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depuis long-temps elles avaient cessé d'être à craindre. Les fa çons de parler, les figures de rhétorique de l'orateur du peuple, n'ont point fait verser depuis deux années une seule goutte du sang qu'on a répandu dans la seule soirée du 17. Il convenait mal à des citoyens armés et souillés de meurtres, de venir mettre à la raison des écrivains accusés d'avoir conseillé le meurtre. Si dans leur indignation patriotique leur plume a distillé le fiel de la médisance et les poisons de la haine, il fallait les combattre avec les mêmes armes; les baïonnettes n'ont que faire là: elles ne prouvent que la raison du plus fort.

Si les circonstances, au-dessus desquelles nos législateurs surent avec tant de courage se placer au Jeu-de-Paume, ont plus d'empire sur eux dans la salle du manége, et ne leur permettent plus que des décrets inconstitutionnels, ile fallait pas renchérir sur eux, et donner une extension coupable et odieuse à celui contre les écrivains désignés comme séditieux. La loi porte qu'on s'assurera de leur personne; elle ne prononce pas confiscation et enlèvement des presses et des caractères. Le zèle de nos municipaux leur a fait franchir les bornes de la justice et même de l'équité.

Marat n'avait point d'imprimerie depuis quelque temps : il occupait celle de la demoiselle Colombe. Le nom de l'auteur de vait mettre à l'abri le typographe, et lui laisser la faculté de travailler. Autrefois il y avait des délits qui paraissaient tellement graves, qu'ils entraînaient dans leur châtiment la démolition même de la maison natale du coupable. La municipalité voudrait-elle remettre en lumière ce code barbare, monument détruit de l'antique despotisme? Le chien, blessé d'un coup de pierre, mord la pierre à défaut de la personne qui la lui à lancée, et cela est tout naturel. La municipalité n'est pas si raison nable. Malheur aux créanciers de celui qui l'a offensée! Ellé les enveloppe dans la disgrâce du prévenu, et leur enlève le gage de leur propriété. En l'absence de la personne capturée, sa femme et ses enfans ne pourront faire rouler ses presses pour satisfaire aux engagemens contraélés. Et comment s'acquitteront-ils du

droit de patente et de leur don patriotique? L'imprimerie est un meuble sacré, aussi sacré que le berceau d'un nouveau-né, que jadis les collecteurs de taille ne respectaient pas toujours. Mais sommes-nous déjà revenus précisément au même point d'où nous étions partis, avec le vœu bien prononcé de n'y jamais retourner? Les citoyens les plus modérés furent révoltés à la vue du cortège affligeant de trois ou quatre voitures s'acheminant vers la maison commune, environnées de baïonnettes, et char gées de tout l'attirail d'une imprimerie, à la suite des prisonniers accablés d'injures sur la route: plusieurs colporteurs garrottés fermaient cette marche triomphale.

■ Par un raffinement de perfidie, digne au reste du corps municipal qui se permet des applaudissemens féroces à la lecture du procès-verbal des horreurs commises le 17 au Champ-deMars (1), on eut le soin de faire subir le même sort à Sulleau et à Royou, afin que le peuple confondit dans la même classe les défenseurs ardens et courageux de la révolution, ét ces folliculaires soudoyés de l'aristocratie.

Le nombre des arrestations faites depuis le 17, n'est pas mieux connu que celui des morts du Champ-de-Mars; mais il doit être très-considérable; et sans doute il le serait bien davan+ tage si tous des journalistes et les pétitionnaires avaient eu la fer meté d'attendre, dans leur cabinet d'études, ou dans le lieu de leur réunion, le brevet d'honneur contenu dans la lettre de cachet expédiée au comité des recherches, qui en fait commerce, comme sous le règne de Saint-Florentin et compagnie. On appréhenda des citoyens de toutes les classes et de tous les sexes;

(1) Le journal le Paquebot accusa le conseil-général de la commune d'un fait dont toutes les feuilles patriotiques s'emparèrent. «Après la lecture du procès-verbal de la malheureuse journée du dimanche, les membres de co conseil, dit le Paquebot, ont fait retentir la salle d'applaudissemens. M. Garran de Coulon a pris la parole pour témoigner son indignation: Il est bien étrange, s'est-il écrié, que l'on fasse éclater une joie bruyante à l'aspect du dra- . peau de la mort déployé sous nos yeux, et dans un moment où la patrie et la liberté cont couvertes d'un crêpe funèbre. — Un membré (bon à connaître) a dit que cette réflexion était d'un séditieux. Je demande, a répliqué M. Coulon. que l'on me fasse mon procès. Il a bien fallu passer à l'ordre du jour.» (Note des auteurs.)

la proscription s'étendit jusque sur les étrangers, pour colorer d'un prétexte la persécution dirigée principalement contre les chauds patriotes. Rotondo l'italien, le juif Éphraïm, une baronne allemande, etc., ont été enlevés et relaxés. La police municipale, honteuse elle-même de ces coups de main, et pour donner le change au peuple, fit en même temps la chasse aux petits jeux de hasard, qui pullulent sur les quais et autres lieux. La garde nationale, loin de se refuser à toutes ces expéditions, auxquelles la troupe de ligne ne se serait prêtée jadis qu'avec répugnance, y apporte un zèle pour la loi qui tient de l'acharnement, et ressemble à de la vengeance personnelle. Autrefois il n'était pas rare de voir les jeunes gens, dits de la robe-courte, fermer les yeux et dissimuler les victimes que leur désignait le despotisme ministériel et parlementaire.

Le despotisme municipal est mieux servi. L'orateur du peuple est obligé de soutenir un siége pour échapper à ses captureurs. Le défenseur de Santerre est moins heureux, et l'on s'assure provisoirement de sa personne jusqu'à ce qu'on ait découvert la retraite de Marat. Legendre, Danton, Sergent, Camille Desmoulins, et une foule d'autres, attendent dans la retraite leur tour d'être traduits au tribunal. La liste fournie par le maire au comité des recherches est curieuse; on y lit:

Tel...., chargé une fois.

› Tel...., chargé deux, trois fois.

> Tel...., bon à arrêter.

⚫ On est faché de voir M. Bailly si peu novice dans l'art des Sartine et des Lenoir: un maire, enfant gâté de la révolution, ne devrait pas, ce semble, en savoir si long qu'un lieutenant de police! Cette place n'aurait-elle changé que de nom? Le père Duchêne et sa femme ont été rendus à leur ménage, sous la condition d'être à l'avenir plus circonspects. On connaît la valeur de cette injonction, dont on faisait usage avec succès au temps passé, tout prêt à revenir. Quantité de personnes qui ne se seraient pas crues dignes de faire partie du peuple franc, si elles se fussent astreintes à ne dire la vérité qu'avec le mystère dont

s'enveloppe le mensonge, ont été saisies, menées au comité, et de là à la prison, pour avoir eu l'air de blâmer la conduite prévôtale des gardes nationaux au Champ-de-Mars le 17.

› Les épanchemens de l'amitié sont devenus des crimes d'État. Le silence des tombeaux règne jusque dans les cafés; l'esprit public est tellement changé, que le théâtre de la nation, où les fiers accens de la liberté, sortis de la bouche de Brutus, avaient reçu tant d'applaudissemens, retentit maintenant de bravos serviles représentant le peuple juif à genoux aux pieds de son nouveau roi. Pourquoi, depuis que les acteurs du théâtre de Molière ont été à la barre de l'assemblée faire vou de ne jouer que des pièces patriotiques, ont-ils retranché les vers que M. Ronsin ajouta dans sa Ligue des tyrans, à l'occasion de la fuite de Louis XVI? Comment se fait-il que M. Rousin souffre cette coupure, si le drame lui appartient encore? S'il n'est plus à lui, pourquoi une affiche ne prévient-elle pas le public de la lâcheté des acteurs de Molière? M. Ronsin avait placardé son épisode du monarque fayard, le meilleur morceau, sans contredit, de la pièce.

On sait que le Théâtre-Français de la rue de Richelieu a fait la dépense des décorations de la tragédie du Royaume en interdit, par M. Gudin: pourquoi les entrepreneurs de ce spectacle retardent-ils la représentation de cette pièce, si bien à l'ordre du jour? Les honnêtes gens répugnent à croire que ce soit par obéissance à des ordres secrets. De pareils commandemens, au sujet de la tragédie de Charles IX, furent regardés dans le temps comme non-avenus. On travaille de toutes les manières, on tourmente en tous sens l'opinion publique. Dès le lendemain du massacre au nom de la loi, tous les coins de rue offraient à lire aux passans bénévoles une adresse de félicitations et d'encouragement aux gardes nationaux, apparemment comme pour aller au-devant de leurs remords: et en effet, deux sous-officiers, dans différentes sections, se sont brûlé la cervelle quelques jours après. Il en est pourtant auxquels la conscience n'a rien dit. Un grenadier, entre autres (par pitié pour lui nous tairons son nom et son état civil), se vanta d'avoir été faire sa décharge de mousqueterie, en ajou

la proscription s'étendit jusque sur les étrangers, pour colorer d'un prétexte la persécution dirigée principalement contre les chauds patriotes. Rotondo l'italien, le juif Éphraïm, une baronne allemande, etc., ont été enlevés et relaxés. La police municipale, honteuse elle-même de ces coups de main, et pour donner le change au peuple, fit en même temps la chasse aux petits jeux de hasard, qui pullulent sur les quais et autres lieux. La garde nationale, loin de se refuser à toutes ces expéditions, auxquelles la troupe de ligne ne se serait prêtée jadis qu'avec répugnance, y apporte un zèle pour la loi qui tient de l'acharnement, et ressemble à de la vengeance personnelle. Autrefois il n'était pas rare de voir les jeunes gens, dits de lá robe-courte, fermer les yeux et dissimuler les victimes que leur désignait le despotisme ministériel et parlementaire.

Le despotisme municipal est mieux servi. L'orateur du peuple est obligé de soutenir un siége pour échapper à ses captureurs. Le défenseur de Santerre est moins heureux, et l'on s'assure provisoirement de sa personne jusqu'à ce qu'on ait découvert la retraite de Marat. Legendre, Danton, Sergent, Camille Desmoulins, et une foule d'autres, attendent dans la retraite leur tour d'être traduits au tribunal. La liste fournie par le maire au comité des recherches est curieuse; on y lit:

Tel...., chargé une fois.

- Tel...., chargé deux, trois fois.

> Tel...., bon à arrêter.

d

⚫ On est faché de voir M. Bailly si peu novice dans l'art des Sartine et des Lenoir: un maire, enfant gâté de la révolution, ne devrait pas, ce semble, en savoir si long qu'un lieutenant de police! Cette place n'aurait-elle changé que de nom? Le père Duchêne et sa femme ont été rendus à leur ménage, sous la condition d'être à l'avenir plus circonspects. On connaît la valeur de cette injonction, dont on faisait usage avec succès au temps passé, tout prêt à revenir. Quantité de personnes qui ne se seraient pas crues dignes de faire partie du peuple franc, si elles se fussent astreintes à ne dire la vérité qu'avec le mystère dont

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