Page images
PDF
EPUB

social! On invoque les lois pour qu'un homme puisse impuné ment violer les lois! On invoque les lois pour qu'il puisse les enfreindre!

[ocr errors]

O vous qui pouvez croire qu'une telle supposition est problématique, avez-vous réfléchi sur la supposition bizarre et désastreuse d'une nation qui serait régie par un roi criminel de lèsenation? Combien ne paraîtrait-elle pas vile et lâche aux nations étrangères celle qui leur donnerait le spectacle scandaleux d'un homme assis sur le trône pour opprimer la liberté, pour opprimer la vertu ! Que deviendraient toutes ces fastueuses déclamations avec lesquelles on vient vanter sa gloire et sa liberté? Mais au dedans, quelle source éternelle et horrible de divisions, lorsque le magistrat suprême est suspect aux citoyens! Comment les rappellera-t-il à l'obéissance aux lois contre lesquelles il s'est lui-même déclaré? Comment les juges pourront-ils rendre la justice en son nom? Comment les magistrats ne seront-ils pas tentés de se couvrir le visage par pudeur, lorsqu'ils condamneront la fraude et la mauvaise foi au nom d'un homme qui n'aurait pas respecté sa foi ? Quel coupable sur l'échafaud ne pourra pas accuser cette étrange et cruelle partialité des lois qui met une telle distance entre le crime et le crime, entre un homme et un homme, entre un coupable et un homme bien plus coupable encore?

Messieurs, une réflexion bien simple, si l'on ne s'obstinait à l'écarter, terminerait cette discussion. On ne peut envisager que deux hypothèses en prenant une résolution semblable à celle que je combats: ou bien le roi que je supposerais coupable envers une nation, conserverait encore toute l'énergie de l'autorité dont il était d'abord revêtu, ou bien les ressorts du gouvernement se relâcheraient dans ses mains. Dans le premier cas, le rétablir dans toute sa puissance, n'est-ce pas évidemment exposer la liberté publique à un danger perpétuel? Et à quoi voulez-vous qu'il emploie le pouvoir immense dont vous le revêtez, si ce n'est à faire triompher ses passions personnelles, si ce n'est à attaquer la liberté et les lois, à se venger de ceux qui auront constamment défendu contre lui la cause publique? Au contraire, les ressorts

du gouvernement se relâchent-ils dans ses mains, alors les rênes du gouvernement flottent nécessairement entre les mains de quelques factieux qui le serviront, le trahiront, le caresseront, l'intimideront tour à tour, pour régner sous son nom. Messieurs, rien ne convient aux factieux et aux intrigans comme un gouvernement faible; c'est seulement sous ce point de vue qu'il faut envisager la question actuelle: qu'on me garantisse contre ce danger, qu'on garantisse la nation de ce gouvernement où pourraient dominer les factieux, et je souscris à tout ce que vos comités pourront vous proposer.

Qu'on m'accuse si l'on veut de républicanisme; je déclare que j'abhorre toute espèce de gouvernement où les factieux règnent. Il ne suffit pas de secouer le joug d'un despote, si l'on doit retomber sous le joug d'un autre despotisme : l'Angleterre ne s'affranchit du joug de l'un de ses rois que pour retomber sous le joug plus avilissant encore d'un petit nombre de ses concitoyens. Je ne vois point parmi nous, je l'avoue, le génie puissant qui pourrait jouer le rôle de Cromwell; je ne vois non plus personne disposé à le souffrir; mais je vois des coalitions plus actives et plus puissantes qu'il ne convient à un peuple libre ; mais je vois des citoyens qui réunissent entre leurs mains des moyens trop variés et trop puissans d'influencer l'opinion; mais la perpétuité d'un tel pouvoir dans les mêmes mains pourrait alarmer la liberté publique. Il faut rassurer la nation contre la trop longue durée d'un gouvernement oligarchique. Cela est-il impossible, Messieurs, et les factions qui pourraient s'élever, se fortifier, se coaliser, ne seraient-elles pas un peu ralenties, si l'on voyait dans une perspective plus prochaine la fin du pouvoir immense dont nous sommes revêtus, si elles n'étaient plus favorisées en quelque sorte par la suspension indéfinie de la nomination des nouveaux représentans de la nation, dans un temps où il faudrait profiter peut-être du calme qui nous reste, dans un temps où l'esprit public, éveillé par les dangers de la patrie, semble nous promettre les choix les plus heureux? La nation ne verra-t-elle pas avec quelque inquiétude la prolongation indéfinie

de ces délais éternels qui peuvent favoriser la corruption et l'intrigue? Je soupçonne qu'elle le voit ainsi, et du moins, pour mon compte personnel, je crains les factions, je crains les dangers.

Messieurs, aux mesures que vous ont proposées les comités, il faut substituer des mesures généralés, évidemment puisées dans l'intérêt de la paix et de la liberté. Ces mesures proposées, il faut vous en dire un mot: elles ne peuvent que vous déshonoFer et si j'étais réduit à voir sacrifier aujourd'hui les premiers principes de la liberté, je demanderais au moins la permission de me déclarer l'avocat de tous les accusés ; je voudrais être le défenseur des trois gardes-du-corps, de la gouvernante du dauphin, de M. Bouillé lui-même. Dans les principes de vos comités, le roi n'est pas coupable; il n'y a point de délit !..... Mais partout où il n'y a pas de délit, il n'y a pas de complices. Messieurs, si épargner un coupable est une faiblesse, immoler un coupable plus faible au coupable puissant c'est une lâche injustice. Vous ne pensez pas que le peuple français soit assez vil pour se repaître du spectacle du supplice de quelques victimes subalternes; ne pensez pas qu'il voie sans douleur ses représentans suivre encore la marche ordinaire des esclaves, qui cherchent toujours à sacri fier le faible au fort, et ne cherchent qu'à tromper et à abuser le peuple pour prolonger impunément l'injustice et la tyrannie ! (Applaudissemens.) Non, Messieurs, il faut ou prononcer sur tous les coupables, ou prononcer l'absolution générale de tous les coupables. Voici en dernier mot l'avis que je propose. ·

Je propose que l'assemblée décrète qu'elle consultera le vœu de la nation pour statuer sur le sort du roi ; en second lieu, que l'assemblée nationale lève le décret qui suspend la nomination des représentans ses successeurs; 3° qu'elle admette la question préalable sur l'avis des comités.

Et si les principes que j'ai réclamés pouvaient être méconnus, je demande au moins que l'assemblée nationale ne se souille pas par une marque de partialité contre les complices prétendus d'un délit sur lequel on veut jeter un voile! (Applaudissemens.}}

Opinion de M. Goupil. SÉANCE DU 15 JUILLET.

[Le roi est-il inviolable? C'est la question, et ce ne devrait pas en être une; la lecture de nos décrets devrait terminer toutes les controverses par lesquelles on s'efforce d'obscurcir cette inviolabilité, relative seulement aux fonctions de la royauté. On vous a dit dans cette tribune l'inviolabilité du roi est semblable à celle des députés à l'assemblée nationale, qui cependant peuvent être jugés. Quand on a avancé ce paradoxe, on n'a pas assez pesé les termes de votre décret sur l'inviolabilité du roi; si on l'eût fait, on aurait vu que cette inviolabilité rend la personne du roi sacrée par exemple, nous sommes inviolables; mais personne ne s'est encore avisé de dire que nos personnes soient sacrées. (On ril.) On a répandu sur une vérité évidente les ombres de la malveillance; il faut approfondir cette question, en remontant aux principes d'après lesquels je me flatte de démontrer que ce serait la chose la plus importante que nous aurions à faire que d'établir cette grande loi par laquelle nous avons commencé notre constitution. Tout pouvoir émane de la nation; mais la souveraineté, image de la Divinité, doit être considérée sous deux relations différentes: 1° lorsqu'elle donne des lois : 2° lorsqu'elle régit la nation suivant la constitution : c'est ainsi que nous considérons la toute-puissance. Dans la formation de la constitution la souveraineté est simple: elle est simple; mais le pouvoir exécutif l'est dans un sens bien plus étendu; il faut une inviolabilité bien plus marquée pour que, lorsque l'utilité publique le demande, l'assemblée nationale prenant cette loi pour fondement, rende faux les raisonnemens par lesquels on veut lui persuader qu'elle confond tous les pouvoirs. Mais il n'en est pas ainsi de la souveraineté constituée; autant il est nécessaire que la souveraineté constituante soit une, soit indivisible, autant il serait funeste, autant il serait pernicieux que la souveraineté constituée soit une, soit indivisible. C'est donc, Messieurs, une grande vérité qué vous avez établie, que pour assurer la liberté nationale la souve raineté ne peut être une, indivisible. Comment doit-elle être

divisée? Permettez-moi de reposer sur cette théorie l'éloge judicieux, ce me semble, de cette belle constitution qué vous avez donnée à la France. Quelques hommes ont cru qu'il fallait deux ou plusieurs rois pour assurer la liberté; vous avez adopté, Mes: sieurs, un principe plus simple; vous avez considéré que comme un corps national ne forme qu'une personne morale et politique, il fallait le considérer sous ses rapports moraux et politiques : or, une personne pour remplir ses fonctions, doit avoir une vo lonté, et une force qui exécute les ordres de la volonté. Voilà, Messieurs, l'image simple et naïve de ce que vous avez formé par la constitution. Vous avez donc distribué la souveraineté en deux grandes branches, dont l'une serait, par exemple, la volonté nationale; l'autre, le centre et l'énergie sociale, par laquelle s'exécuterait la volonté nationale. Ainsi la souveraineté constituće se trouve, par votre constitution, distribuée en deux branches, la souveraineté législative et le pouvoir exécutif; et vous avez encore donné au pouvoir exécutif une attribution particulière, de modérateur de la puissance législative, en l'investissant du veto suspensif jusqu'à la troisième législature.

Maintenant, Messieurs, je dis que puisque la souveraineté constituée a été, pour le bonheur du peuple, pour assurer la liberté nationale, ainsi distribuée en deux branches, chacune de ces deux branches doit participer à l'attribut essentiel de la souveraineté, et doit nécessairement être inviolable. Comment, Messieurs, le pouvoir exécutif, tel que vous l'avez institué, serait-il vraiment suprême ainsi que vous l'avez déclaré, et indépendant, s'il n'était pas inviolable? Comment le pouvoir exécu tif, modérateur du pouvoir législatif, pouvant accorder ou refuser, suivant qu'il le croira convenable à l'intérêt de la chose publique, et conforme à la volonté générale, sa sanction aux résolutions du corps-législatif; comment, dis-je, pourrait-il remplir avec liberté, avec indépendance, ce grand devoir, s'il n'était pas inviolable? Vous voyez bien, Messieurs, que cette inviolabilité résulte de votre constitution même, résulte de la nature de la chose; şi elle n'était pas dans vos lois, il la faudrait établir.

« PreviousContinue »