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Voici maintenant les réflexions de Marat sur le discours qu'on vient de lire: Parmi les orateurs qui se sont distingués à combattre le projet infâme et désastreux des sept comités, de réhabiliter Louis, le fourbe et le conspirateur, était le sieur Vadier, député de Pamiers. A l'ouïe de son discours, plusieurs voix se sont écriées dans l'assemblée : C'est Marat, c'est Marat. Bientôt ce discours à circulé dans le public, et les lecteurs de sens se demandaient comment un orateur de cette trempe s'était si longtemps caché sous le boisseau. Si l'on prend la peine d'examiner ce beau discours, on verra qu'il est tissu de phrases pillées dans les feuilles patriotiques, surtout de l'Ami du peuple, dont on a sur-le-champ reconnu la doctrine. Et puis fût-il sorti tout entier de la tête de l'orateur, la matière qui en fait l'objet n'était rien moins que difficile à traiter. Après ces remarques préliminaires, je dois informer mes lecteurs qu'avant que le décret fût passé, le sieur Vadier, emporté par un mouvement de vanité, m'a fait adresser, par l'un de mes anciens éditeurs, son discours pour être inséré dans ma feuille. Je me contentai de louer l'énergie qu'il y a déployée, Aujourd'hui qu'il l'a démentie par la plus lâche adhésion (1) au décret de réhabilitation, je me fais un devoir de faire ressortir toute la platitude de la conduite du député de Pamiers, en publiant en entier son discours énergique : contraste frappant dont je donnerai la clef.> (Suit le discours de Vadier.) Marat raconte ensuite la conduite de Vadier, le 16; puis il ajoute :

. C'est ainsi qu'au lieu de protester contre un décret atroce, ce lâche a mis un genou en terre, et présenté la tête au joug comme un esclave. A l'ouïe de cette rétractation, il n'est pas un lecteur honnête qui ne se soit écrié : Oh! l'infâme! Il fallait s'écrier: Ah! le fripon! Citoyens crédules, apprenez donc› què Vadier n'a pas eu plutôt tonné contre Louis le conspirateur, que les émissaires de la cour lui ont fait des propositions, et qu'il

(1) Le 16, Vadier déclara que, bien qu'il eût combattu le projet des comités, il détestait néanmoins le système républicain, et défendrait les décrets. (Note des auteurs.)

s'est vendu comme un gueux : voilà la raison de l'amende honorable qu'il vient de faire.

› Apprenez aussi qu'un des grands motifs des pères conscrits de suspendre les élections pour la seconde législature et se perpétuer, est l'envie que les opineurs de la culotte portent aux péroreurs qui ont fait leurs orges. Jaloux de l'opulence des Chapelier, des Dandré, des Target, des Emmery, des Barnave, assez gorgés d'or pour mettre dix mille écus sur une carte, et perdre cent mille livres dans une soirée, ces infâmes ne veulent pas désemparer qu'ils ne soient gorgés de même. Or, ils seront gorgés, et ils ne désempareront pas que la cour qui les achète, ne soit au comble de ses vœux, et qu'ils n'aient décrété le rétablissement du despotisme.» (L'Ami du pcuple, du 15 juillet.)

Opinion de Robespierre. - SÉANCE du 14 juillet.

[Messieurs, je ne veux pas répondre à certain reproche de républicanisme qu'on voudrait attacher à la cause de la justice et de la verité; je ne veux pas non plus provoquer une décision sévère contre un individu; mais je viens combattre des opinions dures et cruelles, pour y substituer des mesures douces et salutaires à la cause publique je viens surtout défendre les principes sacrés de la liberté, non pas contre de vaines calomnies, qui sont des hommages, mais contre une doctrine machiavélique dont les progrès semblent la menacer d'une entière subversion. Je n'examinerai donc pas s'il est vrai que la fuite de Louis XVI soit le crime de M. Bouillé, de quelques aides-de-camp, de quelques gardes-du-corps et de la gouvernante du fils du roi; je n'examinerai pas si le roi a fui volontairement de lui-même, ou si, de l'extrémité des frontières, un citoyen l'a enlevé par la force de ses conseils ; je n'examinerai pas si les peuples en sont encore aujourd'hui au point de croire qu'on enlève les rois comme les femmes. (On rit; on murmure.) Je n'examinerai pas non plus si, comme l'a pensé M. le rapporteur, le départ du roi n'était qu'un voyage sans sujet, une absence indifférente, ou s'il faut le lier à tous les événemens qui ont précédé; s'il était la

suite ou le complément dès conspirations impunies, et par conséquent toujours renaissantes, contre la liberté publique; je n'examinerai pas même si la déclaration signée de la main da roi en explique le motif, où si cet acte est la preuve de cet attachement sincère à la révolution que Louis XVI avait professé plusieurs fois d'une manière si énergique. Je veux examiner la conduite du roi, et parler de lui comme je parlerais d'un roi de la Chine; je veux examiner avant tout quelles sont les bornes du principe de l'inviolabilité.

Le crime légalement impuni est en soi une monstruosité révoltante dans l'ordre social, ou plutôt il est le renversement absolu de l'ordre social. Si le crime est commis par le premier fonctionnaire public, par le magistrat suprême, je ne vois là que deux raisons de plus de sévir : la première, que le coupable était lié à la patrie par un devoir plus saint; la seconde, que comme il est armé d'un grand pouvoir, il est bien plus dangereux de ne pas réprimer ses attentats.

Le roi est inviolable, dites-vous; il ne peut pas être puni: telle est la loi.... Vous vous calomniez vous-mêmes! Non, jamais vous n'avez décrété qu'il y eût un homme au-dessus des lois, un homme qui pourrait impunément attenter à la liberté, à l'existence de la nation, et insulter paisiblement, dans l'opulence et dans la gloire, au désespoir d'un peuple malheureux et dégradé! Non, vous ne l'avez pas fait : si vous aviez osé porter une pareille loi, le peuple français n'y aurait pas cru, ou un cri d'indignation universelle vous eût appris que le souverain reprenait ses droits!

Vous avez décrété l'inviolabilité; mais aussi, Messieurs, avezvous jamais eu quelque doute sur l'intention qui vous avait dicté ce décret? Avez-vous jamais pu vous dissimuler à vous-mêmes que l'inviolabilité du roi était intimement liée à la responsabilité des ministres ; que vous aviez décrété l'une et l'autre parce que dans le fait vous aviez transféré du roi aux ministres l'exercice réel de la puissance exécutive, et que, les ministres étant les véritables coupables, c'était sur eux que devaient porter les pré

varications que le pouvoir exécutif pourrait faire? De ce système il résulte que le roi ne peut commettre aucun mal en administration, puisqu'aucun acte du gouvernement ne peut émaner de lui, et que ceux qu'il pourrait faire sont nuls et sans effet; que, d'un autre côté, la loi conserve toute sa puissance contre lui. Mais, Messieurs, s'agit-il d'un acte personnel à un individu revêtu du titre de roi? s'agit-il, par exemple, d'un assassinat commis par cet individu? Cet acte est-il nul et sans effet, ou bien y a-t-il là un ministre qui signe et qui réponde?

Mais, nous a-t-on dit, si le roi commettait un crime, il faudrait que la loi cherchât la main qui a fait mouvoir son bras..... Mais si le roi, en sa qualité d'homme, et ayant reçu de la nature la faculté du mouvement spontané, avait remué son bras sans agent étranger, quelle serait donc la personne responsable?

Mais, a-t-on dit encore, si le roi poussait les choses à certain excès, on lui nommérait un régent.... Mais si on lui nommait un régent, il serait encore roi; il serait donc encore investi du privilége de l'inviolabilité. Que les comités s'expliquent donc clairement, et qu'ils nous disent si dans ce cas le roi serait encore inviolable?

La meilleure preuve qu'un système est absurde, c'est lorsque ceux qui le professent n'oseraient avouer les conséquences qui en résultent. Or, c'est à vous que je le demande, vous qui sou, tenez ce système avec tant d'énergie: si un roi dépouille par la force la veuve et l'orphelin; s'il engloutit dans ses vastes domaines la vigne du pauvre et le champ du père de famille; s'il achète les juges pour conduire le poignard des lois dans le sein de l'innocent, la loi lui dira-t-elle: Sire, vous l'avez fait sans crime; ou bien: Vous avez le droit de commettre. impunément tous les crimes qui paraîtront agréables à votre majesté !... '.

Législateurs, répondez vous-mêmes sur vous-mêmes, Si un roi égorgeait votre fils sous vos yeux (murmures), s'il outra geait votre femme ou votre fille, lui diriez-vous: Sire, vous usez de votre droit; nous vous avons tout permis?... Permettriez-vous au citoyen de se venger? Alors vous substituez la violence parti

culière, la justice privée de chaque individu à la justice calme et salutaire de la loi; et vous appelez cela établir l'ordre public, et vous osez dire que l'inviolabilité absolue est le soutien, la base immuable de l'ordre social!

Mais, Messieurs, qu'est-ce que toutes ces hypothèses particulières, qu'est-ce que tous ces forfaits auprès de ceux qui menacent le salut et le bonheur du peuple? Si un roi appelait sur sa patrie toutes les horreurs de la guerre civile et étrangère; sî, à la tête d'une armée de rebelles et d'étrangers, il venait ravager son propre pays, et ensevelir sous ses ruines la liberté et le bonheur du monde entier, serait-il inviolable?

Le roi est inviolable! Mais vous l'êtes aussi, vous! Mais avezvous étendu cette inviolabilité jusqu'à la faculté de commettre le crime? Et oserez-vous dire que les représentans du souverain ont des droits moins étendus pour leur sûreté individuello, que celui dont ils sont venus restreindre le pouvoir, celui à qui ils ont délégué au nom de la nation le pouvoir dont il est revêtu? Le roi est inviolable !· Mais les peuples ne le sont-ils pas aussi ? Le roi est inviolable par une fiction ; les peuples le sont par le droit sacré de la nature; et que faites-vous en couvrant le roi de l'égide de l'inviolabilité, si vous n'immolez l'inviolabilité des peuples à celle des rois (Applaudissemens de la minorité du côté gauche.) Il faut en convenir, on ne raisonne de cette manière que dans la cause des rois.... Et que fait-on en leur faveur ? Rien; mais on fait tout contre eux ; card'abord, en élevant un homme au-dessus des lois, en lui assurant le pouvoir d'être criminel impunément, on le pousse par une pente irrésistible dans tous les vices et dans tous les excès; on le rend le plus vil et par conséquent le plus malheureux des hommes; on le désigne comme un objet de ven geauce personnelle à tous les innocens qu'il a outragés, à toub les citoyens qu'il a persécutés ; car la loi de la nature, antérieure aux lois de la société, crie à tous les hommes que lorsque la loi ne les venge point, ils recouvrent le droit de se venger euxmêmes; et c'est ainsi que les prétendus apôtres de l'ordre public renversent tout, jusqu'aux principes du bon sens et de l'ordre

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