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Mais il n'est pas un Gustave, et nous ne sommes ni des Dalecar liens, ni des Russes. La Newa ne coule point en France.

› Sera-t-on effrayé des mouvemens de l'Espagne ? Mais les agitations de son roi, le changement de ses ministres, les réformes partielles que tente son ministère, la prohibition de nos ouvrages, la convocation des cortès, la formation d'un cordon de troupes: tous ces mouvemens enfin ne prouvent-ils pas plutôt les terreurs que les projets hostiles du roi d'Espagne? Frappé à mort, comme tous les autres souverains, il s'agite pour parer le coup; et quand ses trésors ne seraient pas épuisés, quand il aurait du crédit, des armées et des provisions, la disposition des esprits est telle, et il le sait, que donner le signal de franchir les Pyrénées, c'est appeler la liberté dans son royaume.

> Est-ce enfin le roi de Sardaigne, qui, avec quelques milliers d'hommes qu'il promène dans ses États, donne des convulsions à nos profonds politiques? Mais des millions de Français peuventils redouter un prince auquel une poignée d'écoliers a donné dernièrement la loi dans sa propre capitale?

De ces tableaux, que résulte-t-il? Que toutes les puissances étrangères ont à craindre les effets de la révolution française; que la France n'a rien à craindre d'elles. Il en résulte que ces puissances se borneront à chercher à nous effrayer par des épouvantails, mais ne réaliseront jamais leurs menaces. Et dussent-elles les réaliser, il n'est pas d'un Français de les craindre; il serait digne de nous de les prévenir. Ah! ces craintes seraient depuis long-temps éteintes, si notre ministère avait été composé de patriotes, ou si l'assemblée nationale avait voulu prendre une attitude imposante vis-à-vis de toutes les puissances de l'Europe. Le stathouder de Hollande eut l'audace de menacer le long parlement d'Angleterre, et ce parlement lui déclara aussitôt la guerre. Louis XIV et Mazarin donnèrent une retraite au fils de Charles Ier; le parlement fait signifier à l'orgueilleux monarque de chasser Charles de ses États; et le souple Mazarin obéit. Observez que ce parlement, qui bravait ainsi les puissances étrangères, avait à soumettre dans son sein et l'Ecosse et

l'Irlande rebelles ; qu'il n'avait que 40 à 50 mille soldats à ses ordres : et nous avons 3 millions de citoyens soldats. L'étranger le craignait ; il nous craindra, si la France veut enfin prendre le ton qui convient à des hommes justes et libres vis-à-vis des tyrans que notre silence seul enhardit: alors nos fugitifs disparaîtront de leurs États, et l'on n'agitera plus les esprits avec de fausses

eraintes. ›

Ici le Moniteur termine son extrait. Brissot finit ainsi son dis

cours :

Nos vrais ennemis, Messieurs, ce ne sont pas les étrangers, mais bien ceux qui se servent de leur nom pour effrayer les esprits; nos ennemis sout ceux qui, quoique se détestant, se coalisent pour déshonorer et désunir la nation, en rétablissant un gouvernement sans confiance, et qu'ils espèrent maîtriser; nos ennemis sont ceux qui après avoir fastueusement établi la déclaration des droits, effacent successivement tous ces droits par des lois de détail; nos ennemis sont ceux qui veulent conserver au chef du pouvoir exécutif, une liste civile effroyable, et qui regardent la corruption comme un élément nécessaire de notre gouvernement; nos ennemis enfin sont ceux qui nous disent oubliez la trahison, ou craignez les étrangers.

› Un Français se décider par la crainte des étrangers! Il n'y a plus de liberté quand on écoute ces craintes, et il faut être ou lâche ou mauvais citoyen pour les invoquer. Je fais done la mo tion expresse que tout individu qui opposerait au cri unanime de la justice et de la liberté la crainte des puissances étrangères, soit déclaré indigne du nom français, indigne de cette société; que cette résolution inscrite sur vos registres, soit envoyée à toutes les sociétés affiliées.

› J'ajoute encore la motion que le système de l'inviolabilité absolue du roi, et surtout en matière de crimes contre la nation, soit regardée comme attentatoire à la souveraineté de la nation et de la loi, et qu'en conséquence on déclare que le roi peut et doit être jugė.› (Le Patriote français, du 15.)

Assemblée nationale.

Muguet, au nom des comités réunis de constitution, des recherches, diplomatique, etc., fit, le 13, un rapport sur la fuite du roi. Il conclut en disant que ce n'était pas un délit constitutionnel; que d'ailleurs le principe de l'inviolabilité ne permettait pas de mettre Louis XVI en cause. Il proposa que Bouillé, ses complices et ses adhérens, fussent traduits à la haute-cour nationale. Une partie de la gauche demanda l'ajournement, dans le but de laisser à la France le temps de manifester son vœu sur le parti que l'assemblée devait prendre à l'occasion de Louis XVI. Dandré s'y opposa, afin, dit-il, de faire cesser la lutte des factieux contre l'intérêt public. Robespierre vota pour J'ajournement. Charles Lameth lui répondit, et l'assemblée ayant adopté ses conclusions, on entra sur-le-champ en discussion. Les orateurs entendus pendant les séances des 13, 14 et 15, furent, contre l'inviolabilité, MM. Pétion, Putraink, Vadier, Robespierre, Prieur, Grégoire et Buzot.Pour: MM. Larochefoucault Liancourt, Prugnon, Duport, Goupil de Préfeln, Salles et Barnave. Nous citerons trois opinions contre, et trois pour. Nous avons choisi, d'un côté, celles de MM. Vadier, Robespierre et Grégoire. Vadier parlait pour la première fois. Nous ferons suivre son discours d'un article assez curieux de Marat. De l'autre côté, nous avons pris les opinions de MM. Goupil, Salles et Barnave.

A la fin de la séance du 14, le président annonça une pétition, signée de cent personnes, sur l'objet de la discussion. Barnave en fit envoyer la lecture au lendemain. Cette adresse, dont nous indiquerons ailleurs l'origine, fut lue en effet au commencement de la séance du 15. Voici cette pièce:

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C'est pour lui donner une constitution, et non pour établir sur le trône un chef traître à ses sermens, que la nation vous a envoyés. Justement alarmés des dispositions du projet qui vous est présenté par vos comités, nous venons vous inviter à dissiper nos inquiétudes. Lorsque les Romains voyaient la patrie en danger, ils se rassemblaient comme peuple, et les sénateurs ve

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naient parmi eux pour recueillir leur vœu. C'est avec ce carac tère, que nous tenons des Romains, que nous venons vous prier de ne rien statuer jusqu'à ce que le vœu de toutes les communes du royaume se soit manifesté. Craignez de couronner les atroces perfidies de nos ennemis ; et n'oubliez pas que tout décret qui ne se renfermerait pas dans les bornes du pouvoir qui vous est confié, est, par-là même, frappé de nullité.

Suivent 100 signatures.

Les tribunes applaudissent.

Signé, LE PEUPLE, ›

M. le président rappelle aux tribunes le respect qu'elles doivent à l'assemblée, et leur défend de donner aucun signe d'approbation ou d'improbation. — L'assemblée passe à l'ordre du jour.]

Opinion de Vadier. - SÉANCE DU 13.

[M. Vadier. Le décret que vous allez rendre décidera du salut ou de la subversion de l'empire. Un grand crime a été commis; il existe de grands coupables: l'univers vous regarde, et la postérité vous attend. Vous pouvez en un instant perdre ou consolider vos travaux. Il est, selon moi, une question préliminaire à celle de l'inviolabilité: c'est celle de savoir si un roi parjure qui déserte son poste, qui emmène avec lui l'héritier présomptif de la couronne, qui se jette dans les bras d'un général perfide qui veut assassiner sa patrie, qui répand un manifeste où il déchire la constitution; si, dis-je, un tel homme peut ensuite être qualifié du titre de roi des Français : l'inviolabilité ne réside plus sur sa tête depuis qu'il a abdiqué sa couronne. (Quelques membres de la partie gauche et les tribunes applaudissent.) Aucun de nous a-t-il pu entendre qu'un brigand couronné......... (La grande majorité de la partie gauche murmure. Quelques applaudissemens se font entendre dans la salle et les tribunes. — Plusieurs membres de la partie droite se lèvent avec précipitation et menacent l'opinant.)

Aucun de nous a-t-il pu croire qu'un brigand couronné pút impunément massacrer, incendier, appeler dans le royaume des

satellites étrangers? Une telle monstruosité enfanterait bientôt des Nérons et des Caligulas. (On entend des applaudissemens.) Je fais une question à ceux qui proposent de remettre le roi sur le trône: lorsqu'il s'agira de l'exécution de vos lois contre les traîtres à la patrie, sera-ce au nom d'un transfuge, d'un parjure, que vous la réclamerez? sera-ce au nom d'un homme qui les a si ouvertement violées? Jamais une nation régénérée, jamais les Français ne s'accoutumeront à un pareil genre d'ignominie. N'est-ce donc pas assez d'avoir acquitté les déprédations de sa faiblesse, d'avoir sauvé son règne d'une infàme banqueroute? Ses valets, dont le faste contraste tant avec le régime de l'égalité, nous accusent encore de parcimonie. (Les applaudissemens recommencent.) La sueur et le sang de plusieurs millions d'hommes ne peut suffire à sa subsistance. Je ne veux pas vous rappeler ici les circonstances de son règne, cette séance royale, ces soldats envoyés pour entourer l'enceinte où vous étiez rassemblés; en un mot, la guerre et la famine dont on voulait en même temps affliger le royaume. Jetons sur tous ces désastres un voile religieux. (L'agitation se manifeste dans diverses parties de la salle.) On m'accuse de parler comme Marat: je fréquenté peu la tribune. (Plusieurs voix s'élèvent dans la partie droite: Tant mieux, monsieur, tant mieux.) Je n'ai d'autre éloquence que celle du coeur, je dois mon opinion à mes commettans; je la déclarerai même au péril de ma vie. La nation vous a revêtus de sa confiance; vous connaissez son vœu, ne tergiversez pas, ou bien empressez-vous de rendre aux corps électoraux l'activité que vous leur avez ôtée. Mais n'allez pas vous charger d'une absolution qui ne peut que flétrir votre gloire. (Nouveaux applaudissemens.) Je conclus à ce que les complices, fauteurs et adhérens de la fuite du roi, soient renvoyés à la cour provisoire séante à Orléans ; que l'activité soit rendue aux corps électoraux pour choisir vos successeurs, et qu'il soit nommé une convention nationale pour prononcer sur la déchéance de la couronne que Louis XVI a encourue. (Les applaudissemens de quelques membres de la partie gauche et des tribunes recommencent.)]

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