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cessairement qu'avec le pouvoir de réformer il confie à ses délé gués le terrible pouvoir de détruire à leur gré?

Je cherche en vain dans les principes la cause essentielle de cette indivisibilité. Les principes ne la démontrent pas, et je ne vois nulle part que l'opinion contraire soit une hérésie politique. Le peuple, de qui tout pouvoir émane, distribue, quand il veut et comme il lui plaît, l'exercice de la souveraineté. Il en délègue telle partie, et s'en réserve telle autre. En effet, de même qu'il remet au corps-législatif la souveraineté purement législative, de même il peut donner à d'autres représentans la souveraineté réformatrice de la constitution, sans leur départir de plein droit la souveraineté constituante. La délégation distincte de ces deux parties de la souveraineté nationale ne répugné donc pas aux principes, ou plutôt on aime à retrouver entre le corps réformateur et le corps annihilateur la différence qu'on aperçoit entre l'acte de réformer et l'acte de détruire. Mais non-seulement une telle distinction est possible, elle est pressante, elle est indispensable. Si en effet le pouvoir de changer la constitution est nécessairement uni au pouvoir de la réformer, n'est-il pas évident qu'à chaque besoin d'une réforme partielle, la totalité de la constitution est en péril? En séparant, au contraire, le pouvoir de réformer d'avec le pouvoir de détruife, il n'est plus permis de craindre pour la constitution: la patrie n'est menacée d'aucun trouble par la présence du corps réformateur.

La véritable prudence en cette matière n'est pas de vouloir pour l'avenir, mais bien de laisser à la volonté nationale future la plus grande latitude. Je ne demande donc pas que vous interprétiez cette volonté, mais que vous lui donniez le moyen de se déclarer elle-même, de s'étendre ou de se restreindre; en un mot, je ne prétends pas enlever à la génération présente ni aux générations futures le droit de changer la constitution tout entière; je cherche à leur assurer ce droit, ou plutôt le moyen légal d'en user; maís je demande que le droit de changer la constitution tout entière ne soit pas essentiellement inhérent au droit de la réformer en partie ; je demande que le peuple ne soit pas

forcé de donner à ses représentans le droit de détruire, lorsqu'il ne veut leur départir, lorsqu'il convient à son intérêt de ne leur départir d'autre droit que celui de réformer; je demande enfin que le peuple sache ce qu'il donne, qu'il mesure sa délégation selon sa volonté et ses besoins; de telle sorte, en un mot, que ses représentans ne puissent en abuser.

Ce n'est pas tout encore: le changement total ou les réformes partielles de la constitution dépendant uniquement de la volonté du peuple, il faut, non-seulement qu'il sache lequel de ces deux pouvoirs il délégue à ses représentans; mais de plus il doit connaître pourquoi il le leur donne, et dans le cas de la réformation partielle, c'est à lui à indiquer l'objet à réformer. La bonne solution du problème se trouvera donc dans le projet qui remplira les conditions suivantes : 1o un moyen de réformer partiellement la constitution sans mettre nécessairement la totalité de la constitution en péril; 2o un moyen de connaître la volonté du peuple pour cette réforme ; 3° un moyen légal de changer entièrement la constitution; 4o un moyen de connaître le vœu du peuple pour cette réforme. Si tel doit être le véritable sens de la loi que nous cherchons, il en résulte qu'aucune espèce de périodicité ne pourrait être admise, qu'aucune époque certaine ne pourrait être déterminée. La raison vaut mieux que les chances de la prévision ou du hasard; elle ne dit pas de faire telle chose en tel temps, si elle est inutile alors; mais elle dit de la faire quand il en est besoin; elle dit surtout de coordonner les lois à un même système, et de chercher dans les lois déjà faites, dans les principes des lois déjà adoptées, la base de celles qui sont à faire; de sorte que tout, dans la machine politique, s'enlace, se tienne et se corresponde parfaitement: c'est pour le peuple qu'il convient de réformer la constitution ou de la changer, et c'est à lui qu'il appartient de décider s'il faut la réformer ou la changer, et quand il faut le faire. Si donc il existe un moyen de connaître le vœu du peuple à cet égard, ce moyen doit être adopté préférablement à tout autre système. Je rappelle d'abord ici la dis

tinction que je vous ai proposée entre le corps réformateur et le corps, pour ainsi dire, destructeur de la constitution.

Je désigne le premier sous le nom de convention nationale; le second sous le nom de corps constituant, et je les définis ainsi :

La convention nationale est l'assemblée des représentans ayant le droit de revoir et le pouvoir de réformer par des changemens, suppressions ou additions, une ou plusieurs parties déterminée de la constitution.

Le corps constituant est l'assemblée des représentans ayant le drot de revoir la constitution dans son ensemble, de changer la distribution des pouvoirs politiques, et de créer une constitution nowelle. Cette définition admise, voyons comment le peuple obtendra le rassemblement de l'un ou l'autre de ces corps, selonsa volonté actuelle et bien déterminée. C'est dans les princips fondamentaux de notre gouvernement que je dois chercher à résoudre la question. La France est un gouvernement représenatif. On n'y connaît qu'un seul corps essentiellement délibérait, et des pétitionnaires individuels. Le corps-législatif délibee; les citoyens adressent des pétitions; le corps-législatif exprime la volonté générale; les citoyens n'expriment que des wlóntés particulières. L'acte de rassembler la convention natiorale ou le corps constituant est un acte essentiel de la volonté générale. Or, il n'existe véritablement d'acte de la volonté générale, que là où il y a eu délibération de toutes les parties, et il ne peut y avoir de délibération que là où la réunion est effective. Ainsi, à moins de détruire tous les principes du gouvernement représentatif, il est évident qu'aucun corps administratif, aucune collection de citoyens épars, ne peuvent, pas plus dans le cas particulier que dans tout autre, exprimer cette volonté. Cette série de raisonnemens puisés dans votre constitution ellemême, conduit à cette dernière conséquence. La volonté générale sur le fait du rassemblement d'une convention nationale ou du corps constituant ne peut être exprimée que par les représentans du peuple. J'adopte cette conséquence, et elle devient la base du plan que je vous proposerai. Cependant le corps-légis

latif n'exprimé pas tellement la volonté générale qu'il soit toujours présumé l'avoir exactement prononcée: aussi dans les actes de législation est-il arrêté par le veto du roi.

La déclaration du corps-législatif par laquelle je demandais une convention nationale ou la présence du corps constituat, ne serait donc pas suffisante pour donner lieu à leur rassemblement; il faut que cette déclaration, émise au nom de la volonté générale, reçoive en effet la sanction de cette volonté; il fautque le vœu prononcé par les représentans puisse être annulé ou confirmé. Pár qui le sera-t-il? ce ne peut pas être par le roi car ceci est l'initiative d'un acte de souveraineté nationale qui loit retourner à sa source: il fant donc recourir au peuple, et cere cours est facile en restant toujours dans les principes. Le peuple s'exprimera de la seule manière dont il puisse s'exprimer paide nouveaux représentans, c'est-à-dire par la seconde législature. Enfin par une troisième, et lorsque ces trois législatures cosé cutives ont émis le même vou, n'existant plus alors aucun date que la volonté générale ne désire la présence d'une convenion nationale ou celle du corps constituant, ils doivent être rassenblés. Je ne connais, ou du moins je ne prévois que deux obje tions contre ce système; car n'ayant encore été soutenu pr personne, il n'a pas été combattu. On dira que le corps-législa tif, malgré le vou individuel du plus grand nombre des citoyens de l'empire, peut ne demander jamais la convention nationale ni le corps constituant.

A ce premier argument, je pourrais opposer les principes théoriques du gouvernement représentatif, qui ne permettent pas cette supposition. Mais j'aime mieux répondre par des vérités pratiques, que par des abstractions. Veut-on dire que le corps-législatif n'ayant aucun égard à des réclamations vagues, -partielles ou locales, s'abstiendra de demander la convention nationale ou la présence du corps constituant; je le crois de -même, et ce serait une grande faute de prendre de telles clameurs pour les indices de l'opinion publique. Ne perdons jamais de vue que le caprice, l'engouement où l'enthousiasme d'un jour,

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ne doivent avoir aucune part aux réformes ou aux changemens de la constitution: il faut des motifs réels, un vou prononcé, une opinion publique formée. Le corps-législatif résistera donc et devra résister à un vœu légèrement articulé par quelques signataires répandus çà et là sur la surface de l'empire; mais à un vœu réellement prononcé, à un vœu tel qu'il le faut pour déterminer une mesure si importante; en un mot, à une véritable opinion publique, je soutiens qu'il n'y résistera jamais. Je n'en donnerai qu'une seule raison: si je croyais qu'il pût en exister une meilleure, je la chercherais. Ma raison unique est qu'il ne peut y résister; et prenez garde que si l'on nie cette assertion, le procès est fait par-là même au gouvernement représentatif. Quoi! vous admettez que le corps-législatif prononce conformément à la volonté générale dans la confection des lois, car enfin tout votre système de gouvernement est fondé sur ce fait ; quoi! vous proscrirez l'usage des cahiers et des mandats, parce que vous admettez dans les représentans le don efficace de la volonté générale, qui ne peut être enchaînée par des volontés particulières, et cependant voilà que vous supposez à ces représentans une autre volonté que la volonté générale, c'est-à-dire une résistance formelle à cette volonté! Si votre supposition est fondée, quel système avez-vous donc adopté, et sur quelles bases reposera désormais la stabilité de votre gouvernement?

Le corps-législatif, dit-on, sera corrompu par l'agence exécutive, pour empêcher la réformation d'un article nuisible à l'intérêt du peuple, mais fécond en abus dans la main du ministre. Vous parlez toujours de corruption. Et moi aussi je la redoute; car la constitution a bien érigé en maxime l'inviolabilité des représentans, mais elle n'en a pas fait une de leur incorruptibilité : cependant tout cela n'est pas la question. Le peuple désirera-t-il, oui ou non, la réforme? Tout est là ; et je soutiens que s'il la désire, il n'y a pas de système corrupteur qui puisse empêcher le corpslégislatif de la demander, à moins que vous ne lui supposiez à lui-même un moyen de corrompre à son tour la totalité des citoyens de l'empire. L'objection me prouve donc tout au plus que

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