses délits, alors il peut rompre le corps social, ourdir les plus affreux complots, et plonger un peuple entier dans l'abîme de tous les maux.

En admettant une pareille absurdité, on eût pu à Versailles soutenir les arrêtés de la séance royale avec les régimens qu'on avait fait venir, anéantir les espérances que la nation avait conçues de nos travaux, et vous étouffer sous les debris de cette enceinte où vous avez jeté les fondemens du bonheur public!

Mais, dit-on, si le roi n'est pas inviolable, deux calomniateurs pourront le traduire en jugement.... Non, car il faudrait préalablement, suivant nos lois nouvelles, que le juré prononçât qu'il y a lieu à accusation.

Mais, dit-on, le pouvoir exécutif doit être indépendant du pouvoir législatif; il ne le serait pas, si celui qui l'exerce n'est

Opinion de Grégoire. - SÉANCE Du 15 juillet.

[J'entends dire autour de moi qu'il ne convient pas à un prêtre de traiter la question présente.... (Non, non! dans le côté droit.)

M. Arnaudat. Personne ne vous a dit cela vous commencez par un mensonge; vous finirez par des horreurs. (Mouvement général d'improbation.)

M. Grégoire. Quelle que soit mon opinion, je parlerai d'après ma conscience. (Ah! ah! ah! du côté droit.) Et au lieu de comparer mon opinion avec mon état, je demande qu'on me réfute. Du reste, Messieurs, lorsque l'assemblée aura prononcé, je serai soumis à ses décrets..... (C'est bien heureux! du même côté.) Et jamais je ne me permettrai de protester contre..... (Le silence du côté droit et les applaudissemens du côté gauche montrent que ces derniers mots ont été généralement sentis.)

Vous traitez la question de l'inviolabilité absolue: d'après les principes, et dans la situation où se trouve actuellement la France, je réfuterai plusieurs argumens présentés par divers préopinans en faveur du projet des comités; je leur rappellerai quelques ob-, jections qu'ils n'ont pas combattues, et j'en ajouterai de nouvelles; enfin j'établirai que le projet des comités est rejeté par l'intérêt national.

Louis XVI a agi, disait-on hier, ou comme roi, ou comme citoyen: si comme roi il est inviolable, aux termes du décret; si comme citoyen il est permis à tout citoyen d'aller et venir dans l'étendue de l'empire, il n'y a pas de délit..... Ce raisonnement est vicieux, parce qu'il considère Louis XVI toujours abstraction faite des circonstances liées à son évasion.

Le premier fonctionnaire public abandonne son poste; il se munit d'un faux passeport; après avoir dit, en écrivant aux puissances étrangères, que ses ennemis les plus dangereux sont ceux qui affectent de répandre des doutes sur les intentions du monarque, il viole sa parole; il laisse aux Français une déclaration qui, si elle n'est pas criminelle, est au moins, de quelque

manière qu'on l'envisage, contraire aux principes de notre liberté. Il n'a pu ignorer que sa fuite exposait la nation aux dangers de la guerre civile; enfin, dans l'hypothèse qu'il ne voulut aller qu'à Montmédy, je dis : ou il voulait se borner à faire des observations paisibles à l'assemblée nationale sur ses décrets, et pour cela il était inutile de fuir; ou il voulait soutenir ses prétentions à main armée, et alors c'était une conspiration contre la liberté. Cette alternative forme sans doute un dilemme contraire à ceux qui soutiennent l'avis des comités.

Mais, dit-on, pour mettre quelqu'un en jugement, il faut que le délit soit qualifié, qu'il y ait une loi préexistante; ici il n'y en avait pas..... Quoi, messieurs, nous n'avions pas de lois antérieures concernant la violation des promesses, les attentats contre la liberté publique! D'ailleurs, en raisonnant ainsi, quel moyen laissez-vous au peuple, qui réforme son gouvernement, de repousser les attaques qu'on veut lui porter?

Avez-vous donc oublié cette maxime, maxime révérée par tout l'univers, que le salut du peuple est la suprême loi? Pour combattre plus efficacement encore cet argument, que je regarde comme absurde, je dis que si, sous prétexte qu'une loi n'est pas encore faite, un individu pouvait être inviolablé, quels que fussent le nombre et l'énormité de ses délits, alors il peut rompre le corps social, ourdir les plus affreux complots, et plonger un peuple entier dans l'abîme de tous les maux.

En admettant une pareille absurdité, on eût pu à Versailles soutenir les arrêtés de la séance royale avec les régimens qu'on avait fait venir, anéantir les espérances que la nation avait conçues de nos travaux, et vous étouffer sous les debris de cette enceinte où vous avez jeté les fondemens du bonheur public!

Mais, dit-on, si le roi n'est pas inviolable, deux calomniateurs pourront le traduire en jugement.... Non, car il faudrait préalablement, suivant nos lois nouvelles, que le juré prononçât qu'il y a lieu à accusation.

Mais, dit-on, le pouvoir exécutif doit être indépendant du pouvoir législatif; il ne le serait pas, si celui qui l'exerce n'est

point investi de l'inviolabilité...... Je crois, messieurs, que l'on confond ici la séparation des pouvoirs avec l'indépendance des pouvoirs; on pourrait soutenir jusqu'à un certain point que le pouvoir exécutif est dépendant du pouvoir législatif, puisqu'il ne peut agir que d'après lui; mais je réponds par un raisonnement de parité : le corps-législatif devant être indépendant du pouvoir exécutif, les législateurs devraient aussi être inviolables dans tous les cas; ce que certainement vous n'ajouterez pas..... (Une voix : Vous n'y êtes pas du tout, monsieur!)

Je crois, en second lieu, que vous n'adopterez pas que tous les pouvoirs constitués doivent s'exercer sans qu'on puisse en suspendre ni en troubler l'exercice, pour établir l'inviolabilité de ceux qui les exercent; ainsi, vouloir de l'indépendance conclure à l'inviolabilité, c'est assurément fausser la conséquence.

Je dis, en troisième lieu, qu'il ne s'agit pas de subordonner le pouvoir exécutif à une législature, mais bien à une convention nationale, qui, dépositaire de tous les pouvoirs, les répartit, en fixe la latitude prétendre que le pouvoir exécutif doit être indépendant même d'une convention nationale, ce serait évidemment dire que le pouvoir exécutif sera indépendant de la nation même, principe absurde qui trop long-temps a consacré l'esclavage et la misère des peuples.

Mais, a-t-on dit, si le roi n'est pas inviolable dans tous les cas, la majesté du trône court le danger d'être avilie.... Pour détruire cette objection, il suffit d'en faire sentir le ridicule; autant vaudrait nous dire qu'un homme sera avili si l'on réprime ses passions, qu'il sera avili s'il est soumis aux lois! Mais, ajoute-t-on', le bonheur public exige que le roi soit inviolable.... Je réponds: pour que la société politique puisse se maintenir, il faut qu'elle puisse réprimer tous les attentats dirigés contre sa sûreté; le roi doit être inviolable dans tous les actes qui tiennent à la royauté, parce que, comme on l'a dit, dans ce cas il y a un ministreresponsable; mais pour les cas où l'on ne trouve pas cet agent, la responsabilité doit porter sur le monarque; car, on l'a dit avant moi, s'il est un seul homme qui, faisant exécuter les lois, n'y

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