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DE LA

RÉVOLUTION

FRANÇAISE.

JUILLET 1791. — (SUITE.)

Nous nous sommes arrêtés, dans le volume précédent, à la discussion que l'assemblée nationale allait ouvrir sur les résultats constitutionnels que devait entraîner la fuite à Varennes. Notre coup-d'œil préliminaire sur le mois dont nous reprenons ici la continuation, nous dispense de particulariser de nouveau l'état des esprits à l'égard de la question toute nationale qu'il s'agissait de résoudre. Nous avons donné les manifestes des partis, leurs conclusions respectives; nous avons constaté les agitations de la presse, des clubs, de la place publique. Il nous faut maintenant aborder les luttes régulières. La société des Jacobins traita de l'inviolabilité du roi, pendant la première quinzaine. Le discours le plus remarqué alors parmi ceux qui y furent prononcés, est

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celui de Brissot. Nous le transcrirons immédiatement. Viendront ensuite les opinions émises au sein de la constituante. La journée du 17 juillet terminera cette première moitié du mois, selon la division que nous avons indiquée.

DISCUSSION SUR LA QUESTION DU ROI.

Opinion de Brissot.

(Club des Jacobins.)

M. Brissot. La question importante, que vous agitez maintenant, offre cinq branches, qui, toutes présentent un égal intérêt.

Le roi sera-t-il jugé?

Par qui sera-t-il jugé?

› Dans quelle forme sera-t-il jugé?

› Comment sera-t-il provisoirement remplacé?

› Comment le sera-t-il définitivement, s'il est destitué?

> Toutes ces questions doivent être traitées séparément, avec cette lenteur, cette réflexion que commande l'importance de ce procès national, avec cette solennité qui doit entourer une nation, qui accuse du plus grand des crimes un de ses représentans, avec cette liberté, cette franchise d'opinion, qui caractérisent des amis de la liberté.

› M. Pétion a, dans la dernière séance, sagement circonscrit la discussion actuelle à la première de ces questions: Le roi serat-il, peut-il êre jugé? Respectant la limite qu'il a posée, et que vous avez paru approuver, je m'y renfermerai. Je ne traiterai donc, quant à présent, aucune des questions subséquentes, quoique nos adversaires cherchent à les cumuler, à les confondre, afin d'égarer les esprits, afin de leur inspirer des préventions contre le parti sévère que commandent l'intérêt, la justice et la majesté nationale. Ce n'est pas, Messieurs, que nous redoutions le combat qui nous est offert par nos adversaires. Oui, quand il en sera temps, nous leur prouverons que, soit que le roi conserve sa couronne, soit qu'on le remplace; le salut du peuple, le salut de la constitution exigent que le trône soit entouré d'un

conseil, qui, tenant ses pouvoirs du peuple, inspire la confiance au peuple. Nous leur prouverons que cette forme, loin d'altérer la constitution française, est conforme à cette constitution, conforme à ses bases essentielles; nous leur prouverons qu'ils ont toujours ignoré ou feint d'ignorer ces bases; qu'ils ont constamment déliré ou trompé dans leurs accusations contre le républi canisme; qu'en calomniant, sous ce mot vague, le gouvernement représentatif, ils calomnient la constitut on française; nous leur prouverons que ceux qu'ils appellent républicains, sont les plus fermes défenseurs de cette constitution; nous leur prouverons enfin que le mode du conseil électif déjà présenté dans cette tribune, est le seul capable de ramener la confiance dans le pouvoir exécutif, et par conséquent, sa force, et par conséquent 'a paix et l'harmonie ; tandis que le mode proposé par eux n'est propre qu'à couvrir d'opprobre le peuple français, en semant la discorde et l'anarchie.

› Alors, Messieurs, dans cette discussion solennelle qui, je l'espère, aura lieu dans cette assemblée, disparaîtra completement le mal-entendu qui divise les patriotes; mal-entendu qu'entretiennent l'artifice et les calomnies de nos ennemis, et dont un mot peut d'avance détruire tout le poison.

› Que veulent ceux qui s'élèvent ici contre les républicains? Craignant l'anarchie, la voyant dans les assemblées tumultueuses, ils redoutent, ils détestent les démocraties tumultueuses d'Athènes et de Rome; ils redoutent la division de la France en républiques fédérées; ils ne veulent que la constitution française, la constitution représentative: ils ont raison. Que veulent de leur côté ceux qu'on appelle républicains? Ils craignent, ils rejettent également les démocraties tumultueuses d'Athènes et de Rome; ils redoutent également les quatre-vingt-trois républiques fédérées; ils ne veulent que la constitution représentative, homogène de la France entière.... Nous sommes donc tous d'accord; nous voulons tous la constitution française,

› La seule question qui nous divise en apparence, se réduit à ceci : Le chef du pouvoir exécutif a trahi ses sermens, a perdu

la confiance de la nation. Ne doit-on pas, si on le rétablit ou si on le remplace par un enfant, les investir d'un conseil électif qui inspire la confiance, si nécessaire dans ces momens de troubles?

› Les patriotes disent oui; ceux qui veulent disposer ou d'un roi méprisé ou de son faible successeur, disent non, et crient au républicanisme! afin qu'on ne crie pas contre eux à la liste civile! Voilà, messieurs, tout le mystère; voilà la clef de cette accusation ridicule de républicanisme. Ce n'est donc ici qu'un combat entre les principes et une ambition cachée entre les amis de la constitution et les amis de la liste civile.

› Mais avant de discuter quel mode de emplacement est le meilleur, il est indispensable d'examiner si le roi sera jugé; car, s'il ne l'est pas, la deuxième discussion devient inutile.

› Je reviens donc à la seule question que je me suis proposé de traiter aujourd'hui. Je vous devais ce préliminaire pour rassurer la fraternité qui nous unit tous, pour dissiper les angoisses que ressentaient ceux qui croyaient voir la violation de nos principes constitutionnels, dans l'approbation ou dans l'improbation des principes républicains, et qui gémissaient de ce schisme.

› Le roi sera-t-il jugé? Cette question en offre deux : Peut-il être, doit-il être jugé? Les comités soutiennent qu'il ne le peut pas, qu'il ne le doit pas ; ils s'appuient, au premier égard, sur l'inviolabilité du roi; au second, sur la crainte des puissances étrangères : c'est à ces deux argumens que je vais m'attacher. Je viens d'abord à celui de l'inviolabilité.

› M. Pétion avait bien raison de vous dire qu'il ne concevait pas comment cette question en faisait une; car à consulter le bon sens, la déclaration des droits, la constitution, les usages des peuples libres, ceux de nos ancêtres, les opinions des auteurs les plus estimés, un roi criminel inviolable est la monstruosité la plus révoltante.

› Nous ne parlons pas de l'inviolabilité constitutionnelle, de celle à l'aide de laquelle un roi ne répond point de ses actes administratifs. Cette irresponsabilité est décrétée; elle ne peut donc être contestée quoique ce ne soit qu'une fiction, elle n'est pas

dangereuse, parce que ces sortes d'actes devront être contresignés par un ministre responsable: le peuple a toujours un garant sous la main.

› Mais on veut appliquer cette inviolabilité à tous les actes extérieurs et personnels du roi on veut qu'il soit inviolable, soit qu'il attente ouvertement aux droits et à la sûreté des individus, soit qu'il attaque à main armée la liberté de son pays.

› Cette doctrine prouve le danger d'introduire des fictions dans les constitutions: on a dit d'après les Anglais : le roi ne peut faire du mal comme roi; donc il est inviolable. Et dès courtisans, et les valets des rois en concluent que le roi ne peut pas faire de mal comme individu, et que par conséquent qu'il ne peut jamais être ni jugé ni púni, quoique dans la réalité il commît les crimes les plus affreux. Si, disent-ils, vous admettez son infaillibilité comme roi, pourquoi ne l'admettriez-vous pas comme homme? C'est toujours le même homme, et la seconde fiction ne choque pas plus que la première.

Je ne viens point justifier ici la première inviolabilité; je m'y soumets, elle est décrétée; mais je soutiens que si l'on admet la seconde, il n'y a plus ni principes, ni déclaration de droits, ni souveraineté de la nation, ni constitution, ni liberté.

› Le bon sens veut en effet que la peine suive le délit ; et ne pas appliquer la peine là où est le délit, c'est l'encourager. Le bon sens veut qu'un homme ne soit pas déclaré impeccable, lorsqu'il n'est qu'un homme, et qu'il ne soit pas déclaré impunissable, lorsque le ciel ne l'a pas fait impeccable. Les Égyptiens qui croyaient aussi la royauté un élément nécessaire du gouvernement, mais qui voulaient se délivrer du mal que les rois animés leur faisaient, les avaient remplacés par une pierre qu ils mettaient sur le trône. Les Scieks y mettent l'alcoran et un sabre, et vivent en républicains. Si la pierre et l'alcoran sont impunissables, ils sont au moins impeccables; ils ne conspirent pas contre la nation.

› La déclaration des droits veut que tous les citoyens soient égaux devant la loi. Or, cette égalité n'existe plus du moment qu'un homme est au-dessus de la loi, et la déclaration des droits

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