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ou huit endroits différens, sur les oratères qui formaient les quatre angles de l'autel ; que plus de deux mille gardes nationaux de tous les bataillons de Paris et des environs, quantité d'officiers municipaux des villages voisins, ainsi que beaucoup d'électeurs tant de la ville de Paris que des départemens, la signèrent. Plus loin, après le récit du massacre, il s'écrie: Mais ne désespérons de rien, notre perte n'est pas encore assurée; nous aurons deux moyens de nous sauver : la pétition qui nous reste, et le patriotisme des gardes nationales. Oui, la pétition reste; elle est accompagnée de six mille signatures; de généreux patriotes ont exposé leur vie pour la sauver du désordre, et elle repose aujourd'hui dans une arche sainte, placée dans un temple inaccessible à toutes les baïonnettes; elle en sortira quelque jour; elle en sortira rayonnante. Peut-être la garde nationale à leur tête, les patriotes iront la chercher en triomphe; ce sera pour eux l'oriflamme de la liberté. >

Or, toutes ces choses, moins la prophétie, sur laquelle nous ne prononçons pas, parce que nous ne l'avons pas encore vérifiée, sont rigoureusement vraies. LE MONUMENT EXISTE, il est aux archives de la commune, et il confirme tous les détails de Prudhomme.

D'abord, le texte collationné sur l'original est identique. Il y a seulement une légère différence dans l'intitulé. Les Révolutions de Paris renferment celui-ci : Pétition à l'assemblée nationale, rédigée sur l'autel de la patrie, le 17 juillet 1791. L'original porte sur l'autel de la patrie, le 17 juillet de l'an 3. Quatre commissaires furent nommés, car la feuille volante de l'original porte quatre noms.

Les signatures durent être recueillies de la manière dont parle Prudhomme. Elles remplissent dix-huit ou vingt cahiers séparés qui furent ensuite grossièrement attachés. Quant au nombre des noms, il dépasse certainement six mille.

Ce monument est peut-être l'une des plus curieuses reliques qui aient été retrouvées dans les décombres révolutionnaires. Il a une forme, une physionomie qui peint mieux que toutes les

apologies du temps, le caractère et la nature du rassemblement qui pétitionnait. La masse des signatures est de gens qui savaient à peine écrire; la qualité de garde national y foisonne. Il y a une multitude de croix environnées d'un cercle, attestant qu'un tel a signé pour un tel qui ne savait pas écrire. Quelquefois la page est divisée en trois colonnes; d'énormes taches d'encre en couvrent plusieurs; les noms sont au crayon sur deux. Des femmes du peuple signèrent en très-grand nombre, même des enfans, dont évidemment on conduisait la main. Voici un échantillon pris au hasard parmi l'immense foule des obscurs. Celui-ci a mis son commentaire : « Je rénonce au roy je ne le veux plus le conette pour le roy je suis sitoiien fransay pour la patry dù bataillon de Boulogne LOUIS MAGLOIRE l'ainé à Boulogne. La plus jolie écriture de femme est sans contredit celle de mademoiselle David, marchande de modes, rue Saint-Jacques, no 173.

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Les signatures, comme il faut les noms bourgeois, apparaissent de loin en loin; on les compte. Un feuillet fut garni par un groupe de Cordeliers; ici l'écriture est fort lisible. On voit en haut une signature à lettres longues et insouciantes, légèrement courbées en avant; c'est celle de Chaumette, étudiant en médecine, rue Mazarine, no 9. Cette histoire rencontre ce personnage pour la première fois. Les seuls hommes que nous connaissions déjà entre ceux dont le nom accompagne celui de Chaumette, sont: E.-J.-B. Maillard, et Meunier, président de la Société fraternelle, séante aux Jacobins. Voici quelques noms pris sur deux ou trois feuillets aussi bien écrits que le précédent. Brillemont; Ducastel; Soulard; Delacroix; Tattegrain; Boucher; Lemaire; Brune; Saint-Martin; Saint-Félix; Tissier; le chevalier de la Rivière; Dufour l'aîné; Sainty; Richard. Nous n'avons pas découvert, malgré une recherche attentive, le nom de Momoro; il fut cependant accusé plus tard d'avoir fait grand bruit au Champ-deMars, le 17.

Dans les feuillets du Peuple nous avons relevé deux noms de terroristes fameux; celui d'Hébert, écrivain, rue de Mirabeau, et celui d'Henriot. La signature du père Duchène a un aspect

particulier très-remarquable; on dirait un insecte maigre et hargneux. Il paraît que les commissaires des Jacobins signèrent la pétition, car, et ce seront nos dernières citations, nous y avons vu les noms de Gateau, de la société des Amis de la constitution, et de Santerre, commandant du bataillon Quinze-Vingt. Voici la pétition elle-mênie.

• Sur l'autel de la patrie, le 13 juillet, l'an 3.

CREPRÉSENTANS DE LA NATION,

Vous touchiez au terme de vos travaux ; bientôt des successeurs, tous nommés par le peuple, allaient marcher sur vos traces sans rencontrer les obstacles que vous ont présentés les députés de deux ordres privilégiés, ennemis nécessaires de tous les principes de la sainte égalité. Un grand crime se commet; Louis XVI fuit; il abandonne indignement son poste; l'empire est à deux doigts de l'anarchie. Des citoyens l'arrêtent à Varennes, il est ramené à Paris. Le peuple de cette capitale vous demande instamment de ne rien prononcer sur le sort du coupable sans avoir entendu l'expression du vœu des 85 autres départ mens. Vous différez; une foule d'adresses arrivent à l'assemblée; toutes les sections de l'empire demandent simultanément que Louis soit jugé. Vous, Messieurs, avez préjugé qu'il était innocent et inviolable, en déclarant, par votre décret d'hier, que la charte constitutionnelle lui sera présentée, alors que la constitution sera achevée. Législateurs! ce n'était pas là le vœu du peuple, et nous avions pensé que votre plus grande gloire, que votre devoir même consistait à être les organes de la volonté publique. Sans doute, Messieurs, que vous avez été entraînés à cette décision par la foule de ces députés réfractaires, qui ont fait d'avance leur protestation contre toute espèce de constitution; mais, Messieurs, mais, Représentans d'un peuple généreux et confiant, rappelezvous que ces deux cent trente protestans n'avaient plus de voix à l'assemblée nationale, que le décret est donc nul et dans la forme et dans le fond nul au fond, parce qu'il est contraire au vœu du souverain; nul en la forme, parce qu'il est porté par 290 indi

vidus sans qualité. Ces considérations, toutes les vues du bien général, le désir impérieux d'éviter l'anarchie à laquelle nous exposerait le défaut d'harmonie entre les représentans et les représentés, tout nous fait la loi de vous demander, au nom de la France entière, de revenir sur ce décret, de prendre en con. sidération que le délit de Louis XVI est prouvé, que ce roi a abdiqué; de recevoir son abdication et de convoquer un nouveau pouvoir constituant pour procéder d'une manière vraiment nationale au jugement du coupable, et surtout au remplacement et à l'organisation d'un nouveau pouvoir exécutif.

Peyre; Vachart; Robert; Demoy. ›

La quatrième de ces signatures n'est pas très-lisible, parce que le fil qui attache les cahiers, passe au milieu. Ce nom ne se trouve ni dans la table du Moniteur, ni dans une liste des Jacobins que l'on nous a communiquée. Il n'existe encore à notre connaissance que dans la bibliographie de M. Deschiens (p. 17), où il est dit : curé, député de Paris. Les trois autres commissaires sont des chefs Cordeliers; mais ce titre n'est pas mentionné par eux. Leur présence accuse les meneurs qui avaient en ce jour pris conseil de la prudence; car, Peyre et Robert étaient tout aussi compromis aux yeux de l'autorité royaliste-constitutionnelle, que Danton et ses amis.

Par qui cette pétition a-t-elle été sauvée? C'est ce que nous ignorons. Celle du 15, signée : Massulard, Virchaux, Gironard, etc., étant cousue en tête du paquet, donnerait à croire que ces hommes ne furent pas étrangers à l'acte de courage dont parle Prudhomme, s'ils n'en furent les auteurs directs: il consistait à ramasser les cahiers sous le feu de la garde nationale.

Ici se borne notre critique historique personnelle sur cette journée. Nous allons maintenant transcrire le procès-verbal de la municipalité. On verra que jusqu'à cinq heures du soir le corps municipal hésita. On remarquera la mention d'une lettre de Charles Lameth, reçue à une heure et demie, et les nombreux courriers échangés entre l'Hôtel-de-ville et l'assemblée nationale. Ces choses et bien d'autres encore, très-bien discutées par Ca

mille Desmoulins dont le récit terminera ce chapitre, prouvent qu'on força la main à Bailly (1). Ce dernier parut le lendemain à la barre de l'assemblée, et y lut le procès-verbal dont il s'agit. Nous allons placer cette séance sous les yeux de nos lecteurs, parce que la proposition de Regnault dans celle du 17, y fut convertie en loi. Comme l'extrait que le Moniteur a donné de la lecture de Bailly est incomplet et infidèle, nous le compléterons et nous le rectifierons par des notes.

Assemblée nationale.

[Séance du 18 juillet.-M. Sillery. Dans toutes les villes du monde lorsque la générale se bat, tous les citoyens se rendent à leur poste; le poste des députés est ici, et je demande qu'ils s'y rendent tous lorsqu'on battra la générale.

M. l'abbé Joubert, évêque d'Angers. Je ne demande point que les députés soient tenus de se rassembler à ce signal militaire; mais il faut cependant indiquer un mode de convocation pour les cas où ce rassemblement pourrait être nécessaire, et je demande que le comité de constitution soit chargé de nous le présenter.

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(1) Dans le numéro CVIII de ses Révolutions de Paris, Prudhomme revenant sur l'affaire du Champ-de-Mars, dit (page 290): que tout le monde s'est accordé à rendre une justice à la troupe du centre. « Voici, continue-t-il, quelques détails que nous recevons de la seconde division. Les grenadiers, chasseurs et les deux compagnies soldées de cette division sont entrés par la grille de l'École-Militaire au moment où l'on faisait feu. Ces braves gens, loin de participer au massacre, cherchèrent à sauver la vie aux citoyens que l'on assassinait. Ils l'ont sauvée à plus de deux cents; l'un d'eux a arraché des mains du sieur Charton, commandant de la première division, un vieillard qu'il massacrait à coups de sabre. Un sieur Lajaut eut l'audace de menacer ceux qui s'opposaient à sa rage; je te reconnaîtrai, dit-il au grenadier qui lui arrachait ses victimes. Après le carnage, le sieur Bailly vint avec la municipalité à la tête des compagnies de la seconde division, et leur dit: qu'il était vivement affecté de ce que des gardes nationaux imprudens avaient fait feu; (comparez, citoyens, ce langage avec celui qu'il tint à l'assemblée nationale), Et nous, répondirent les grenadiers, nous sommes indignés qu'on se soit porté à une telle viotence. Le sicur la Fayette leur adressa la parole et leur dit : J'avais pleine confiance en vous; mais vous n'avez pas obéi à la loi. Rappelez-vous, citoyens, qu'il tint le même langage aux grenadiers de l'Oratoire, qui s'opposèrent au départ du roi, le 18 avril dernier. Voilà les gens qui encourent la haine du général.» (Note des auteurs.}

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