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d'important, parce que la valeur de l'assemblée nationale, comme pouvoir organisateur, y est intégralement contenue. Le mode de la conception, celui de la rédaction, celui des débats euxmêmes, sont ici une démonstration de premier ordre en matière de science sociale. Nous avons dit que l'assemblée, livrée à des procédés éclectiques, avait choisi dans le milieu qui lui était offert; qu'elle avait consacré les intérêts maîtres du présent, et les avait fortifiés contre les retours du passé monarchique, et contre l'avenir de la classe passive. Nous avons attribué cette grave erreur à l'oubli total de la méthode sans laquelle l'activité humaine ne peut aboutir à aucune véritable création. La moindre réflexion sur les oeuvres des anciens législateurs, sur la pensée émise de tout temps par les philosophes publ.cistes, nous montre la physiologie de l'homme prise pour type de la société. Unité de principe, unité de fonction, unité de but, telle à été la formule générale selon laquelle ont été institués tous les peuples qui ont laissé un nom dans l'histoire; telle est l'abstraction fondamentale qui sert d'appui aux spéculations des théoriciens. Or, la constituante ne marche nullement dans cette voie ; efle détruisit, autant qu'il était en elle, la nationalité française, car elle méconnut et son passé et son avenir. Il lui fallait donc, pour être réellement constituante, créer une nouvelle nation; il lui fallait appliquer la méthode physiologique, et organiser la société dont elle serait la mère, en se conformant à la donnée absolue de toute organisation, unité de principe, unité de fonction, unité de but. Ses calculs se bornèrent à la juxtà-position la mieux entendue de ce qu'elle appela les droits naturels. Il en résulta une agrégation, et non pas une constitution; un corps brut retenu par des affinités chimiques dans le lien commun de l'inertie, et non pas un corps vivant fait pour agir. On verra quel éclec tisme présida à la collection des faits qu'elle revêtit de la forme axiomatique, et dont elle décora l'agrégat du nom d'acté constitutionnel. Son opération consista à trier et à réunir, comme Thouret le dit plus bas; et ces mots nous dispensent de plus

longs commentaires. Nous passons au premier chapitre que nous avons annoncé.

PROJET DU COMITÉ DE CONSTITUTION.

SÉANCE DU 5 AOUT.

M. Thouret. La nuit dernière était l'anniversaire de l'époque à jamais mémorable où tant d'abus furent renversés; la séance actuelle est l'anniversaire de celle où vous commençâtes à poser les premières bases du majestueux édifice qui s'achève : c'est à l'expiration juste de la seconde année de votre session, que votre comité vient vous présenter le produit de vos travaux. Comme la lecture que je vais faire ne doit être suivie maintenant d'au cune discussion, je ne donnerai aucune explication : un simple exposé laissera vos réflexions plus libres.

CONSTITUTION FRANÇAISE.

Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

Les représentans du peuple français, constitués en ASSEMBLÉE NATIONALE, considérant que l'ignorance, l'oubli ou le mépris des droits de l'homme, sont les seules causes des malheurs pu. blics et de la corruption des gouvernemens, ont résolu d'exposer, dans une déclaration solennelle, les droits naturels, inaliénables et sacrés de l'homme, afin que cette déclaration, constamment présente à tous les membres du corps social, leur rappelle sans cesse leurs droits et leurs devoirs; afin que les actes du pouvoir législatif et ceux du pouvoir exécutif, pouvant être à chaque instant comparés avec le but de toute institution politique, en soient plus respectés; afin que les réclamatious des citoyens, fondées désormais sur des principes simples et incontestables, tournent toujours au maintien de la constitution et au bonheur de tous.

En conséquence, l'assemblée nationale reconnaît et déclare, en présence et sous les auspices de l'Etre-Suprême, les droits suivans de l'homme et du citoyen:

Art. I. Les hommes naissent et demeurent libres et égaux

"

en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l'utilité commune.

II. Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l'oppression.

III. Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d'autorité qui n'en émane expressément.

IV. La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui; ainsi l'exercice des droits naturels de chaque homme n'a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits: ces bornes ne peuvent être déterminées que par la loi.

V. La loi n'a le droit de défendre que les actions nuisibles à la société. Tout ce qui n'est pas défendu par la loi, ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu'elle n'ordonne pas.

VI. La loi est l'expression de la volonté générale. Tous les citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs représentans, à sa formation. Elle doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse. Tous les citoyens étant égaux à ses yeux, sont également admissibles à toutes les dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talens.

VII. Nul homme ne peut être accusé, arrêté, ni détenu, que dans les cas déterminés par la loi, et selon les formes qu'elle a prescrites. Ceux qui sollicitent, expédient, exécutent ou font exécuter des ordres arbitraires, doivent être punis; mais tout citoyen appelé ou saisi en vertu de la loi, doit obéir à l'instant : il se rend coupable par la résistance.

VIII. La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée.

IX. Tout homme étant présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable, s'il est jugé indispensable de l'arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s'assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi.

X. Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la loi.

XI. La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux, de l'homme tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi.

XII. La garantie des droits de l'homme et du citoyen nécessite une force publique: cette force est donc instituée pour l'avantage de tous, et non pour l'utilité particulière de ceux auxquels elle est confiée.

XIII. Pour l'entretien de la force publique et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable: elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés.

XIV. Tous les citoyens ont le droit de constater, par euxmêmes ou par leurs représentans, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d'en suivre l'emploi, et d'en déterminer la quotité, l'assiette, le recouvrement et la durée.

XV. La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration.

XVI. Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de constitution.

XVII. Les propriétés étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité.

L'assemblée nationale, voulant établir la constitution française sur les principes qu'elle vient de reconnaître et de déclarer, abolit irrévocablement les institutions qui blessaient la liberté et l'égalité des droits.

Il n'y a plus ni noblesse, ni patrie, ni distinctions héréditaires, ni distinction d'ordres, ni régime féodal, ni justices patrimoniales, ni aucun des titres, dénominations et prérogatives qui en dérivaient, ni aucun des ordres de chevalerie, corporations ou décorations, pour lesquels on exigeait des titres de noblesse, ni aucune autre supériorité, que celle des fonctionnaires publics dans l'exercice de leurs fonctions.

Il n'y a plus ni vénalité ni hérédité d'aucun office public.

Il n'y a plus, pour aucune partie de la nation, ni pour aucun individu, aucun privilége ni exception au droit commun de tous les Français.

Il n'y a plus ni jurandes, ni corporations de professions, arts et métiers.

La loi ne reconnaît plus de vœux religieux, ni aucun autre en gagement qui serait contraire aux droits naturels, ou à la cons titution.

TITRE 1er.

Dispositions fondamentales garanties par la constitution.

La constitution garantit, comme droits naturels et civils: 1° Que tous les citoyens sont admissibles aux places et emplois, sans autre distinc ion que celles des vertus et des talens;

2o Que toutes les contributions seront réparties entre tous les citoyens également en proportion de leurs facultés ;

3° Que les mêmes délits seront punis des mêmes peines, sans aucune distinction des personnes.

La constitution garantit pareillement, comme droits naturels et civils:

La liberté à tout homme d'aller, de rester, de partir, sans pouvoir être arrêté, accusé, ni détenu, que dans les cas déterminés par la loi, et selon les formes qu'elle a prescrites;

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