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nombre. Aussitôt l'on s'écrie que c'est une invention infernale de ce parlementaire; il 1789. en est accusé hautement: son absence et celle de sa famille donnent plus de consistance à cette accusation. L'affaire est portée à l'assemblée nationale, et plusieurs députés font entendre que les plaintes portées contre M. de Mesmay ne sont pas sans fondement. Au surplus, malgré l'intervention de l'assemblée et du roi, les auteurs de ce crime furent faiblement recherchés; tant d'autres délits, dont il était facile de reconnaître la trace, effrayèrent tellement les provinces, qu'on crut politique de garder aussi le silence sur celui-là.

Mais il fut suivi, dans la plus grande partie de la Franche-Comté, des événemens les plus effroyables; une quantité considérables de châteaux furent bouleversés, pillés, démolis, incendiés, trois monastères eurent le même sort. Cette province ne fut pas la seule où se manifestèrent ces désastres; ils se communiquèrent à presque toute la France et la désolèrent plusieurs mois. La Haute-Bourgogne fut un des pays les plus maltraités des bandes nombreuses la parcouraient, portant avec elles le feu et le ravage. Les excès devinrent si effrayans, que ceux

même qui les protégeaient, commencèrent à 1789. en appréhender les suites; ils armèrent contre ceux qu'ils avaient soulevés, et près de quinze cents de ces furieux furent exterminés ; deux cents furent fusillés, en un seul jour, dans les cours de l'abbaye de Clugny. Plusieurs personnes qui dirigeaient ces incendiaires, qui incendiaient elles-mêmes, sont devenues depuis des personnages importans, et sont maintenant propriétaires considérables dans les pays qu'ils ont dévastés; nous en avons vu siéger parmi les législateurs, et ce qu'il y a de remarquable, y professer des principes qui n'étaient pas trèsexagérés.

Pour, séduire les honnêtes paysans qui auraient pu s'opposer à leurs attentats, ces dévastateurs leur fesaient voir de prétendus ordres du roi et de l'assemblée nationale qui leur enjoignaient de traiter ainsi tous les seigneurs aristocrates. Au vu de tels ordres, ces paysans se joignaient aux brigands pour exterminer les mêmes hommes, qu'ils eussent défendus sans cette supercherie.

Que tous ces crimes n'aient pas été commandés, qu'ils n'aient pas été sourdement protégés par certains membres de l'assemblée, personne ne peut le révoquer en doute,

pour

pour peu qu'on ait observé ce qui se passait alors; mais ce qui n'est pas moins vrai, c'est 1709. que ces manœuvres appartenaient à un trèspetit nombre d'hommes : le parti populaire qui profitait de ces violences, les excusait ou les dissimulait, parce qu'elles lui étaient utiles, et que dans les temps de factions, sur-tout, nous sommes toujours disposés à trouver des causes légitimes aux forfaits les plus atroces, lorsqu'ils déterminent la victoire pour le parti que nous avons embrassé. C'est de cette manière qu'on peut expliquer la conduite de la pluralité des députés à l'assemblée dite constituante. S'il s'est trouvé parmi eux un petit nombre d'in dividus qui, par esprit de système et pour arriver à leur but, n'auraient réculé devant aucun forfait, il n'est pas moins vrai que le grand nombre en était incapable; il transigeait avec les crimes commis, mais il ne les eût pas commis luimême. En fesant ces réflexions, qui naissent de la connaissance que nous avons acquise du caractère de beaucoup de ces députés, ce n'est point leur excuse que nous avons eu intention d'écrire, c'est une nuance que nous avons voulu tracer.

Au surplus, tous ces incendies, toutes ces

Tome II.

B

dévastations eurent l'effet qu'ils devaient 1789. produire. Un assez grand nombre de nobles émigra, une autre portion implora le secours de l'assemblée nationale, renonça aux protestations qu'elle avait faite, pour adhérer à tous les actes qui avaient opéré la révolution; et le reste se mit à la tête des révolutionnaires, pour qu'on ne se souvînt pas qu'ils appartenaient à une caste qu'on voulait détruire; ces derniers nobles déclainèrent contre les nobles, avec plus de violence que les gens du peuple les plus forcenés; outrèrent les mesures révolutionnaires, devinrent enfin, pour conserver leurs têtes et leurs fortunes, les hommes les plus féroces de la société.

Le même mouvement s'opéra dans le clergé, et produisit à peu près les mêmes résultats; et si l'on vit des ministres de Dieu devenir des impies, des athées, de véritables fléaux de l'espèce humaine, il faut rattacher ces tristes effets à une semblable

cause.

C'est ainsi que la révolution, qui, dans le vœu de ses auteurs, devait opérer la régénération des mœurs particulières et publiques, développa par-tout le germe hâtif de la corruption, appliqua un masque sur

tous les visages, et naturalisa l'immoralité dans tous les cœurs ; révéla enfin aux gouver- 1789. nemens effrayés, par quels moyens on par vient à la destruction des principes sociaux, sans leur apprendre de quelle manière on peut les faire revivre.

Cependant les auteurs des premiers désordres sentirent qu'il fallait au moins manifester l'intention de les faire cesser. Au milieu des plaintes, des réclamations, des mesures que proposaient sans cesse M. de Tolendal et ses amis contre tous ces at tentats, le plus habile de tous les révolutionnaires peut-être, M. Adrien Duport, dont nous avons déja parlé, imagina la formation d'un comité de quatre personnes, qui devait être chargé de rendre compte à l'assemblée de toutes les affaires sur lesquelles il croirait nécessaire de fixer son attention. En créant une pareille institution, M. Duport savait bien qu'il en serait le maître, et par conséquent de tous les mouvemens qui avaient leur centre dans l'assemblée dont ce comité serait en quelque sorte le régulateur. Mais ce projet ne fut point exécuté, ou le fut de manière à produire très-peu d'effet, au moins celui qu'on en attendait fut manqué.

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