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s'enveloppe le mensonge, ont été saisies, menées au comité, et de là à la prison, pour avoir eu l'air de blâmer la conduite prévôtale des gardes nationaux au Champ-de-Mars le 17.

› Les épanchemens de l'amitié sont devenus des crimes d'État. Le silence des tombeaux règne jusque dans les cafés; l'esprit public est tellement changé, que le théâtre de la nation, où les fiers accens de la liberté, sortis de la bouche de Brutus, avaient reçu tant d'applaudissemens, retentit maintenant de bravos serviles représentant le peuple juif à genoux aux pieds de son nouveau roi. Pourquoi, depuis que les acteurs du théâtre de Molière ont été à la barre de l'assemblée faire vœu de ne jouer que des pièces patriotiques, ont-ils retranché les vers que M. Ronsin ajouta dans sa Ligue des tyrans, à l'occasion de la fuite de Louis XVI? Comment se fait-il que M. Rousin souffre cette coupure, si le drame lui appartient encore? S'il n'est plus à lui, pourquoi une affiche ne prévient-elle pas le public de la lâcheté des acteurs de Molière? M. Ronsin avait placardé son épisode du monarque fuyard, le meilleur morceau, sans contredit, de la pièce.

› On sait que le Théâtre-Français de la rue de Richelieu a fait la dépense des décorations de la tragédie du Royaume en interdit, par M. Gudin: pourquoi les entrepreneurs de ce spectacle retardent-ils la représentation de cette pièce, si bien à l'ordre du jour? Les honnêtes gens répugnent à croire que ce soit par obéissance à des ordres secrets. De pareils commandemens, au sujet de la tragédie de Charles IX, furent regardés dans le temps comme non-avenus. On travaille de toutes les manières, on tourmente en tous sens l'opinion publique. Dès le lendemain du massacre au nom de la loi, tous les coins de rue offraient à lire aux passans bénévoles une adresse de félicitations et d'encouragement aux gardes nationaux, apparemment comme pour aller au-devant de leurs remords: et en effet, deux sous-officiers, dans différentes sections, se sont brûlé la cervelle quelques jours après. Il en est pourtant auxquels la conscience n'a rien dit. Un grenadier, entre autres (par pitié pour lui nous tairons son nom et son état civil), se vanta d'avoir été faire sa décharge de mousqueterie, en ajou

tant que sa joie eût été complète, s'il avait pu coucher en joue Robespierre..... Citoyens! contenez votre indignation: il est des monstres dans la nature, pourquoi n'y en aurait-il pas dans la société? Chaque matin on publie un pamphlet-journal, intitulé le Chant du coq, dans lequel, en effet, on renie impudemment tous les bons principes, et l'on renonce aux sentimens d'honneur. On essaie aussi de porter atteinte à la réputation de quelques journalistes courageux. Cet écrit calomnieux est pourtant signé. Parmi les noms, on lit un sieur Auguste, capitaine aristocrate de la garde nationale, orfèvre breveté du roi, et l'agent secret de la reine pour tirer parti de la fonte des cloches; les autres signataires sont de la même pâte. Cette compagnie n'est pas d'humeur certainement à sacrifier douze louis chaque matin pour l'instruction du peuple. Citoyens, veillez sur les prête-noms, et tâchez de lever le masque. Les fauteurs des Tuileries et les sept comités du manége doivent y être pour quelque chose.

› Trois jours après le 17, une nouvelle édition de la loi martiale fut placardée sur tous les murs de Paris. Quel procédé ! En conçoit-on de plus atroce et de plus inconséquent? Rappeler la loi trois jours après le massacre commis en vertu de la loi! Si le châtiment doit marcher sur les traces du crime, c'est à la loi à prendre le devant. Ici l'ordre est renversé. Magistrats du peuple, êtes-vous stupides ou féroces? Il faut que vous soyez l'un ou l'autre, choisissez; car nous souffririons trop à vous croire l'un et l'autre. C'est la veille qu'il fallait remettre la lọi sous les yeux de vos concitoyens égarés. Mais, direz-vous, pouvions-nous prévoir les événemens du dimanche 17? — Mais, vous répondrons-nous, quand il s'agit de mettre à exécution une loi de sang, on y regarde à deux fois. On dirait que vous aviez soif de carnage. Il vous tardait donc bien de faire usage de cette arme si difficile à manier, et dont les coups sont si terribles (1) ?

(1) M. Bailly ne connaît peut-être pas la définition de la loi martiale anglaisc; la volci : « C'est une loi qui met pour un certain temps tout le pays sous la juridiction militaire, ou du moins qui suspend tout ce qui pourrait la gêner.» M. le commandant-général aurait bien dû faire part de cette définition à M. le maire. (Note de Prudhomme.)

Appréhendiez-vous que le glaive de la loi ne se rouillât en restant trop long-temps dans le fourreau ? Il en va de même de votre drapeau de mort: au lieu de le laisser flotter aux fenêtres de votre maison-commune, douze ou quinze jours après le voyage que vous lui fites faire au Champ-de-Mars, que ne l'exposiez-vous douze ou quinze jours d'avance? Vous vous intitulez complaisamment les tuteurs, les pères du peuple. Un père, un tuteur menace long-temps avant de frapper; il ne tue pas ses enfans pour leur apprendre à vivre.

› Mais vous aviez besoin de pièces justificatives. Ni le drapeau rouge prudemment exposé après le danger, ni les détours piteux du maire, ni la réponse congratulatoire du président, ni le volumineux procès-verbal de la municipalité, ne laveront la tache indélébile du sang de vos frères qui a rejailli sur vos écharpes : il en est tombé sur vos cœurs. C'est un poison lent qui flétrira vos jours jusqu'au dernier. (Extrait des Révolutions de Paris, n° CVII.)

Assemblée nationale. Du 29 au 31 juillet.

Chacune des séances que nous avons à analyser débute par des lectures d'adresses exprimant la soumission la plus complète aux décrets des 15 et 16 juillet. Le Moniteur ne cite qu'une faible partie des noms de villes, de sociétés, ou de départemens, auxquels ces envois appartiennent. Il nous est donc impossible de tenter à cet égard, même un calcul approximatif. Nous remarquerons toutefois que la plupart des lettres imprimées par ordre de l'assemblée, et celles-là sont en bien petit nombre, sont écrites par les corps administratifs, ou par les états-majors des gardes nationales. Brissot insinue que l'assemblée laissait dormir dans ses cartons celles non moins nombreuses improbatives de sa conduite. Et l'on est fier, dit-il, de quelques adresses rédigées à Paris, copiées dans les départemens! et l'on est fier de ces adhésions fabriquées dans la capitale ! et le département de Rouen ose dire qu'il ne relevera pas nos absurdités! Ah! laisseznous la liberté des opinions, ne mettez pas à la place la raison

par

des canons, et nous répondons de vous. ‹ (P. F. du 22 juillet.) La commune et la garde nationale de Rouen se firent distinguer leur empressement: l'assemblée reçut le 19 les actes de leur acquiescement illimité. Une députation de la ville de Chartres se présenta le même jour à la barre. Nous trouvons là-dessus, dans le Patriote français du 27: Sans chercher à affaiblir les adhésions données aux derniers décrets, nous devons dire la vérité telle qu'elle nous est transmise. Voici un passage très-court d'une lettre relative à la députation des départemens, district et municipalité de la ville de Chartres, pour complimenter l'assemblée nationale : « Cette députation a été imaginée par un seul homme, adoptée par quinze personnes au plus, qui ont osé prononcer, pour des corps qui n'ont pas été assemblés, un vœu qui n'a pas été expédié !>

Parmi les adresses où sont énergiquement consignés les reproches et le blâme, nous mentionnerons celles d'Issoire, de Riom et de Clermont-Ferrand. Trois griefs principaux y sont exposés : l'impunité des 290 signataires de la protestation royaliste, le trop long ajournement des élections suspendues en juin; enfin la précipitation du décret concernant Louis XVI. Une foule de villes avaient déjà dénoncé et dénonçaient incessamment les 290. Riom le fit avec tant d'éclat, qu'il s'ensuivit enfin une proposition. Dandré déclara que toute rébellion de la minorité contre la majorité étant une forfaiture, on devait punir de la déchéance ceux qui s'en étaient rendus coupables. Sa motion fut renvoyée au comité de constitution.

L'adresse de Clermont-Ferrand, lue dans la séance du 28 juillet, fut attaquée très-vivement par Lavigne, Biauzat et Dandré. Le Moniteur ne renfermant que la partie la moins sévère de cet écrit, nous le transcrivons du Patriote français du 30 juillet.

Pétition à l'assemblée nationale, par les citoyens libres de la ville de Clermont-Ferrand, chef-lieu du département du Puy-de-Dôme, le 19 juillet 1791.

Messieurs, vous avez, l'année dernière, fait espérer à la na

tion, par votre décret sur les assemblées administratives, de convoquer le nouveau corps-législatif à une époque très-rapprochée.

Votre comité de constitution annonça, il y a plusieurs mois, dans votre assemblée, que le 14 juillet la constitution serait finie.

Enfin, après avoir fixé définitivement, par un décret, au 5 juillet, la convocation des assemblées électorales, vous les avez depuis suspendues.

Trois fois l'espoir de la nation a été déçu, et elle ignore le terme où son sort sera fixé; et cependant des factieux menacent de déchirer leur patrie, et de renverser l'édifice de notre liberté.

Il est temps, Messieurs, que le peuple exerce sa souveraineté, et vous fasse connaître sa volonté. Nous avons déclaré la nôtre par deux pétitions du 14 juillet; nous en réitérons ici les principes, les sentimens et les résolutions.

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Et comme les dangers de la patrie sont encore plus pressans, il est de notre devoir de vous déclarer, Messieurs, que si, dans la quinzaine, votre décret qui suspend les assemblées électorales n'est pas révoqué, nous emploierons les moyens que la loi donne à un peuple souverain pour parvenir à cette convocation.

Nous sommes avec respect, Messieurs,

Les citoyens libres de la ville de Clermont-Ferrand, chef-lieu du département du Puy-de-Dôme.

Délibération des citoyens de la ville de Clermont-Ferrand, du mardi 19 juillet 1791.

Les citoyens de la ville de Clermont-Ferrand, consternés du décret rendu par l'assemblée nationale le 16 du présent mois de juillet, mais persuadés qu'un respect constant pour la loi est le seul moyen de préserver la France de l'anarchie, et de maintenir la liberté, déclarent qu'en obéissant provisoirement à ce décret, ils ne cessent d'en réclamer la révocation.

T. II.

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