Page images
PDF
EPUB

mes, et tenait les esprits dans une pénible 1789. anxiété.

Des déclamateurs gagés ou dévoués parcouraient, les uns les cafés, les autres, les places publiques et les quartiers habités par le menu peuple, y distribuaient des pamphlets incendiaires, ou excitaient de vive voix les fureurs de l'ignorance, toutes les fois que l'ingénieuse subtilité craignait de rencontrer des obstacles. On était arrivé, par toutes ces manœuvres, à une telle perfection dans l'art de combiner les mouvemens populaires, qu'on savait en calculer la force par l'importance de la victoire qu'on avait à remporter; et l'on peut dire que le parti de la révolution n'employait encore pour faire réussir ses projets, que la dose d'anarchie rigoureusement nécessaire.

1

Les directeurs de cette anarchie disaient plaisamment, dans leurs momens de gaîté, qu'ils avaient un tarif d'insurrections à tous prix, dont ils pouvaient régaler les aristocrates, toutes les fois qu'ils voudraient s'en donner le plaisir.

Au nombre de ces agens d'insurrection qu'il nous paraît inutile de faire connaître, était une jeune personne assez gentille, nommée Théroigne de Méricourt, qui a été

remarquée de toute la France. Cette fille avait précédemment fait à sa réputation 1709 une tache qu'elle n'avait pu cacher, s'était enfuie de la maison de son père, riche laboureur du pays de Liége, et était venue à Paris, où, pour ses menus plaisirs, elle avait ruiné, de plus d'une manière, certains personnages assez considérables. A peu près délaissée à l'époque de la révolution, fatiguée des jouissances qu'on lui avait trop bien payées, la petite Méricourt imagine d'entreprendre la carrière politique : elle s'affuble d'un ajustement à l'amazone,couronne sa jolie tête d'un petit chapeau à la Henri quatre, et dans cet état, va se mêler à la foule des nombreux dissertateurs qui occupaient sans cesse les tribunes et les avenues de l'assemblée nationale.

La singularité d'un tel personnage a bientôt attiré l'attention universelle; on s'imagine d'abord que Théroigne est là pour chercher le genre de fortune qu'on ambitionne ordinairement à son âge; mais on s'était trompé; la plus innocente galanterie lui fait froncer le sourcil, et la voluptueuse Cypris est tout à coup métamorphosée en une grave et sévère Minervé. Cette adroite grimace en impose cependant à tout le

monde, pique l'amour-propre, agace même 1769 le cœur de ceux qui l'ont trouvée jolie, et peu s'en faut que tous ces politicoman ne deviennent des amans passionnés.

Plusieurs députés ont fait leur cour à cette courtisane, et entr'autres, le fameux Péthion, avec lequel elle avait souvent des conférences (1).

Mais parmi tous ces messieurs', il n'en est point qui exaltât davantage que l'abbé Syeyes, les sentimens philosophiques de la belle. L'abbé Syeyes était sa divinité particulière; c'était à ses talens, à ses vertus qu'elle adressait publiquement ses hommages et ses adorations, tandis que l'immoralité de Mirabeau l'offensait. Lorsqu'on lui demandait grâce pour lui, en considé ration de son empressement pour les femmes, elle témoignait son dégoût par les signes les noins équivoques. ¡~~

Théroigne tenait dans son appartement

(1) On lui a aussi donné pour courtisan, le député Populus; mais la vérité est qu'il ne la connaissait pas c'est une malice des auteurs des Actes des Apôtres, qui voulurent jouer sur le mot populus dans sa signification latine; ce qu'il y a de plaisant, c'est que presque tout le monde y fut trompé

1

de petits clubs formés de personnes même alors assez remarquables; on y trouvait tou- 1789. jours Romme, depuis député conventionnel, le jeune comte Strogonow son élève, fils d'un des plus grands seigneurs de Russie, et le frère de l'abbé Syeyes, qui venait y recueillir l'encens qu'on distribuait à son aîné.

Théroigne était très-considérée de la partie du peuple qui fréquentait les tribunes et les alentours de l'assemblée, c'est-à-dire, de celle qu'il importait le plus de gagner, parce qu'elle était destinée à faire mouvoir l'autre.

Cette observation indique assez combien la petite Méricourt pouvait être utile: aussi la voyait-on sans cesse, et quelquefois avec un costume grec, à la tête de tous les hueurs, de tous les approbateurs, suivant que les huées ou les approbations pouvaient être nécessaires; et c'était toujours elle qui donnait le signal. Cette fille avait une vivacité extraordinaire, l'imagination rusée, mais d'esprit, quoi qu'en puissent dire ceux qui, en 1789, la regardaient comme un prodige. Sa tête était remplie de ceux des vers de nos grands poètes qui ont le plus exalté les sentimens républicains : elle débitait tout cela avec feu, dans son jargon moitié français, moitié flamand; ce qui fesait rire, et parais

peu

sait aimable dans une jolie bouche à laquelle 1789. on supposait de la naïveté.

Lorsque Paris fut peuplé de clubs, on la voyait le même soir assister à tous, après avoir dans la journée harangué les groupes de tous les quartiers, débiter dans ces clubs ses motions ou ses instructions, et rentrer ensuite chez elle pour y faire les honneurs du sien. Il serait difficile de trouver un exemple d'une semblable activité; aussi sur la fin de sa carrière, avait-elle absolument perdu toutes ses graces; elle était couperosée, livide, décharnée; enfin Théroigne fut l'image ambulante de la révolution. Brillante dans ses commencemens, énergumène dans son cours, dégoûtante de fange et de sang après le to août. Elle eut une trèsgrande part à cette journée, en fesant assassiner cinq à six personnes, dont les têtes portées à l'instant dans les rues, répandirent par-tout l'effroi qui assura le succès des insurgés.

du

Fouettée publiquement dans le jardin des Tuileries, comme brissotine, à l'époque 31 mai 1793, la misérable Méricourt fut bientôt après reléguée à l'Hôpital des Fous où elle est peut-être encore.

Ce fut au milieu des intrigues dont Thé

[ocr errors]
« PreviousContinue »